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Christophe Lacroix: « La situation budgétaire wallonne est très inquiétante »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le ministre PS wallon du Budget reconnaît que l’évolution de la situation des finances publiques est préoccupante. Il veut éviter que la Wallonie soit le vilain petit canard, mais refuse l’austérité et appelle à la concertation. Et à l’aide…

La situation budgétaire de la Wallonie est difficile, et votre déficit dérape. Demanderez-vous un assouplissement des règles budgétaires au cours de cette concertation budgétaire avec le gouvernement fédéral sur la trajectoire budgétaire européenne ?

Christophe Lacroix : Ce qui est très compliqué aujourd’hui, c’est que tant au fédéral que dans les Régions, nous sommes confrontés à une panne de croissance qui devient pérenne. Chaque fois que le Bureau fédéral du plan annonce des prévisions, elles sont systématiquement revues à la baisse. Cela a des conséquences désastreuses en terme de pouvoir d’achat mais aussi, au vu de la chute des recettes fiscales, pour les pouvoirs publics. Il faut effectivement s’y attaquer de manière durable.

Nous avons défini une trajectoire budgétaire de retour à l’équilibre jusqu’en 2018. Nous l’avons établie sur plusieurs années afin qu’elle soit soutenable pour les citoyens. Les paramètres macro-économiques se dégradant, on doit effectivement se demander s’il n’y a pas lieu de revoir cette trajectoire. Mais la déclaration gouvernementale fixe la date de 2018 et je n’ai reçu aucun signal de mes collègues pour dire qu’il faudrait postposer cette échéance. C’est d’autant plus important que l’on veut éviter d’être présentés comme le vilain petit canard, ce que certains pourraient être tentés de faire. Nous voulons être un bon élève, loyal face au fédéral, et ne pas fuir nos responsabilités dans l’assainissement des finances publiques. Mais avec une approche soutenable pour les gens, pas de en pratiquant une austérité aveugle. Et nous ne souhaitons pas non plus de nouvelle taxation.

Quelle est le dernier état de votre situation?

J’attends les chiffres précis pour l’ajustement budgétaire, à la lumière des nouvelles données macro-économiques annoncées pour le 12 février. Mes experts travaillent sur l’ampleur de la correction que nous devons apporter. Il y aura un contrôle budgétaire à la fin février. Et j’ai annoncé que cela pourrait se traduire par un blocage des crédits : on ne dépense que ceux qui sont libérés par le ministre du Budget, mois par mois, de manière à éviter les dérapages dus au fait que l’on dépense en une fois certaines dépenses annuelles.

Pour l’instant, nous sommes dans l’objectivation des données. J’ai installé un Comité de monitoring des finances – une révolution copernicienne en Wallonie! – constitué d’experts de mon administration, qui est chargé de suivre de près l’évolution des recettes et des dépenses. Quand j’aurais l’ensemble de ces chiffres, je pourrais proposer une solution.

J’ai entendu Johan Van Overtveldt, le ministre fédéral des Finances, dire que le dérapage des finances publiques belges était la faute des Régions, en particulier de la Wallonie. Il a cité le chiffre d’un milliards d’euros, mais je ne sais pas où il a été le chercher : ce pourrait être l’addition de 450 millions d’euros de déficit prévus en 2015 et 450 millions nouveaux. Englobe-t-il les communes, les CPAS, les provinces dans le cercle wallon au sens large ?

Vous devez avoir une idée, quand même ?

Je n’ai pas de chiffres de cette ampleur-là. Je ne communiquerai de toute façon les chiffres au public qu’après avoir fait un rapport objectif et circonstancié au gouvernement. Mais au Comité de concertation, on a demandé que le Comité supérieur des finances puisse travailler de manière objective, notamment sur le poids des collectivités locales dans le cadre de l’entité. Si c’est pour dire que la Wallonie a mal fait son travail parce que les communes ou les provinces dérapent, je trouverais le procès mal approprié. Il faut objectiver tout cela et éviter que l’on se rejette le balle l’un vers l’autre, les citoyens en ont assez de cela. Ce qu’ils attendent, c’est des gens responsables, qui prennent les bonnes décisions, qui se parlent et nous sommes demandeurs d’une telle concertation. Je propose que le ministre du Budget fédéral nous réunisse, afin que l’on définisse une trajectoire soutenable à soumettre au gouvernement fédéral.

