Christine Laurent

Chacun sa vie

Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

Sous ses allures bonhommes et un rien débonnaires, ce n’est pas un tendre, Richard Miller. Quand il sort de sa tanière pour livrer un combat contre un adversaire politique, c’est tous crocs dehors. Il mord et là où ça fait mal.

Pour preuve, l’interview musclée qu’il nous a accordée cette semaine avec pour cible privilégiée le « PS des richards » et « ses archaïsmes » qu’il rêve de voir éjectés de l’histoire contemporaine. « Le socialisme est complètement dépassé, c’est un courant idéologico-politique qui n’a pas su se ressourcer […] En quoi Elio Di Rupo peut-il encore estimer qu’une politique socialiste est mise en oeuvre ? Tout cela est devenu totalement anachronique », s’insurge-t-il.

Et si, au-delà de la polémique, le MR avait raison ? « C’est l’esprit socialiste, l’appareil socialiste, la façon socialiste de travailler qui sont le vrai problème », assène-t-il. Et le libéral d’enfoncer le clou : « La N-VA, ce parti malfaisant, a l’indépendance de la Flandre inscrite à l’article 1er de ses statuts. Au PS, c’est la lutte des classes. » Diable ! c’est ce qu’on appelle ne pas mâcher ses mots. De fait, il n’est pas le seul à fustiger la gauche. Des intellectuels, des politologues « rouges », comme Raffaele Simone ( Le Monstre doux, Gallimard), un peu partout en Europe, s’inquiètent de l’évolution d’un courant qui, lentement, mais sûrement, s’enkysterait dans une vision très xixe siècle de la société. Certes, la crise, déjà, a déquillé quelques adages. Mais les partis politiques, toutes tendances confondues, ont-ils bien mesuré combien la société d’aujourd’hui s’affiche radicalement différente de celle d’hier ? Les droites gèrent les peurs, les gauches, les humiliations, dit-on. Et si ce n’était pas aussi simple ? A l’aube du IIIe millénaire, toutes les espérances n’ont-elles pas été fragilisées, la chute du mur de Berlin ébranlant sérieusement la doctrine socialiste, le tsunami économique, les certitudes libérales ?

Quelle fidélité aux partis désormais pour des raisons idéologiques ? Au sein des états-majors, ne s’inquiète-t-on pas, à juste titre, de la disparition massive des militants, des vrais, la foi du charbonnier chevillée au corps ? Sans parler de l’affaiblissement réel des syndicats, des coopératives, des associations en tout genre ? Place aux citoyens émancipés et avertis ! Quels discours pour les séduire ? Quels projets pour les convaincre ? Quelles recettes, quelles suggestions, quelles perspectives pour l’avenir ? Mystère. Alors que les partis, au fil du temps, se sont emparés du pouvoir, allant jusqu’à le confisquer, l’idéologie, elle, reste en berne. Où sont les conceptions nouvelles pour assurer l’émancipation de tous, la sécurité sans laxisme, la lutte contre l’inégalité par l’entraide, le soutien de la recherche, d’un enseignement de qualité ? Où en est donc ce réformisme tant espéré de gauche comme de droite et qui soit à la hauteur des attentes d’un monde moderne qui se veut individualiste, consommateur et mondialiste ?

Que dire du clientélisme qui, hélas !, sévit encore un peu partout ? Et de la particratie, ce mal belge, comme nous l’avions dénoncé dans notre édition du 11 mai dernier et qui voit, en 2012, le PS et le CDH se partager 80 % des postes de top managers de l’administration wallonne ? Combien sommes-nous trop souvent à ne plus nous sentir représentés, entendus, respectés par des élus de tous bords, qui planent bien loin de nos réalités quotidiennes ? Chacun sa vie ! « Les gens ne pensent pas, ils ressentent », prétendait Margaret Thatcher. Le ressenti aujourd’hui, c’est l’appauvrissement des classes ouvrières et l’angoisse du déclassement des classes moyennes. Et que nous soyons de gauche ou de droite, si nous croyons parfois entrapercevoir le tournant, nous ne voyons toujours pas le chemin.

CHRISTINE LAURENT

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