Charles Michel est-il apte pour le job de Premier ministre ?
Jamais encore, le gouvernement Michel n’avait traversé une crise aussi grave que celle liée au budget. On aurait dit un bras de fer entre le CD&V et les autres partenaires flamands de la coalition, mais après la crise, tous les regards étaient braqués sur le Premier ministre Charles Michel. Est-il apte pour ce job ?
Jeudi, le Premier ministre Michel est venu défendre sa politique à la Chambre. La majorité avait décidé de ne pas entrer en discussion avec les ténors de l’opposition tels que Kristof Calvo (Groen), Raoul Hedebouw (PTB-PVDA) et Meryame Kitir (SP.A). Elle a opté pour une technique inhabituelle : les applaudissements nourris, une tactique pour reléguer les critiques contre l’opposition au second plan, mais aussi pour passer aux nouvelles. Et cette stratégie a réussi. « Les applaudissements après le discours du premier ministre n’étaient pas si spontanés », a déclaré un parlementaire éminent. « En fait, nous n’applaudissions pas pour le Premier ministre, mais pour cette majorité. Donc pour nous. »
Interrogé par Het Laatste Nieuws, Johan Vande Lanotte a déclaré au sujet de la crise budgétaire : « Je pourrais dire que les trois partenaires flamands de la coalition ont ridiculisé Charles Michel. (…) Jeudi, il m’a presque fait pitié, à supplier un peu de bonne volonté de la part de ses partenaires. Entre-temps, Bart De Wever (N-VA) s’est retiré pour lire son journal à l’aise. Une image fatale. Même s’il survit à cette situation, Charles Michel reste un canard boiteux. »
Comme Vande Lanotte fait partie de l’opposition, il n’est guère étonnant qu’il pourfende le Premier ministre. Curieusement, en off certains députés de la majorité, surtout les plus expérimentés, accablent Charles Michel, le plus jeune Premier ministre qu’il y a jamais eu. Ils voient d’un mauvais oeil que Charles Michel se transforme en « leader de l’émocratie ». Ils remarquent que ce n’est pas la première fois qu’un dossier pourrit sous les yeux de Charles Michel. Ce n’est que quand la situation menace de dégénérer complètement – et que les querelleurs comprennent qu’ils se mettent dans une position intenable – qu’il intervient, de préférence en jouant sur les émotions, comme jeudi à la Chambre. « Pathétique », a déclaré Karel De Gucht (Open VLD). « L’intervention de Charles Michel à la Chambre était, euh, un peu trop théâtrale, non ? »
Un premier ministre ému peut bien « passer » à la radio et à la télévision. Contrairement à son prédécesseur Elio Di Rupo (PS), Charles Michel est populaire dans les sondages. Même en Flandre, il obtient de bons résultats. Il n’y a probablement jamais eu d’homme politique francophone aussi populaire au nord du pays que Charles Michel, peut-être aussi parce qu’il parle convenablement néerlandais. « Mais sur le dos de sa propre majorité », dit-on au sein des partis du gouvernement.
Tous les nouveaux Premiers ministres vivent quelques mois d’état grâce où rien ne peut leur arriver. Dans le cas de Charles Michel, cet état de grâce a duré presque deux ans : jusqu’à il y a peu de temps, toutes ces interventions étaient accueillies avec bienveillance. C’est peut-être dû en partie aux attentats terroristes. En janvier 2015, trois mois après sa prestation de serment, Charles Michel se trouvait au premier rang entre les autres leaders du monde appelés à Paris par François Hollande. Quand la Belgique a été touchée à son tour, Michel a appelé le pays à refermer les rangs. Dans ce climat, l’intervention et le fonctionnement du chef du gouvernement n’ont jamais été mis en cause.
Image cultivée
Tout le monde le dit, Charles Michel est agréable à rencontrer. Sa méthode de travail, baptisée ‘Méthode Michel’, a certainement contribué à son image de Premier ministre zélé : il examine d’abord les dossiers en profondeur, de préférence en tête à tête avec le ministre concerné, et ensuite il aborde la question au gouvernement, plusieurs fois, jusqu’à ce que tout le monde soit plus ou moins d’accord. Michel n’aime ni les conclusions rapides, ni forcer : ce n’est pas comme ça qu’il fonctionne.