Les pouvoirs locaux, c’est une bombe à retardement pour la Wallonie ?

Nous avons pris les devants. Dans le cadre de la circulaire budgétaire pour les pouvoirs locaux, nous leur imposons les normes SEC 2010 dans l’élaboration de leur budget. Je ne conteste d’ailleurs pas ces nouvelles normes même si, cumulées à la règle d’or, elles pourraient nous pousser vers l’austérité.

Les finances des pouvoirs locaux se dégradent, non pas parce qu’elles sont mal gérées, mais parce que, tout le monde le dira, le fédéral rejette de plus en plus de missions sur les communes et les CPAS, n’assument pas tous les financements en matière de pensions des fonctionnaires, des services de sécurité, de revenus d’intégration… Je ne dis pas que c’est la seule faute du gouvernement actuel, ce sont tous les gouvernements successifs qui se sont dégagés.

Je voudrais néanmoins souligner qu’en Wallonie, nous avons maintenu le Fonds des communes, nous n’y avons pas touché, la politique des grandes villes non plus. On essaye tant que faire se peut dans le cadre d’un budget raisonnable de ne pas impacter les pouvoirs locaux parce que c’est un pouvoir de proximité dont les citoyens ont besoin en cette période d’incertitudes.

Quel est le poids que représente le dérapage des pouvoirs locaux dans votre propre dérapage?

Je ne suis pas en mesure de vous le dire.

Dans l’absolu, alors, que représente ce poids des pouvoirs locaux?

Cela varie en fonction des paramètres. Vous savez, nous avons mis en place le lissage des investissements, c’est une opération qui nous permet de faire des économies en en reportant certains jusqu’en 2016, sachant que les communes vont en reporter également. Cela montre que le navire garde le cap, il n’y a pas un capitaine qui ne sait pas où il va, non, on anticipe les difficultés, mais en refusant l’austérité.

Le transferts de compétences du fédéral vers les Régions, qui découle de la sixième réforme de l’Etat, est une autre charge qui affecte votre budget. Dans quelle mesure?

Il y a un manque de 335 millions d’euros en 2015 par rapport aux compétences transférées, qui représentent un budget global de 4,8 milliards d’euros. Cela représente en quelque sorte notre participation à l’assainissement de l’Etat, cela a été négocié comme cela. Ces prochaines années, ce montant grimera à 650 millions d’euros. La Région veut être loyale par rapport aux accords conclus, on ne les remet pas en cause, on ne demande pas au fédéral de revoir sa trajectoire.

Mais cela a un impact non négligeable. Sans cela, et sans les requalifications européennes qui représentent quelque 427 millions d’euros, nous aurions pu présenter un budget en équilibre.

Nous allons désormais poursuivre les efforts en concertation avec le fédéral. La mécanique a dû se mettre en place après l’installation d’un gouvernement wallon en juillet, puis du fédéral en novembre, mais elle n’est pas grippée…

Elle a quand même été perturbée par de fortes confrontations politiques…

Il faut sortir des polémiques stériles, cela ne sert à rien, et mettre de l’huile dans les rouages. Les citoyens ont besoin de solution et pas d’invectives.

Il vous reste huit ans pour redresser la Région, avant la fin des transferts. Or, l’endettement a été fortement revu à la hausse…

L’Europe a intégré 164 institutions régionales dans le périmètre budgétaire de la Wallonie. C’est vrai que la dette wallonne qui était entre 6 et 7 milliards d’euros a grimpé quasiment du jour au lendemain autour de 18,7 milliards d’euros.

C’est une augmentation considérable!

Oui, c’est considérable. Cela implique une plus grande maîtrise des investissements, ce qui est aussi assez négatif pour l’économie. Il faut chercher des économies là où on peut les trouver, les plus supportables possibles pour les citoyens, les entreprises et les ASBL.

