Olivier Mouton

Charles Michel, entre Trump et Trump

Olivier Mouton Journaliste

Le Premier ministre accuse l’opposition de  » trumpisme « , tandis que De Wever fait de son Trump. Et si la Belgique évoluait vers une situation à l’italienne ?

Charles Michel dénonce la « trumpisation » de la gauche francophone. Telle est l’annonce de l’entretien que le Premier ministre accorde ce week-end au quotidien Le Soir. Voilà en réalité l’élément de langage que les libéraux francophones utilisent désormais, alors que l’on rentre de plus en plus clairement en campagne électorale. Trumpisation ? Il s’agit évidemment de faire référence aux outrances du président américain pour dénoncer les « excès » du PS, d’Ecolo et du PTB.

Rendons à César ce qui appartient à César : le premier à avoir utilisé cette métaphore fut le vice-Premier MR Didier Reynders, après avoir été poussé dans ses derniers retranchements dans l’affaire du Kazakhgate. Depuis, les responsables libéraux reprennent la formule tel un slogan. Charles Michel a utilisé cette image au Parlement européen pour contre-attaquer face aux propos de l’eurodéputé Ecolo Philippe Lamberts, qui accusait le MR de subir la mauvaise influence de la N-VA : « Vous êtes en train de glisser vers le populisme, l’extrémisme, ce n’est pas digne de votre parti ». La métaphore sert aussi, de façon idéale, à Charles Michel pour dénoncer le bilan socio-économique négatif dressé par le PS ou à Daniel Bacquelaine pour rejeter les caricatures syndicales sur la réforme des pensions.

Trumpisme de la gauche ? Charles Michel serait toutefois bien inspiré de regarder sur sa droite et prendre garde à un autre u0022trumpismeu0022 venu de Flandre.

Le climat est à la campagne électorale en vue des communales d’octobre prochain et, déjà, des législatives de mai 2019 – pour autant qu’elles ne soient pas anticipées. Le numero uno du gouvernement fédéral veut défendre son oeuvre, ses « jobs, jobs, jobs » et sa réforme structurelle du pays. Contre l’immobilisme prôné par le « trumpisme » de gauche. Si le terme est excessif, ou à tout le moins mal placé, il est vrai que l’opposition francophone a transformé – volontairement – le parlement en un grand cirque, aux multiples confrontations et aux envolées tranchées.

Trumpisme ? Charles Michel serait toutefois bien inspiré de regarder sur sa droite et prendre garde à un autre « trumpisme » venu de Flandre. Bart De Wever, président de la N-VA, a entamé sa marche en avant vers les prochains scrutins en brandissant l’immobilisme belgo-belge pour justifier sa vieille feuille de route confédérale. Notre pays ne serait pas assez déterminé à réduire son endettement. Il manquerait d’une vision à long terme comme en témoigne le débat énergétique. Et il s’abriterait beaucoup trop derrière le parapluie européen – une critique à peine larvée de la volonté michelienne d’être dans « le cockpit européen ». Quand De Wever fait mine d’être intéressé par le poste de Premier ministre belge, c’est bien pour mener le pays vers le confédéralisme. Et quand le locataire du Seize ironise sur l’intérêt soudain de Bart De Wever pour la Belgique, il cache mal une irritation de plus en plus récurrente à l’égard des sautes d’humeur du bourgmestre d’Anvers.

Tout cela préfigure du combat de coqs qui va se jouer d’ici à 2019 entre deux visions du pays, entre deux camps qui se nient, entre une droite populiste flamande aux relents eurosceptiques de plus en plus affirmés et une gauche francophone radicalisée par le PTB, à la recherche d’un autre modèle pour l’avenir. Tout cela annonce inévitablement, dans la foulée, un bras de fer potentiellement compliqué pour l’après-scrutin entre deux parties du pays aux opinions démocratiques fort différentes. Avec le MR comme arbitre, un rôle qu’il aime cultiver tant il lui permet de se présenter comme une force du centre-droit, réaliste – encore faudra-t-il que cela parle aux électeurs…

Un coup d’oeil à l’actualité internationale de ce vendredi permet d’ancrer ces perspectives belgo-belges dans un contexte plus large. En Italie, le Mouvement 5Stelle et la Ligue ont présenté un programme commun, aux accents proprement hallucinants. La « gauche populiste citoyenne » et la droite post-fasciste – si l’on peut qualifier de la sorte ces deux partis radicaux – se sont entendus sur un compromis qui prévoit, pêle-mêle, une baisse drastique de la fiscalité, un revenu universel, une augmentation des expulsions, une priorité italienne tous azimuts, une politique étrangère souverainiste et des liens renoués avec la Russie… Les sources européennes tombent à la renverse sur l’impact budgétaire qu’aurait la concrétisation – peu probable – de cette liste à la Prévert. Ce programme est toutefois l’expression la plus claire à ce jour d’un populisme triomphant qui se nourrit de l’incapacité de nos démocraties à apporter des réponses aux angoisses actuelles.

L’impact de cette alliance eurosceptique ne doit pas être sous-estimé. Par le passé, l’Italie a souvent représenté un laboratoire politique pour l’Europe. Les systèmes électoraux à la proportionnelle, tant à l’oeuvre en Belgique qu’en Italie, ont plongé à plus d’une reprise nos deux pays dans des réalités proches : crises, compromis, décisions peu lisibles, fractures Nord-Sud…. Cette fois, il faut bien sûr se pincer pour croire à l’avènement de ce nouveau gouvernement à Rome. Mais en prenant un peu de recul, on peut y voir la naissance d’une lame de fond. Le reflet d’une polarisation du paysage entre deux ailes radicales appelées un jour à s’entendre. En Belgique, aussi ? Charles Michel, alors, serait pris en tenaille… Entre Trump et Trump.

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