Carte blanche

Changer de culture politique, c’est possible

2018 a bien failli sonner le glas des protestations citoyennes sur la mauvaise gouvernance. Les désaccords sur le pacte énergétique ou les sorties médiatiques de Théo Francken sur la politique d’asile ont largement éclipsé ces derniers temps les questions sur la crise de confiance des citoyens envers leurs représentants.

Pourtant, si on écoute les voix qui s’élèvent et qui grondent toujours sur les réseaux sociaux, il est indiscutable que les espoirs de réformes du système politique sont encore bien présents.

Aujourd’hui la question n’est plus de savoir si ces exigences sont légitimes, mais bien de voir si elles vont arriver à se structurer pour devenir claires, fédératrices et surtout audibles par une classe politique en pleine tourmente identitaire.

A l’heure où la communication émotionnelle est prédominante et où les avis se forgent en « tweettant », le défi est d’arriver à prendre du recul, à sortir des considérations idéologiques pour se concentrer sur la « mécanique » du système. Il faut dépasser la résignation ambiante pour analyser sereinement l’état de nos institutions et formuler un tronc commun de revendications réalistes. C’est par là que les citoyens engagés dans ce combat gagneront en force et en crédibilité.

Car même si les scandales qui ont égrainé l’année 2017 ont largement alimenté la colère et le ras-le-bol de la population, ils ne sont en fin de compte que des épiphénomènes issus des dysfonctionnements mêmes du système politique et ils se reproduiront tant que leurs véritables causes n’auront pas été clairement identifiées.

Lutter contre les dérives et en chercher les origines.

Face aux scandales, de nombreux citoyens se sont organisés, chacun à leur manière. Certains de façon concrète et pratique en mettant en place des outils pour lutter contre les dérives. C’est ce que font des initiatives comme Cumuleo qui dénonce le cumul des mandats, Transparencia qui oeuvre pour la transparence des documents publics, Anticor qui lutte contre la corruption, We Citizens qui propose un GPS électoral ou encore Trop is te Veel qui a rédigé un manifeste de bonne gouvernance inspiré des recommandations de l’OCDE(1) et du GRECO(2).

D’autres, c’est la voie qu’empruntent des mouvements comme Belvox, en développant une plate-forme numérique de réflexion, de débat et d’échange entre les citoyens afin d’identifier les origines des dérives, de s’accorder sur les véritables attentes des citoyens et de proposer des solutions structurelles en s’appuyant sur l’expertise de spécialistes, politologues, juristes ou historiens.

Et enfin, d’autres encore se sont lancés dans la création d’un parti politique pour essayer de mobiliser lors des élections et d’obtenir un nombre suffisant d’élus que pour changer les paramètres du système « de l’intérieur ». C’est ce que tentent de faire EnMarche.be et Oxygène.

Des divergences, mais de nombreux points communs.

Si les méthodes divergent dans la concrétisation de ces réactions citoyennes, il y a toutefois de nombreuses convergences à relever et à épingler.

L’éthique et la moralisation de la vie politique sont la base de tout. Pour être représentatifs, rester des leaders d’opinion et retrouver la confiance de la population, les élus doivent être irréprochables. Il ne doit pas être laissé à leur propre responsabilité de s’auto-gèrer et de s’auto-contrôler. Il est donc nécessaire de renforcer les exigences déontologiques en les assortissant de contraintes et de sanctions.

La transparence est essentielle. L’opacité d’un système ne peut amener que la méfiance. Pour garantir la sérénité du travail politique et lutter efficacement contre les conflits d’intérêts, les détournements d’argent public, la mauvaise gestion ou la corruption au sens large, il est impératif de travailler à livres ouverts et de garantir le libre accès à tout document public.

La démocratie ne doit pas être une particratie. Par essence, la particratie est clivante et ne se base que sur la confrontation, la polarisation des idées et l’instrumentalisation des émotions à des fins politiciennes.

Les partis politiques doivent porter un projet de société et des valeurs. Mais parce qu’aucune idéologie n’a le monopole des bonnes idées, ils ne doivent jamais prendre le pas sur les prérogatives, la liberté et l’objectivité des élus.

Il est temps de redonner toute sa place à la délibération dans le débat politique. C’est indispensable pour que les hommes et les femmes politiques puissent sortir de l’émotionnel, de la communication immédiate et des impératifs électoraux et partisans.

Les citoyens doivent être informés, consultés et entendus.

C’est connu, la Belgique a le plus complexe et le plus obscur système politique jamais mis en place. C’est sans doute aussi ce qui explique le peu d’intérêt des citoyens pour la politique. Il serait salutaire de prévoir des mécanismes d’éducation, d’information et de vulgarisation pour permettre ensuite aux citoyens de participer au débat, d’interpeller leurs élus, de les contrôler voire de les révoquer.

Des solutions réalistes validées par des experts

Toutes ces questions doivent être examinées et leurs réponses doivent reposer sur la recherche du bien commun et de l’intérêt général.

Les pistes de réflexion existent sur la déontologie, le décumule des mandats, le contrôle des rémunérations, la limitation dans le temps des fonctions politiques, le rôle des partis, la participation citoyenne par referendum, panels ou même par tirage au sort, la prise en compte des votes blancs aux élections, la rationalisation des institutions et le renforcement des administrations ou encore l’éducation à la politique et aux médias.

Du côté des citoyens, ce grand débat démocratique est lancé. Maintenant il s’organise. Il est serein et constructif, loin des colères initiales et des « chasses aux sorcières ». Il est même validé et encouragé par des politologues comme Jean-Benoît Pilet à l’Université Libre de Bruxelles ou Min Reuchamps de l’Université Catholique de Louvain, tous deux confirmant la nécessité d’initier la réflexion et assurant qu’elle ne peut venir que des citoyens.

Reste à voir le choix que les politiques feront face à l’unique alternative : rester murés dans leurs certitudes avec le risque de dégrader encore plus la situation et de devoir en assumer seuls les conséquences, ou accepter sereinement de participer à cette indispensable transition vers une nouvelle culture politique.

Alors peut-être qu’en Belgique aussi on pourra confirmer ce que disait l’anthropologue américaine Margaret Mead : « Ne doutez jamais qu’un petit groupe de gens réfléchis et engagés puisse changer le monde. En fait, c’est la seule chose qui ait jamais réussi. »

Stéphane Michiels

Fondateur de Belvox.org

(1) L’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) est une organisation internationale d’études économiques, dont les pays membres ont en commun un système de gouvernement démocratique et une économie de marché. Elle joue essentiellement un rôle d’assemblée consultative.

(2) Le GRECO (groupe d’États contre la corruption) est un organe du Conseil de l’Europe, créé en mai 1999 pour améliorer la capacité des États membres à lutter contre la corruption et qui réunit 45 pays européens et les États-Unis.

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