Nous avons d’abord fait des efforts en interne: réductions de crédits de communication, d’études, de frais de mission à l’étranger, gel des dépenses des cabinets ministériels… Nous avons décidé de faire contribuer la fonction publique avec le non-remplacement de quatre départs sur cinq, avant avec un allégement dès 2017 où on pourra remplacer deux départs sur trois. Et puis nous nous sommes attaqués à d’autres mesures. On a un peu touché au bonus logement, de façon moins importante que la Flandre: le résultat est que, pour certaines catégories de population, celles qui payent moins de 35.000 euros par an, il y a un gain substantiel. On a diminué la déductibilité fiscale des titres-services. S’ajoute à cela le lissage des investissements dont j’ai parlé, sur base des données que les opérateurs financiers nous ont communiqué, avec un calendrier précis et correct. Mais vous devez quand même savoir qu’il restera 4,5 milliards d’euros d’investissements de la Wallonie à travers ses crédits directs pour la période 2015 – 2019 contre 4 milliards sous le gouvernement précédent. On ne ralentit donc pas l’objectif, on le met à l’agenda d’une autre manière.

L’opposition estime qu’il y a des restructurations plus fondamentales à faire en Wallonie. Une mise à plat est-elle nécessaire?

La norme de non-remplacement des fonctionnaires est une mesure d’économie importante. Elle doit aussi être l’occasion de repenser l’avenir de la fonction publique, de se demander sur quels services nous souhaitons nous concentrer, certains missions obsolètes pouvant disparaître, d’autres nécessitant une attention plus soutenue. Je peux rejoindre ceux qui disent que c’est une occasion de remettre les compteurs à zéro, en tenant compte de l’impact des transferts de la réforme de l’Etat.

Mais quand je fais un budget, ce n’est pas une satisfaction de façon onaniste. Derrière les chiffre, il y a des gens. Un budget doit être efficace, mais aussi humain. Ce que je reproche à certains ministres du Budget en Europe, c’est de ne pas voir les hommes et les politiques que l’on touche par les décisions budgétaires.

En disant cela, vous pensez aussi au fédéral et à ses mesures structurelles?

Je n’aime pas les polémiques stériles mais effectivement, quand on parle de saut d’index, je trouve que c’est un non-sens social et économique. On invoque la compétitivité des entreprises, mais quand le Conseil central de l’économie propose une autre base de travail pour les négociations entre syndicats et patronat, le patronat refuse de la tenir pour plausible et rejette la faute de tous les dérapages sur les salaires: je trouve que c’est une position doctrinale. Un saut d’index, et de nombreux économistes le disent, a un impact budgétaire incertain car il génère moins de rentrées fiscales pour l’Etat et moins de pouvoir d’achat pour les gens. Va-t-on à un moment donné réfléchir autrement, en sortant du carcan de l’orthodoxie budgétaire pour l’orthodoxie budgétaire? Si on ne le fait pas, je pense que l’ensemble des pays européens vont mettre du temps à sortir de la panne de croissance.

Mais le saut d’index, la Wallonie en bénéficiera aussi: ce sont des économies pour les pouvoirs publics, non?

Cela représente 13 millions d’euros. Nous avions prévu une indexation automatique des salaires dans notre budget, ce sera donc une dépense en moins, c’est vrai. Mais je voudrais rappeler aussi que cela générera moins de recettes fiscales, soit environ 60 millions d’euros en moins pour la Wallonie en 2016.

Au bout du compte, vous y perdriez, donc?

Oui, on y perd. Les communes vont perdre aussi avec leurs centimes additionnels. C’est pour cela qu’il faut être bien vigilant par rapport aux mesures que l’on prend parce qu’elles ont parfois des effets pervers que l’on ne soupçonne pas.

Thierry Bodson, de la FGTB wallonne, estime que vous avez réalisé votre budget sur une partie seulement de ce qui était possible, sans tenir compte de la marge offerte par les transferts de compétence, notamment en matière de fiscalité. Est-ce votre sentiment? Y’a-t-il des leviers supplémentaires qui pourraient être utilisés dès maintenant, lors de l’ajustement, ou lors des exercices suivants?

J’entends bien la réflexion de Thierry Bodson qui nous disait effectivement que l’on pourrait travailler sur un additionnel à l’impôt sur les personnes physiques. On peut en outre adapter les tranches de revenus. Mais on a pris la décision lorsque l’on a formé ce gouvernement de ne pas décider d’impôts nouveaux. Et surtout pas de toucher aux revenus du travail: les gens sont imposés de façon maximale dans ce pays. Il y a une réforme fiscale importante à faire, au fédéral, en taxant les plus-values, le capital voir même les grosses fortunes parce qu’il n’y a pas tant de départs que cela quand on prend une telle décision, contrairement à ce que l’on nous dit: cela n’a par exemple concerné que 0,2% des Français.

