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Charles Michel: « Je ne vais pas me faire déstabiliser… »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le président du MR affirme avoir fait ce qu’il avait promis en arrivant à son poste: pacifier le parti et rompre son isolement politique. Les expressions de déception ou les blessures mal refermées après la déchirure entre deux clans? Elles sont minoritaires, dit-il. Objectif? Continuer le travail avec l’espoir d’un retour au pouvoir.

Les sondages ne sont pas mauvais, est-ce l’euphorie au MR?

Pas l’euphorie, non. Peut-être un sentiment de confiance et que nous sommes sur les bons rails. Depuis deux ans, nous avons participé à la mise en place d’un gouvernement et à une réforme de l’Etat en jouant un rôle pour la solution. Le pays était enlisé. Le PS d’Elio Di Rupo avait choisi de négocier avec la N-VA, sans le MR ni l’Open VLD.
Or, on sentait de plus en plus que la N-VA ne voulait pas participer à un gouvernement fédéral. Je pense qu’il y a eu une sorte d’aveuglement de la part du président du PS à l’époque, peut-être poussé par son envie de mettre le MR dehors. J’ai été, à ce moment, un des premiers, avant d’être le président du MR d’ailleurs, à lancer cet appel pour dire que l’on devait négocier sans la N-VA. Il a fallu quelques mois pour que cela se réalise. Je n’avais pas eu que des compliments quand j’avais fait cette déclaration-là.

En externe et en interne?

Exactement. On a pris des responsabilités et j’ai bien mesuré, en tant que chef de parti, au moment de donner mon accord sur la réforme de l’Etat, que le FDF pouvait choisir de partir. Cet élément a pu donner le sentiment que cela ouvrait un boulevard au PS. Mais nous avions le sentiment que, à terme, cette clarification serait bonne pour le MR. Et c’est ce qui s’est passé.

Au vu des résultats des élections communales et provinciales, on voit que les électeurs du MR ont plutôt apprécié. Aux provinciales, on a conquis cent mille électeurs supplémentaires en Wallonie par rapport aux précédentes. On a vingt bourgmestres MR de plus que le PS, c’est la première fois que cela arrive. Je prends les sondages avec précaution, mais c’est plutôt plus facile quand ils sont bons que l’inverse. C’est un encouragement, mais je suis conscient qu’il reste du chemin à parcourir.

L’objectif est double, c’est de mettre en oeuvre le programme du gouvernement, de mener un travail d’opposition démocratique au niveau des Régions tout en préparant un programme pour 2014. Je m’y attelle.

Avec des accents que vous martelez ces derniers temps: socio-économique, réindustrialisation, réforme fiscale à plusieurs niveaux, PME…

La priorité est celle-là. Cela fait un peu moins de vingt ans que je suis engagé en politique et je ressens un ras-le-bol dans la population, que je comprends bien, de ce sentiment d’un discours politicien qui promet que l’on va raser gratis, que tout va tomber du ciel tout seul. Je suis convaincu que l’immense majorité des citoyens sont prêts, sont capables d’entendre un discours de vérité. Je veux que le MR soit le parti francophone de la vérité. Quand je dis que les gens de ma génération ne pourront plus avoir accès aux préretraites comme la génération de nos parents ou de nos grands-parents, c’est un discours de vérité qui n’est pas sympathique. Mais je crois que l’on doit pouvoir dire la vérité. Nous pensons qu’il faut un parcours d’intégration. Nous avons une ligne claire, nette et nous continuerons à creuser le sillon.

Les communales ont été excellentes au niveau des résultats, mais aussi au niveau politique. Nous sommes sortis de l’isolement. J’avais dit, durant ma campagne comme président, que l’un des objectifs était de remettre le MR en position d’entrer dans des gouvernements et de sortir de l’isolement. Ce n’est pas tout à fait réglé, mais on y arrive.

C’est presque l’amour fou avec Rudy Demotte, le ministre-président socialiste de la Région wallonne, qui vous a introduit récemment au Cercle de Lorraine?

