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Charles Michel : « J’ai agi en délégué syndical »

Il a conquis la présidence du MR de haute lutte, en février dernier. Il s’est mué en croisé des classes moyennes menacées par l’ogre socialiste. Il règle encore ses comptes avec le FDF qui a pris la porte. 2011, année chargée : Charles Michel rend coup pour coup.

Le Vif/L’Express : Si vous aviez eu à choisir le Premier ministre : wallon mais socialiste ou flamand mais libéral ?

Charles Michel : Un libéral… francophone [sourires]. Pour répondre à votre choix, sans hésiter : un libéral flamand. Les libéraux flamands ont démontré leur capacité à trouver une solution sur le plan communautaire, ils ont été les premiers à prendre leurs distances vis-à-vis de la N-VA. Sur le plan socio-économique, le socialisme, a fortiori wallon, peut freiner par son conservatisme le redéploiement du pays.

Elio Di Rupo Premier ministre : a-t-il au moins le profil de l’emploi ?

Pas de commentaires ad hominem. Le MR sera un partenaire loyal et respectueux. Pas de chèque en blanc au Premier ministre, mais une confiance accordée avec beaucoup de vigilance et de détermination.

Son néerlandais approximatif fait jaser, alors que le vôtre réussit à être meilleur.

Ne pas manier de manière assez fluide la langue de la majorité des citoyens est incontestablement une faiblesse chez un Premier ministre. Une génération politique francophone, plus jeune que celle de Monsieur Di Rupo, manie bien le néerlandais et affiche une vraie préoccupation de comprendre dans la nuance les sentiments qui peuvent se développer dans l’opinion flamande.

Les libéraux sont plutôt bien pourvus au gouvernement. Vous êtes content de vous ?

Nous avons fait bouger le curseur : ce programme de gouvernement est clairement de centre-droit. Je suis aussi content que l’on puisse disposer de compétences très importantes. Avec trois portefeuilles ministériels, le MR représente la moitié des ministres francophones.

Une compétence importante vous échappe : les Finances. L’interdit lancé en Flandre sur la reconduction de Didier Reynders, c’était de l’acharnement ?

Le paradoxe et l’hypocrisie, c’est que jamais aucun responsable politique autour de la table des négociations n’a lancé ce genre d’interdit ad hominem. La question s’est simplement réglée sur la base de la clé d’Hondt [NDLR : elle tient compte du poids politique des partis à la Chambre pour l’attribution des postes ministériels.] Le PS avait le poste de Premier ministre, il revenait au CD&V de faire son choix : il a pris les Finances. C’est la règle du jeu démocratique.

Didier Reynders, en « bras droit » de Di Rupo Premier ministre : la cohabitation promet, après tout ce qu’ils ont pu se balancer, entre 2007 et 2009…

Ce sont deux personnalités de grande expérience, qui ont toujours fait preuve d’un grand professionnalisme. Et l’accord de gouvernement est particulièrement précis.

Entrer dans les majorités régionales (PS-CDH-Ecolo) en Wallonie et à Bruxelles : le MR a raté son coup ?

Je n’ai exercé aucun chantage, sinon cela se serait remarqué. Ce sont nos partenaires en négociations qui ont exprimé le sentiment que la présence des libéraux dans l’opposition au niveau régional rendait les choses plus difficiles.

A vous entendre, « l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt » : qui doit se sentir visé ?

L’immense majorité de la population : salariés, indépendants, fonctionnaires, enseignants. Des gens ni riches ni pauvres, qui travaillent ou ont travaillé mais qui sont de plus en plus confrontés à des difficultés liées au pouvoir d’achat. Ce sont les classes moyennes : j’ai mis un point d’honneur à être leur délégué syndical à la table des négociations. Parce que je n’ai pas eu le sentiment de la même préoccupation à leur égard, loin de là, chez les autres partenaires. J’ai plus senti un PS très coincé sur les positions de la FGTB, donc des allocataires sociaux, des prépensionnés.

Vous ne sous-entendez pas, par hasard, que les chômeurs, eux, « se lèvent tard » ?