Parmi les partis flamands au gouvernement – il n’y a qu’un parti francophone, le MR du Premier ministre – on entend de plus en plus que la stratégie de Michel n’est pas dénuée d’intérêt personnel. On sait pourquoi: chaque jour où il est Premier ministre, est une journée de gagnée. Plus longtemps il reste Premier ministre, plus il devient incontournable. Et plus il devient l’homme politique le plus important de Belgique francophone, moins Elio Di Rupo (PS) le devient. En Flandre, cela devient : plus longtemps Charles Michel reste Premier ministre, moins on entendra la ritournelle que c’est en fait le gouvernement De Wever.
Même si Michel aime cultiver qu’il est un Premier ministre au-dessus des partis du gouvernement et de la frontière linguistique, il ne peut nier qu’il doit travailler dans un pays séparé qui possède ses propres lois. Une source du gouvernement : « Il fait semblant d’être le leader désintéressé du gouvernement belge, mais au fond, il est prisonnier de la même logique qu’Elio Di Rupo. Quand Di Rupo est devenu Premier ministre, il a déclaré : « Je ferai tout pour que le CD&V et l’Open VLD puissent remporter des succès, car c’est la seule façon pour eux de se mesurer à la N-VA ». Ces belles paroles stratégiques n’ont pas résisté à la réalité quotidienne : dans la politique belge, c’est la politique à court terme qui domine. Les soucis tactiques l’emportent toujours sur les considérations stratégiques. Pour Charles Michel, c’est pareil que pour Di Rupo. En fin de compte, c’est un homme politique dont le pouvoir dépend du nombre de voix qu’il obtient dans sa région. La Belgique francophone donc.
C’est également la raison pour laquelle il n’intervient pas dans les discussions systématiquement provoquées par les partis du gouvernement flamands. Il ne veut pas se brûler. Il ne veut pas être aspiré dans la boue flamande. En partie parce qu’il ne comprend pas toutes finesses des discussions entre ses vice-Premiers ministres Jan Jambon (N-VA) et Kris Peeters (CD&V), en partie parce qu’il traîne déjà la réputation d’être le serviteur ultime de l’Etat belgo-flamand, une Belgique dominée par la Flandre.
Didier Reynders
De plus en plus, on a l’impression que le Premier ministre et son parti pourraient être victimes de leurs « sous-performances ». Ils pourraient faire mieux, mais ils n’y arrivent pas. Michel ne peut pas compter sur de solides ministres, à l’exception de Didier Reynders, un homme politique intelligent, rusé et très expérimenté. Si Reynders va au bout de cette législature, il aura été membre du gouvernement fédéral sans interruption pendant vingt ans, et toujours à des postes importants : comme vice-Premier ministre et ministre des Finances ou des Affaires étrangères. Une semaine avant de conclure les négociations budgétaires, Reynders a déclaré qu’à ses yeux il y avait un accord : le budget était bouclé, le reste pouvait attendre. Et c’est ce qu’il s’est passé.
Le gouvernement Michel tient toujours compte de Reynders, au point qu’il arrive qu’une source de la majorité soupire : « Reynders aurait fait un meilleur Premier ministre que Michel. » Même s’il est souvent à l’étranger, on ne conclut pas d’accord sans qu’il donne son consentement.
Pour le reste, ce n’est pas la gloire parmi les ministres MR. C’est Willy Borsus, le ministre de l’Agriculture, des Indépendants des Classes moyennes et des Petites et moyennes entreprises qui fait la meilleure impression. On le décrit comme un travailleur jovial et silencieux. Daniel Bacquelaine est le ténor liégeois du MR et ami de Reynders – leurs cabinets sont dans le même bâtiment. La nomination de Bacquelaine, âgé de presque 64 ans, est vue comme un cadeau de fin de carrière. Finalement, il y a encore Marie-Christine Marghem, ministre de l’Énergie, de l’Environnement et du Développement. Elle gère un dossier important, mais elle a la réputation d’être têtue et de ne pas briller par sa connaissance du dossier.
En outre, les libéraux francophones ont dû remplacer deux ministres en deux ans. D’abord le ministre du Budget, Hervé Jamar, un homme qui a admis ne rien savoir des budgets. Il a choisi une existence plus calme de gouverneur de Liège. Selon les mauvaises langues, son successeur, Sophie Wilmès, doit sa carrière à son père, Philippe Wilmès, économiste éminent et l’un des rares confidents francophones de Dehaene. La fille de Wilmès est qualifiée d’aimable et intelligente, mais sans poids politique. On l’a vu lors des négociations budgétaires.