J’apprécie que d’autres formations politiques fassent des compliments sur la sincérité et la crédibilité du message du MR. Même si nous n’avons pas les mêmes programmes. Nous voulons être une force solide et fiable. Ma main n’a pas tremblé au moment de signer la réforme de l’Etat malgré la houle qui a suivi. Tout le parti a suivi. On a aussi été récompensés par les électeurs au niveau local. Politiquement, on a démontré que c’était le programme qui comptait. Quand on fait une majorité avec Françoise Schepmans à Molenbeek ou avec le CDH à Verviers, on le fait sur cette base-là. C’est la démonstration qu’il faut plus de modernité, lutter contre le conservatisme. Ce qui apparaîtra de plus en plus, c’est que le conservatisme, il est du côté du PS et la modernité du côté du MR.

Le conservatisme, c’est le mot à la mode pour critiquer les autres partis. Chacun accuse les autres d’être conservateur…

Nous voulons faire la preuve par les actes. La difficulté du PS, c’est ce grand écart avec un chef de gouvernement qui respecte le programme du gouvernement, qui respecte la trajectoire budgétaire, qui met en oeuvre la réforme du chômage et des retraites, et un parti coincé par la FGTB, par le PTB, qui oscille entre son envie d’une certaine loyauté par rapport au Premier ministre et celle de courir derrière la gauche de la gauche. Que vous mettiez Thierry Giet, Paul Magnette ou Tartempion président f.f., le citoyen n’est pas idiot au sujet de cette crédibilité. L’un soutient le programme du gouvernement, l’autre chante un discours à la Mélenchon et n’est plus très loin de dire qu’il faut quitter l’Europe.
Cela ne me suffit pas. Je ne m’amuse pas des difficultés du PS. Sur le plan démocratique, il est plutôt bon que les deux grands partis soient forts sur le pan des idées. Le MR l’est. On l’a montré avec quelques grands sujets: la neutralité de l’Etat, l’interculturalité, le parcours d’intégration, la sécurité, et surtout sur le socio-économique. Nous voyons les insuffisances depuis dix ans de l’olivier, c’est limpide. Mais je ne veux pas, en 2014, d’une campagne à la Hollande contre Sarkozy. Je veux que l’on vote pour un espoir, pour un projet, dans une démarche de changement.
Beaucoup de citoyens, sans le savoir, partagent 80% du programme du MR. Mais il y a encore un décalage, je le sais, dans la perception. C’est le travail que l’on va continuer à mener dans l’année qui vient. Cela a été entretenu par nos adversaires, d’un parti pas suffisamment dans la proximité, qui ne tient pas assez compte de la dureté de la vie. Au contraire: nous voulons nous battre pour la protection sociale qui s’écroule si, comme cela se passe en Grèce ou au Portugal, on ne prend pas maintenant les mesures nécessaires. On réussit de plus en plus à montrer que conservatisme rime avec socialisme et, dans certains cas, avec syndicalisme. Libéral rime avec social, avec prospérité.
Le libéralisme est par nature une conviction qui se fonde sur l’amour des gens. Le projet libéral est une philosophie qui se fonde sur le fait que l’innovation, la créativité, le travail créent les conditions d’une société meilleure. La solidarité n’est possible que s’il y a de la prospérité. Ce message-là, on avait du mal à le faire passer il y a quelques années en raison d’un amalgame généralisé entretenu avec un certain succès par nos adversaires politiques. On se rend compte que cette ficelle-là, elle ne marche plus.
Nous réalisons pour l’instant un travail très important sur l’enseignement et cela me tient à coeur parce que les libéraux ont toujours été à l’avant-garde sur les questions de liberté de l’enseignement, d’enseignement gratuit, de neutralité… Depuis dix ans, aucun parti n’a effectué un tel travail de fond.

Mais le parti panse ses plaies après le dur affrontement d’il y a trois ans et demi. Certaines sont encore béantes. La rupture avec le FDF est presque déjà intégrée mais au sein du parti, on sent qu’il y a encore des blessures, non?

Je ne partage pas tout à fait ce point de vue là. On a connu, c’est vrai, il y a trois quatre ans une période très difficile au sein du MR. Pas parce qu’il y avait une discordance sur le fond, sur le programme, mais plutôt sur la manière, la stratégie, la question de l’isolement. Cette discussion-là a été tranchée par le suffrage universel des membres. J’ai mis un point d’honneur, on le reconnaît largement, à faire ce que j’avais dit, dans toutes les dimensions. Un: j’ai travaillé pour sortir le MR de l’isolement, pour remettre nos militants et nos mandataires locaux au coeur du fonctionnement du parti. On a beaucoup soutenu les campagnes de proximité au niveau communal. Je fais ça parce que j’ai toujours pensé que la principale force de conviction du MR, ce sont nos 35 000 militants. Nous n’avons pas de syndicats, de mutuelle ou de médias puissants à côté de nous.