Il ne s’agit en aucun cas de culpabiliser les chômeurs. A la limite, on ne peut pas vraiment en vouloir à beaucoup de concitoyens qui sont au chômage : ils savent parfaitement bien, dans le modèle actuel, que retrouver le chemin du travail leur offrira de moins bonnes conditions de vie qu’en restant au chômage.

Vous avez rendu célèbre « Walter le libraire » de votre quartier : c’est l’indépendant modèle ?

Non, il est à la fois salarié et indépendant. Quelqu’un de courageux, qui se lève tôt, travaille beaucoup et fait attention à ses fins de mois. Le type même de personnes qui étaient durement touchées dans les propositions du formateur socialiste Di Rupo. J’ai cité son nom spontanément, en réponse à Laurette Onkelinx qui s’en prenait aux Porsche de société. Cette caricature de l’indépendant entretenue par la communication socialiste : indépendant = richissime = super-fraudeur ! Mensonges !

Frauder, est-ce de la légitime défense face à l’impôt ? C’est un discours souvent entendu parmi les indépendants.

La fraude dans certains secteurs est aussi un effet collatéral, mais non légitime, d’une pression fiscale parfois trop lourde. « Trop d’impôts tue l’impôt » : la formule est connue et juste. Mais autour de la table des négociations, le MR et l’Open VLD étaient bien seuls sur cette ligne-là.

FDF-MR : c’est fini. Et bien fini ?

Le FDF m’a sollicité pour maintenir les groupes techniques à la Chambre et à la Fédération Wallonie-Bruxelles : j’ai refusé. Il faut être conséquent, cohérent : on ne peut à la fois sortir d’un schéma de solution en prenant des positions très analogues à la N-VA, et vouloir encore partager une collaboration avec un parti, le MR, qui a choisi la solution plutôt que le chaos.

Le divorce était-il évitable ?

J’ai ma conscience et mes convictions en paix. J’ai été d’une parfaite loyauté avec le FDF lors des négociations : mais quand, à un moment, votre téléphone sonne dans le vide, il faut en tirer les conclusions.

Vous avez bien calculé le risque pris en perdant le FDF ?

Le MR est en reconstruction, sur la base d’une logique de solution et jamais de chaos. Cette crise politique a été aussi la conséquence de quelques acteurs clés qui ont chaque fois choisi de jouer au valet noir. C’est amusant pour les enfants, irresponsable en politique. Aujourd’hui, le MR n’est plus en permanence embarrassé médiatiquement par des petites sorties qui avaient manifestement pour objet de perturber son positionnement.

Vous êtes en train de nous dire que le FDF cherchait délibérément le chaos ?

J’observe qu’un choix a été fait, il y a deux ou trois ans, à partir du président du FDF. Il consiste à parier sur l’échec, à démontrer le caractère ingouvernable de la Belgique. Avec quel agenda caché ? Je l’ignore. Mais les programmes de la N-VA et du FDF comptent beaucoup de points communs.

Difficile à croire que le MR n’ait rien vu venir : pourquoi avoir fermé les yeux si longtemps ?

Quand Olivier Maingain devient tête de liste MR à Bruxelles, il prend mécaniquement une influence personnelle disproportionnée à l’intérieur du MR. Systématiquement, le président du FDF piétine un principe fondateur de la fédération MR-FDF-MCC : sa communication est discordante et menée sans débat interne. Puis il y a cette tentative d’implantation en Wallonie menée en dehors de toute concertation. Enfin, le choix du FDF de sortir des négociations, de se livrer à des agressions médiatiques avant même la conclusion de l’accord : je m’interroge sur la préméditation du geste de rupture du FDF. J’ajoute : la représentation de FDF sur Bruxelles, en termes de mandats, est totalement disproportionnée, donc non démocratique, par rapport à son poids électoral.

Après le temps de la guerre des clans, le MR est-il en voie de normalisation ?

La page est tournée depuis mon élection à la présidence. Je ressens une forte cohésion dans les moments difficiles. J’ai senti un MR qui se serrait les coudes derrière moi lors de la rupture avec le FDF. Je travaille à remettre le MR au centre du jeu politique, à ne plus en faire un parti ostracisé.

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

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