Luc Delfosse

Charles et les termites

Luc Delfosse Auteur, journaliste

A quel titre, Charles Michel restera-t-il dans l’Histoire ? Comme l’homme d’une folle audace qui a osé la rupture idéologique en négociant un gouvernement homogène de droite?

Une sorte de nouveau Martel boutant un PS archaïque et absolument médusé (Di Rupo était bel et bien persuadé que le CD&V le choisirait in extremis…) dans ses bastions régionaux ? Ou, victime d’une hallucination à la Neville Chamberlain, sera-t-il le leader politique qui pour forcer coûte que coûte les portes du pouvoir et réussir l’électrochoc dont le royaume aurait besoin, s’est allié à un parti que lui-même et tous les barons du MR jugeaient encore « innommable » il y a six mois ?

A la vérité, à la lecture de l’accord de gouvernement et au vu de la répartition des maroquins au sein de cette équipe littéralement phagocytée par la NVA, on voit mal comment Michel Junior pourra éviter d’apparaître comme un chef de gouvernement croupion. Une sorte d’éleveurs de termites qui aurait amené et disséminé au coeur de la structure fédérale, ses ennemis les plus mortels. Lesquels termites s’accommoderaient fort bien ma foi de la présence de quelques doryphores. C’est que le « V » de la victoire brandi lors de la prestation de serment devant le Roi en disait déjà long sur l’état d’euphorie abject et cynique des ministres de Bart De Wever. Cependant, la petite phrase de Jan Jambon à La Libre/La DH de ce lundi éclaire d’un jour encore plus cru leur état d’esprit:  » La collaboration a été une erreur. Le mouvement flamand a été isolé pendant des dizaines d’années », déclare le vice-Premier et ministre de la Sécurité. Pas une faute meurtrière donc, non une simple… boulette tactique en quelque sorte que le numéro deux du gouvernement se croit autorisé à masquer d’un coup de ripolin en usant de l’une des ficelles favorites des négationnistes. Et sans le moindre mot d’excuse ou même de regret, bien entendu.

Le Premier ministre ne fait pas le poids. Son gouvernement lui a été imposé jusqu’à l’humiliation

En fait « d’erreur » on ne nous enlèvera hélas pas de la tête que Michel Junior a commis d’entrée de jeu une bourde énorme en ne mettant pas dans la balance son veto à la nomination de Jambon. Au lieu de quoi, il nous faut assister, médusés, à cette « clarification » honteuse, à coup sûr orchestrée dans les médias. Or que nous révèle-telle, au-delà de son caractère spécieux? Tout simplement que dès les premières heures de son mandat, le Premier ministre ne fait pas le poids. Que cet attelage dont il est le meneur sur papier, lui a été imposé jusqu’à l’humiliation. Que, pour tout dire, la Flandre en général et la NVA en particulier le tient en otage comme elle tient dans un rapport de force insolent ce qui devrait être le dernier gouvernement fédéral de ce pays. Un « gouvernement rêvé » pour reprendre le cri du coeur du président de la NVA. Un gouvernement De Wever- Peeters-De Block pour appeler les choses par leur nom.

Ainsi assujetti et encadré du dedans comme du dehors, pesant moins d’un quart de l’électorat francophone, contesté jusqu’au sein de sa propre famille politique, navigant dans un contexte économique désastreux et un environnement social qu’il va rendre immanquablement explosif s’il veut mener à bien la révolution copernicienne annoncée, Charles Michel en sera réduit à jouer le rôle de « frappe devant » de « poisson pilote » de bouclier ou, pire, de leurre d’une coalition flamande où la NVA, sans états d’âme, donne le « la » et débranchera l’orchestre dès qu’elle jugera opportun de déclarer que ce pays est décidément ingouvernable et qu’il faut passer à autre chose.

En fait de coup de poker, Charles Michel a joué depuis le début avec des dés pipés, marqués par ses voisins de table. Plutôt que de se retrouver dans le rôle d’éleveur de chevaux de Troie, il aurait été à tout le moins mieux inspiré comme on se tue à le répéter depuis le début de l’été, de laisser Bart De Wever, le vainqueur absolu des législatives, aux commandes plutôt que de lui concéder ce rôle plaisant de montreur de marionnettes. Les marionnettes ne rentrent jamais dans l’Histoire. Si ce n’est un pantin de bois au nez télescopique qui rêvait de devenir un homme.

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