Nous avons clarifié la situation avec le départ du FDF et on se rend compte a posteriori que cela a conduit à beaucoup d’apaisement au sein du MR. Je ne dis pas que c’était le principal problème à l’époque, mais quelques-uns au sein du FDF ont dû jouer sur les relations personnelles pour mettre de l’huile sur le feu, cela a pu jouer. Les deux dernières années, le parti a fonctionné avec une concertation parfaitement organisée, on n’a pas le problème du PS. Il n’y a pas le discours d’un MR à la Toison d’or et un autre à la rue de la Loi. Il y a un seul message! Je veux déployer tous nos atouts, tous nos talents, il y a beaucoup de personnes en mesure d’assumer des responsabilités et qui le démontrent tous les jours.

Certains disent que Reynders fait en réalité ce qu’il veut, jusqu’à se déclarer candidat ministre-président bruxellois.

Je ne vais pas me faire déstabiliser par la tentation de certains d’exciter des rivalités personnelles. Ce qui compte, c’est le résultat électoral en 2014 et la capacité de réaliser le projet. Sur Bruxelles, j’ai clarifié les rôles : Didier est à la Chambre et Vincent à la Région. Pour les fonctions de ministres et de ministre-président, Didier et Vincent sont des candidats légitimes et complémentaires. Je rappelle à mes amis qu’il faut d’abord gagner les élections et être dans des majorités et le moment venu, il me reviendra, comme président, de prendre les décisions pour déployer au mieux nos équipes.

Certains disent que vous avez commis l’erreur de récompenser vos ennemis au sein du parti après la déchirure…

Cette expression-là, je la crois très très minoritaire. Je peux comprendre qu’il y ait l’une ou l’autre impatience mais il y a un schéma. Nous sommes au gouvernement fédéral, nous sommes bien placés pour 2014, nous serons tenaces et déterminés. Nous déploierons les forces. Le parti est rassemblé, j’assume toutes mes décisions, toutes, et c’est ce qui nous met dans une situation plutôt positive.

J’ai vu récemment dans Sud Presse un sondage qui nous plaçait premier parti dans le coeur des Wallons, nous sommes le premier dans les sondages à Bruxelles. Qui pense, à l’intérieur du MR, que nous aurions été premier parti sans notre conviction au service de la réforme de l’Etat? Je pense que le parcours depuis deux ans s’est plutôt bien déroulé. Il y a maintenant une dernière ligne droite pendant un an, je n’ai pas l’intention de lever les mains trop tôt ni de me faire déstabiliser par l’un ou l’autre commentaire, par l’un ou l’autre sentiment… Je passe beaucoup de temps au sein du parti pour rencontrer les militants, les sections locales, les parlementaires… pour que chacun se sente bien dans le parti. Il peut y avoir des déceptions, le sentiment que cela n’allait pas assez vite, je comprends ça.

La ligne que le parti adopte est nourrie par deux grandes filiations, celle de votre père et celle de Jean Gol dont Reynders est l’héritier. Avec des tensions entre elles…

Il y a eu, pour une large part, une réécriture de l’histoire qui concerne la génération précédente de Jean Gol, d’Antoine Duquesne, de Daniel Ducarme, de Michel Forêt, de Serge Kubla… pour en faire pratiquement une tragédie shakespearienne. Cela me fait un peu sourire.

Pendant des années, Louis Michel a travaillé en confiance avec Jean Gol. Il a amené une dimension chaleureuse, humaine et donc plus sociale. C’est lié à son parcours personnel, qui le rend plus crédible que d’autres à ce sujet. A aucun moment, ni Didier Reynders ni Jean Gol n’ont contesté ce caractère hautement social du projet libéral. Il y a pu avoir des moments plus difficiles comme la période Antoine Duquesne – Daniel Ducarme, comme cela existe dans tous les partis, dans toutes les sociétés d’hommes et de femmes. Mais sur le fond, il n’y a jamais eu de grande fracture. Des sensibilités, oui, des nuances, des questions de stratégie, mais pas sur le fond.

