Gérald Papy

Chances et périls d’une révolution

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

UNE RÉVOLTE N’EST PAS L’AUTRE. En Tunisie, la souffrance des « sans-emploi – sans avenir », la soif de liberté de la jeunesse et le ralliement de l’armée aux aspirations du peuple ont balayé en un mois le président Ben Ali et sa clique.

Hors le Premier ministre, les anciens caciques du régime ont été écartés du pouvoir. Des « résidus » de violences ne sont pas à exclure. Mais la transition démocratique ne semble pas pouvoir être confisquée. Le défi de la révolution égyptienne est d’une autre dimension, à la mesure d’un Etat qui, avec ses 84 millions d’habitants (10 millions en Tunisie), est un leader du monde arabe et joue un rôle clé dans les relations israélo-palestiniennes. Refusant un retrait immédiat, le raïs Hosni Moubarak agite le spectre du chaos dont ses agents ont orchestré les prémices sur la place Tahrir. Les hauts gradés militaires s’accrochent aux prébendes que leur offre la position de l’armée au coeur du régime, et une partie de la population redoute de sacrifier les acquis de la croissance économique (7,2 % en 2008) pour les bénéfices incertains d’un changement démocratique.

Et pourtant, tout indique que c’est l’ensemble du monde arabe qui est à l’aube de changements fondamentaux et qu’il y aura bel et bien, de Rabat à Damas, un avant et un après-14 janvier (date de la chute de Ben Ali). Cette formidable émancipation et émulation démocratique ne peut pas être, ne doit pas être entravée. Certes, la démocratisation du Moyen-Orient n’est pas sans « risques de chaos » (dixit la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton). Certes, « une force islamiste bien organisée est en mesure de s’emparer du pouvoir dans un pays en proie au chaos » (le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou). Certes, l’instabilité dans la région peut avoir « un impact négatif sur l’économie, entraînant de l’immigration illégale en Europe » (le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen). Mais l’émergence d’une véritable démocratie dans les pays arabes peut aussi diminuer la corruption, favoriser le développement économique, éviter une explosion sociale, prévenir de nouveaux flux migratoires, priver d’arguments les bonimenteurs de l’islamisme radical, promouvoir un islam politique à la turque, encourager les partenariats entre Etats et, qui sait ?, apporter paix et progrès à cette région souvent brocardée comme la dernière à être imperméable aux vertus de la modernité. La démocratie peut être l’aiguillon de cette mutation, pas des dictatures gangrenées par le conservatisme et la mauvaise gouvernance.

D’ailleurs, le chaos annoncé peut être évité. Ce ne sont pas les islamistes qui ont lancé la contestation contre les régimes décrédibilisés d’Egypte et de Tunisie. Les jeunes et les laissés-pour-compte qui ont porté la révolution dans les rues du Caire, d’Alexandrie et de Tunis ne se sont pas battus pour substituer une dictature à une autre. A l’heure des réseaux sociaux triomphants, la soif de liberté est trop grande.

OK, il faut se garder de verser dans l’angélisme. Mais il y a une solide part d’hypocrisie dans le chef des dirigeants occidentaux et israéliens à brandir aujourd’hui la menace de l’islamisme radical alors qu’en soutenant des régimes véreux pendant des décennies ils n’ont en rien oeuvré à promouvoir une troisième voie entre les despotes et les barbus.

GÉRALD PAPY

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