Thierry Fiorilli

CETA : au pas ou pas

Thierry Fiorilli Journaliste

Une paire de bottes, fussent-elles des santiags, ne vaut définitivement pas Shakespeare. Le raisonnement de Dostoïevski, aux yeux duquel rien ni personne ne pouvait rivaliser avec le génie du poète anglais, infuse profondément l’époque et nos contrées.

Pour preuve, les très nombreuses suffocations, dans des cénacles très académiques, après l’attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan. Parmi les belles plumes et grands esprits qui s’étranglent, Alain Finkielkraut. Dans un texte publié sur le site Causeur, le philosophe français estime que, en ayant couronné l’oeuvre du chanteur américain, le jury a donné  » un indice annonciateur de la fin des temps modernes européens, la fin de l’âge de la culture « , que  » la défaite du silence est consommée « , que  » la stridence n’est plus seulement l’ambiance où est plongée la culture, elle en tient lieu  » désormais.

Finkielkraut confirme ainsi s’inscrire dans la pensée de Fiodor Dostoïevski, que Matthieu Giroux, rédacteur en chef du site Philitt, résume en ces termes :  » Deux positions s’affrontent dès lors qu’il s’agit de parler d’art. D’un côté, les tenants d’un relativisme culturel, de l’autre, les amateurs de hiérarchisation. Dostoïevski appartient à la deuxième catégorie.  » Or, cette catégorie considère qu’  » en perdant la notion du Beau, l’homme perd sa seule porte d’accès au Bien  » et que, donc,  » pour prévenir la décadence morale, il faut réaffirmer une esthétique adéquate « . Et combattre  » la position qui consiste à dire que tous les goûts sont dans la nature et que la beauté d’un objet est toujours relative au regard de celui qui observe « .

L’opposition au Ceta et le Nobel de Dylan giflent ceux pour qui toutes les émanations de la volonté populaire, n’ont que fonction de chambres d’entérinement

L’ombre du grand Fiodor ne plane pas uniquement sur le sacre de Bob Dylan. Elle assombrit la plupart des débats, politiques, économiques et sociaux, déclenchés par l’évolution de nos sociétés, et les décisions qu’elle commande de prendre, plus ou moins urgemment. Le gouvernement fédéral belge, son presque jumeau flamand et la Commission européenne s’offusquent ainsi du refus francophone et wallon d’approuver le Ceta, ce traité commercial européano-canadien. Pour eux, seul l’accord donné à la signature du Ceta est signe de responsabilité politique, confirmant la sacro-sainte hiérarchisation, ici non pas de l’esthétique mais bien des valeurs. Du progrès. Des évidences économiques.

Et donc, haro sur les gouvernements et parlements de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Pourtant, leurs détracteurs les plus virulents (la Flandre et la coalition fédérale actuelle) sont les premiers à défendre, depuis longtemps, la logique propre aux Régions et Communautés. Pourtant, depuis deux ans, tant Rudy Demotte, ministre-président francophone, que Paul Magnette, son alter ego wallon, annonçaient la couleur. Tout le monde était prévenu. Mais tout le monde imaginait, sans doute, que c’était simple gesticulation. Et que, évidemment, ces deux petits parlements de rien du tout allaient rentrer dans le rang et voter l’accord. Comme on marche au pas. Comme on continue à concevoir que rien ni personne ne peut s’opposer à la volonté de ceux qui gouvernent. Que rien ne le justifie. Et que donc toutes les émanations de la volonté populaire, qu’elles se présentent sous forme de référendums ou d’institutions, n’ont que fonction de chambres d’entérinement. Un jury norvégien et une poignée de francophones et de Wallons viennent, quelles que soient leurs vraies motivations, de rappeler que toutes les voix pèsent. Qu’elles doivent être prises en compte. Et qu’elles sont aussi légitimes quand elles se font lèse-majesté que lorsqu’elles servent les intérêts de roitelets.

Et ce n’est pas Shakespeare qui s’y serait opposé.

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