J’entends encore certains au sein de votre parti utiliser le mot « putsch » pour évoquer votre élection…

Cela m’a blessé d’entendre ce mot, comme quand j’entendais le mot « rebelles », mais aujourd’hui, je lis ça de moins en moins. Nous avons surtout eu le sentiment que l’on tirait une sonnette d’alarme avec beaucoup de respect dans les relations personnelles. Il fallait faire les choses un peu différemment. Aucune élection interne n’a été aussi transparente. C’est un élément qui permet l’apaisement aujourd’hui.

Depuis deux ans, je travaille en parfaite intelligence avec Daniel Bacquelaine qui est chef de groupe, il n’y a jamais eu le moindre couac entre lui et moi. Tous les lundis matins, je réunis les ministres et chefs de groupe, il y a de l’espace pour tout le monde et quand la ligne est arrêtée, on marche tous dans la même direction.

Quel est l’état de vos relations avec Didier Reynders?

Depuis deux ans, nous n’avons aucun problème de discordance. On se parle régulièrement, davantage quand l’actualité l’exige. Par ailleurs, j’organise des réunions des chefs de cabinet, des cellules de communication et, pour définir la ligne, la réunion du « petit bureau » avec les ministres et les chefs de groupe, tous les lundis matins à 9 h 30. J’ai une fibre municipaliste, un parcours où j’ai vu de l’intérieur l’importance des sections locales et des militants qui sont sincèrement engagés même s’ils n’ont pas toujours une perception fine de ce qui se passe rue de la Loi.
Nous sommes condamnés, Didier et moi, à avoir cette image: « Est-ce que vraiment ils s’entendent bien? » Il y aura toujours ce doute, ce soupçon, tant pis. Comme entre Verhofstadt et De Gucht, comme entre Di Rupo et Onkelinx ou Magnette. Quand il y a un grand parti, c’est peut-être inévitable.
Mais à ceux qui mettent en doute, je dis que les élections communales se sont bien passées, que notre communication est objectivement mieux canalisée par rapport à ce qui se passait avant avec le FDF. Le MR est un parti qui a une ligne claire: on soutient le gouvernement, on incarne le changement pour la Wallonie et Bruxelles, et nous sommes à nouveau des partenaires possibles pour tout le monde.

Vous oeuvrez à rompre l’isolement. Qu’est-ce que cela signifie? Une attitude, un discours, beaucoup de contacts?

Un peu de tout ça. J’avais été très marqué par ce qui s’était passé à Bruxelles quand Philippe Moureaux avait décidé de mettre le MR dans l’opposition partout où il pouvait alors que nous étions premier parti dans de nombreuses communes. J’ai la conscience très ancrée que le résultat n’est pas la seule clé, il faut être capable de rassembler. Il est important d’avoir des relations personnelles de qualité. Je distingue le combat des idées de celui des personnes. Rudy Demotte est quelqu’un que j’apprécie beaucoup personnellement, même si je ne suis pas d’accord avec lui sur les idées.

On voit presque les liens de fond qui existent entre vous…

Vous dites ça mais le 1er mai, vous entendez des différences nettes. Si en 2014, la ligne du PS c’est la ligne Magnette, Mélenchon, Demelenne, cela va être très difficile. Ce qui va compter, c’est le programme. Aussi longtemps que Magnette fait des fanfaronnades, mais que le Premier ministre est l’apôtre du programme du gouvernement, on n’a pas de difficultés.

Sur le plan des alliances, j’avais lu avant les communales qu’il y avait des accords PS-MR partout. Le résultat, ça a été Molenbeek, Verviers, Namur… Il y a eu des accords avec tout le monde, le jeu était ouvert. A Molenbeek, le programme de Philippe Moureaux était conservateur. A Verviers, aussi. En 2014, ce sera ce choix-là: celui de la modernité. Aura-t-on comme interlocuteur la FGTB de Demelenne ou un PS qui soutient les PME, qui reconnaît qu’il faut des réformes structurelles, qu’il faut réformer le Forem? Ce sera ça le débat. On ne peut pas savoir comment il évoluera entre l’école de la responsabilité du Premier ministre et l’école du mégaphone incarnée par Paul Magnette. Ce dernier semble avoir fait le choix de gauchiser le parti. Mais les citoyens ne sont pas idiots, ils voient bien qu’il y a deux PS.

Entretien réalisé le 23 mai 2013

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