Par contre, nous avons déjà des leviers fiscaux comme la taxe sur la radio-télévision redevance qui sont particulièrement injustes. J’ai annoncé au parlement que je souhaitais la revoir. pas la supprimer, parce qu’elle rapporte 100 millions d’euros par an à la Wallonie et que je ne suis pas en état de le faire. Aujourd’hui, cette taxe est forfaitaire: c’est 100 euros pour tout le monde. Nous devons faire en sorte que cette fiscalité soit plus juste et que l’on fasse appel à la part contributive de chacun.

De façon générale, les données macro-économiques vous inquiètent-elles pour la Wallonie?

Cela devient stressant et très ennuyeux. Nous avons beau prendre des mesures de responsabilité budgétaire, faire des efforts dans les dépenses, les recettes ne suivent pas, soit elles stagnent, soit elles baissent. C’est inquiétant. C’est la raison pour laquelle les trois Régions ont demandé unanimement – PS et N-VA ensemble – à notre Premier ministre Charles Michel de relayer à l’Europe notre message: si des investissements ne sont pas fait au niveau européen, jamais l’économie ne reprendra. On parle maintenant de déflation, c’est alarmant, parce que cela signifie que les ménages n’investissent plus et placent leur argent sur des comptes d’épargne.

Demandez-vous aussi que certains investissements soient neutralisés par l’Europe au niveau du budget wallon?

Ce serait intéressant que les investissements dits productifs – la construction de crèches permettant par exemple aux gens d’aller travailler, d’écoles ou les investissements dans le numérique – soient sortis du périmètre. C’est une demande précise de notre part. Le fédéral semble dire que ce sera difficile de porter ce combat au niveau européen. J’entends bien, mais il y a une démarche unanime des trois Régions, le fédéral doit porter notre voix de façon ferme – c’est cela aussi la loyauté fédérale. Et je pense, quand je vois ce qui se passe dans d’autres pays européens, que nous sommes en train de gagner du terrain sur ce questionnement. Ce n’est pas un débat perdu d’avance, mais il faut une volonté jusqu’au-boutiste de le mener.

Le Comité de concertation entre le fédéral et les entités fédérées va jouer un rôle important ces prochaines semaines. Souhaitez-vous un débat sur la répartition de l’effort entre les différents pouvoirs?

Je suis demandeur d’une concertation. C’est le fédéral qui convoque, une fois par mois, c’est d’ailleurs dommage que les Régions ne puissent pas le faire. Je suis demandeur qu’avec le ministre du Budget, Hervé Jamar, que je connais et que j’apprécie, ainsi qu’avec mes collègues bruxellois Vanhengel et flamand Turtleboom, nous définissions ensemble une trajectoire budgétaire à déposer devant le Comité de concertation. Evitons les polémiques et les invectives. Rejeter la faute sur l’autre, c’est enfantin et mesquin. Nous sommes tous dans des eaux aussi troubles. Même les Flamands commencent à connaître les mesures d’économies alors que jusqu’à l’année dernière, ils étaient dans le surplus budgétaire. Tirer l’un sur l’autre, cela n’a pas de sens.

Votre prédécesseur André Antoine a été imprudent?

Non, il a fait en 2013 un projet de budget avec un boni de 86 millions d’euros, les requalifications européennes sont intervenues en avril et septembre 2014. Comme tout le monde, il a été surpris par l’ampleur de la révision. 164 institutions, c’était vraiment une requalification majeure, que je ne conteste pas, mais qui nous impose à nous, Wallonie, de maîtriser le budget de nos outils.

L’opposition demande une plus grande transparence de votre part…

Je suis pleinement d’accord. Je me suis engagé à une meilleure gouvernance avec un comité de monitoring indépendant et une agence de la dette qui verra le jour fin d’année. J’ai beaucoup de respect pour le parlement, pour l’opposition qui représente une parte de non négligeable de l’électorat et pour le citoyen qui n’accepte les mesures d’économie que s’il a un sentiment de justice.

Le dossier « Budget : le cancre wallon » dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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