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Charles Michel, un petit air d’Yves Leterme

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Bien des similitudes existent entre l’actuel Premier ministre et son homologue CD&V, qui a occupé le Seize de façon chaotique entre 2007 et 2011. A commencer par leur manque de poigne et leur stratégie à l’égard de la N-VA.

Ça passe ou ça casse. Ce début 2017 s’annonce décisif pour la suédoise de Charles Michel. Le Premier ministre libéral déploie des trésors d’énergie et consulte tous azimuts. Objectif ? Relancer la dynamique de sa majorité, qui fut à deux doigts d’éclater l’été dernier. Cette revitalisation passe par un accord budgétaire et la concrétisation de trois projets qui divisent les partenaires flamands : réforme de l’impôt des sociétés, taxation des plus-values et activation de l’épargne au service de l’économie.  » Charles Michel est le maître du jeu « , insiste son vice-Premier CD&V Kris Peeters. S’il échoue, un retour aux urnes anticipé n’est plus exclu.

Affaibli, le libéral est désormais contesté en Flandre, où il était jusqu’ici plutôt populaire, et critiqué par le patronat du nord et du sud, qui appellent d’une seule voix à l’accélération des réformes. Dans Le Soir, Bart Maddens, politologue de la KUL, proche du mouvement flamand, débutait même 2017 par une comparaison étonnante : Charles Michel  » n’a pas vraiment grandi dans son rôle, il n’a pas la stature d’un Verhofstadt ou d’un Dehaene, ni même d’un Di Rupo. C’est plus un Leterme en ce qui concerne le rayonnement, pas une figure de leader « . Faut-il rappeler que les deux règnes du Premier CD&V, entre 2007 et 2011, furent chaotiques et marqués par d’incessants blocages.

 » La comparaison entre Charles Michel et Yves Leterme peut surprendre, mais elle tient la route « , souligne Pierre Verjans, politologue à l’université de Liège. Pour six raisons, qu’il détaille pour Le Vif/ L’Express.

1. LE MANQUE DE POIGNE

 » Tout d’abord, ils ont tous les deux une forme de faiblesse dans leur façon de gérer leur équipe gouvernementale « , estime Pierre Verjans. Pourtant, leur arrivée au Seize était placée sous des auspices très différents. En 2007, Yves Leterme était incontournable, fort de son score électoral impressionnant (800 000 voix), et voulait à tout prix obtenir une réforme de l’Etat pour scinder l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde, le célèbre  » BHV « . Charles Michel, lui, n’aurait jamais osé rêver atteindre ce Graal aussi vite : il a su profiter de circonstances inédites liées à l’attitude du PS du côté francophone et au choix fédéral de la N-VA de ne pas exiger une réforme de l’Etat. Mais leur règne est comparable : tous deux doivent composer avec les états d’âme de leurs partenaires, régulièrement étalés sur la place publique en cette ère d’hypercommunication.

Jean-Luc Dehaene était le bulldozer qui dirigeait son équipe et distillait les
Jean-Luc Dehaene était le bulldozer qui dirigeait son équipe et distillait les « geen commentaar ». Elio Di Rupo laissait mûrir le consensus au sein de son équipe sans intervenir. Deux styles très différents.© LAURIE DIEFFEMBACQ/BELGAIMAGE

Aux yeux de l’opposition francophone, le Premier ministre est d’ailleurs pieds et poings liés aux exigences des nationalistes.  » La réaction de Charles Michel à différents incidents est très faible : il s’est longtemps tu sur la réunion « sécurité » en présence de Bart De Wever dans l’affaire du visa refusé par Theo Francken à une famille syrienne, acquiesce Bart Maddens. Ce n’est pas quelqu’un qui rappelle la N-VA à l’ordre.  » Et pour cause : une trop grande fermeté de sa part risquerait de faire tomber le gouvernement.  » En Belgique, un Premier ministre faible est peut-être aussi le gage d’une coalition forte, nuance Pierre Verjans. Il n’impressionne pas, mais il fait la synthèse et donne aux partenaires l’envie de continuer.  » Cette synthèse, rétorque-t-on au MR, correspond à l’ADN du parti.

2. LA STRATÉGIE À L’ÉGARD DE LA N-VA

S’il est incontestablement une similitude entre les deux hommes, c’est leur attitude à l’égard des séparatistes flamands : tant Yves Leterme que Charles Michel ont choisi de collaborer franchement avec eux dans le cadre d’une stratégie électorale. Non sans prise de risque. Yves Leterme avait fondé le cartel CD&V – N-VA en 2003 pour doper son parti en perte de vitesse, espérant engranger les 3 % obtenus par les nationalistes à leur premier scrutin. L’opération réussit parfaitement dans un premier temps, le CD&V progressant fortement aux législatives de 2007.  » Nous avons tous cru alors que la N-VA se ferait dévorer, ses thèmes communautaires étant repris par le CD&V « , se souvient Pierre Verjans. Mais l’inverse se produit : après l’éclatement du cartel, la N-VA s’envole.

Charles Michel, lui, avait promis qu’il ne gouvernerait pas avec la N-VA. Après les élections de 2014, il fait le calcul suivant, aidé par la conviction du CD&V :  » mouiller  » le parti de Bart De Wever au pouvoir fédéral devrait réduire la tentation séparatiste en Flandre grâce à une politique de droite voulue au nord du pays et dégonfler la baudruche d’une formation misant sur la critique des élites.  » Il semble que cela n’ait pas marché, épingle Bart Maddens. Dans les sondages, la N-VA est un peu en retrait mais beaucoup moins que ce à quoi certains s’attendaient.  »  » La N-VA ne s’en sort pas plus mal au niveau fédéral qu’au niveau régional « , appuie Pierre Verjans.