Il y avait aussi la ministre de la Mobilité Jacqueline Galant, qui a négligé les règles pour les appels d’offres et qui a été piégée par ses affabulations. Elle a dû démissionner en avril. François Bellot a succédé à Jacqueline Galant. Il a longtemps fait profil bas, mais vendredi, il a déclaré tout à coup qu’il allait instaurer unilatéralement le service minimum lors des grèves de la SNCB. On s’attend à une partie de bras de fer avec les syndicats des chemins de fer.
« En plus, la plupart des membres du MR ne parlent pratiquement pas le néerlandais », a déclaré un membre de la majorité. « Du coup, ils ne savent pas suivre la plupart des discussions, ou s’étonnent quand on leur soumet les textes : ce n’est qu’alors qu’ils réalisent ce qu’ils ont approuvé lors d’une réunion. Le résultat, c’est que le MR n’est pas un parti du gouvernement sur lequel on peut construire. Un accord est rarement un accord, un « oui » peut toujours devenir un « peut-être », ou même un « non ». Si le MR semble rendre possible le travail du gouvernement, à l’instar de son Premier ministre, en réalité il est surtout un fardeau. Qu’il n’ait pas l’animosité d’un « kibbelpartij » (parti de chamailleries) – le mot n’existe même pas en Wallonie – , vient du fait que ce soit le seul parti wallon du gouvernement. Il n’y a personne avec qui il peut se chamailler.
Un parti populaire de centre droit
C’est une constatation étonnante, mais le Premier ministre Michel est à peine contredit par les partis francophones de l’opposition. Raoul Hedebouw (PTB-PVDA) est de loin l’opposant verbal le plus fort. Même s’il s’en prend vivement à ce gouvernement de droite, le seul parti francophone du gouvernement n’est pas sa véritable cible. Hedebouw est maître du jeu des trois bandes : il fait comme s’il visait le gouvernement, mais en fait il vise le PS. Il réussit à merveille, vu la hausse de son parti dans les sondages. À cela s’ajoute que le CDH, Ecolo et Défi perdent dans les sondages : non au MR contre qui ils mènent l’opposition, mais au PTB qui atteint environ 15% des voix, et qui deviendrait le deuxième parti du sud du pays. Alors que Hedebouw réussit à grignoter le flanc gauche des partis de centre, Charles Michel exerce trop peu d’emprise sur l’aile bourgeoise du cdH ou de Défi pour faire la même chose que le jeune membre du PTB.
Selon les estimations les plus optimistes, le MR se maintient dans les sondages. Aujourd’hui, il tourne autour des 23%, mais en 2007, il atteignait encore plus de 30%. Le MR ne réussit pas à transformer la politique du gouvernement en voix supplémentaires, et ne peut profiter du bonus du chancelier – le fait qu’il fournit le Premier ministre.
Le MR est le seul parti francophone à avoir fait partie sans interruption du gouvernement fédéral. Et grâce au MR, c’est également le cas pour l’Open VLD. Mais qu’apportera l’avenir pour Charles Michel et le MR ? Pour Reynders, il est presque certain qu’il succédera à Thyssen au poste de commissaire européen et qu’il réalisera ainsi un vieux rêve. Mais le MR peut-il prendre la mesure du PS, et devenir indispensable pour la prochaine décennie ?
Louis Michel a d’ores et déjà appelé dans La Libre Belgique à fonder un grand parti populaire de centre droit avec le cdH et le MR, qui peut former une alternative solide au PS. Selon les derniers sondages, les chrétiens-démocrates du cdH obtiennent encore à peine 6,5% des voix à Bruxelles et seulement 10,5% en Wallonie. Pour le MR, cela pourrait être une garantie de rester au pouvoir pendant des années, et permettre à Charles Michel de rester premier ministre encore quelques années. La comparaison établie par Louis Michel entre son fils et Wilfried Martens tiendrait debout. Or, même parmi les critiques nationalistes flamands du Pallieterke, Martens était surnommé « Son Évidence » ce que Charles Michel ne peut pas dire de lui-même : après à peine deux ans au poste de chef du gouvernement, sa position n’est vraiment plus incontestée, encore moins évidente.
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