Le principal défi du Premier ministre est peut-être celui-là : endiguer la vague populiste qui déferle partout en Europe et qui s’exprime aussi au sein de la suédoise.

3. LA FAIBLESSE DU PARTI

En 2007, Yves Leterme avait la délicate mission de porter un CD&V en pleine crise identitaire, à la recherche d’un nouveau souffle. En 2014, le MR devait, lui aussi, panser ses plaies.  » Charles Michel est devenu Premier ministre après avoir conquis un parti écartelé « , rappelle le politologue de l’ULg. Le MR s’est relevé de la guerre fratricide avec Didier Reynders et de l’éclatement de la fédération avec le FDF. Mais depuis le début de la législature, le casting du seul parti francophone à bord du navire fédéral pose régulièrement problème.  » Le MR me fait une impression très faible, avec des ministres faibles « , commente son homologue de la KUL. Qui s’étonne aussi de ne pas voir les libéraux francophones polariser davantage la politique au sud du pays pour tirer profit de cette situation inédite. Alors que la N-VA, en Flandre, n’hésite pas à se distinguer à coups de slogans.

4. LA FONCTION DE  » NOTAIRE  »

Steven Vandeput, Jan Jambon et Bart De Wever : la N-VA donne le ton au sein de la suédoise.
Steven Vandeput, Jan Jambon et Bart De Wever : la N-VA donne le ton au sein de la suédoise.© PHILIP REYNAERS/PHOTO NEWS

Au fond, si tant Charles Michel qu’Yves Leterme gouvernent sans briller, c’est dû à la modification en profondeur de la fonction même de Premier ministre. Là où un Wilfried Martens ou un Jean-Luc Dehaene pouvaient donner de réelles impulsions, leurs successeurs ont souvent dû se contenter de jouer le rôle d’un notaire écartelé par les divergences au sein de leur coalition, dépossédé de tranches importantes de pouvoir au profit des entités fédérées et de l’Union européenne.  » C’est même un drôle de notaire impuissant, renchérit Pierre Verjans. On en arrive à cette situation paradoxale où, dans le dossier du Ceta (traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada), Charles Michel présidait le comité de concertation, mais en était réduit à observer et à compter les voix, pour être finalement contraint de constater que les Wallons ne voulaient pas, sans pouvoir réagir.  » Plus que jamais, le Premier est un homme enchaîné, malgré lui.

5. LES ÉPINES DANS LE PIED

Chaque chef de gouvernement se trouve confronté à son lot de dossiers politiquement épineux, voire inextricables. Yves Leterme devait démêler les fils de l’imbroglio institutionnel belge et résister aux assauts de la crise financière de 2007-2008 ; Charles Michel doit rattraper le temps perdu pour  » remettre de l’ordre  » sur le plan socio-économique.  » Yves Leterme s’était enfermé dans un slogan malencontreux : cinq minutes de courage politique pour scinder BHV, observe Pierre Verjans. Au contraire, aucun libéral n’a pensé une seule seconde que cinq minutes de courage suffiraient pour changer en profondeur la structure sociale belge.  » Mais les deux hommes se sont imposé un agenda ambitieux qui ne laisse pas de place à l’échec. Charles Michel martèle un slogan –  » Jobs, jobs, jobs  » – au sujet duquel la réalité semble lui sourire : quelque cent mille emplois ont été créés depuis octobre 2014, se félicite le Premier. Sur le plan budgétaire, par contre, c’est la bérézina : un trou de près de 10 milliards d’euros doit être comblé d’ici à la fin de la législature pour respecter nos engagements européens.  » Un gouvernement de show et de destruction structurelle de la Belgique « , clamait en octobre dernier Elio Di Rupo, président du PS et prédécesseur de Michel.

 » En exposant de façon aussi claire leurs objectifs, les Premiers ministres donnent évidemment aux partis d’opposition le bâton pour se faire battre « , relève le politologue liégeois. C’est de bonne guerre. Bart De Wever, lui, a déjà prévenu : pas question que la suédoise devienne un  » gouvernement en affaires courantes  » jusqu’en 2019.  » Charles Michel n’est pas Jean-Luc Dehaene, mais je l’apprécie beaucoup, dit Kris Peeters. Dans les situations difficiles, il reste calme, il cherche des solutions.  » En ce début 2017, Charles Michel affronte son épreuve de vérité.

6. LA TÊTE DANS LES ÉTOILES

Après ses échecs, Yves Leterme est parti se refaire une santé dans des institutions internationales, d’abord l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), puis l’Institut international pour la démocratie (Idea). Relativement jeune : il avait 51 ans quand il a quitté la politique nationale. Charles Michel a déjà exprimé son désir de s’investir au niveau européen ou international après le Seize. L’an dernier, à l’instar d’un Elio Di Rupo avant lui, le Premier libéral a cherché à l’échelle internationale les satisfactions qu’il ne trouvait plus sur la scène intérieure. Il est toutefois trop tôt pour écrire que son avenir se situe déjà dans les cieux étoilés, à 41 ans à peine…

 » On a vite tendance à dire que nos politiques s’échappent vers l’Europe, alors que cela s’inscrit dans la ligne de leur combat politique, précise Pierre Verjans. C’est une suite logique pour des dirigeants belges maîtrisant l’art du compromis et parlant plusieurs langues.  » Charles Michel suivra-t-il l’exemple des Martens, Dehaene, Van Rompuy, Verhofstadt, Michel père et autres Leterme ?

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