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Ces mères parfaites qui n’en peuvent plus

A priori, elles ont réussi un sans-faute : études, vie de couple, enfants, carrière… Et pourtant, tout est loin d’être rose ! Des blogs aux séances de « coaching parental », les mères se lâchent.

Dans le sud de Bruxelles, quartier chic et tranquille, un appartement décoré comme dans un magazine. Sandra (1), 34 ans, silhouette longiligne et master en communication, a repris le travail à trois cinquièmes, après la naissance de sa petite dernière, il y a trois ans. « Malgré ces trois jours de « liberté », je me sens à bout de force. » Un jeudi matin, cette diplômée, adepte de natation et de cuisine, s’est réveillée avec une boule d’angoisse à la place de la glotte. « Je me suis levée, habillée, puis j’ai paniqué pour le vendredi, samedi et dimanche qui arrivaient. Je n’avais pas envie d’être avec eux. J’ai fondu en larmes, une heure durant, j’ai fait et défait mille fois mon baluchon. » Depuis cette crise, elle rentre du boulot de plus en plus tard…

« Je n’ai rien vu venir », souffle celle qui a toujours rêvé d’avoir trois enfants « minimum ». Jusque-là d’ailleurs, elle avait tout bien fait : des études, un beau mariage, de beaux enfants. Et mieux encore, elle avait respecté à la lettre les consignes des manuels. L’haptonomie, l’allaitement à la demande, le co-dodo, le portage du bébé en écharpe, les plats maison… « J’ai même demandé l’accouchement sans péridurale, confie la superwoman. Finalement, j’ai eu droit à la césarienne. » Première claque.

« De notre temps, on ne se laissait pas bouffer »

Les autres suivront dans la foulée. Les nuits agitées, les caprices en série, les urgences quotidiennes, la condescendance du patron, l’incompréhension du mari. Les enfants surtout, intenables. Et ces commentaires « bienveillants » : « De notre temps, on ne se laissait pas bouffer » ; « Pourquoi vous ne rentrez pas plus tôt du boulot ? »… Tiens, c’est vrai, pourquoi ?

Comme Sandra ou Stéphanie, elles sont aujourd’hui des centaines à avouer un stress « socialement incorrect » sur Internet : blogs, sites – Aufeminin.com, Doctissimo -, forums, réseaux sociaux… Laurence, juriste de 38 ans, raconte ses hurlements matinaux et les séances de kid-boxing le soir. « Dès que je suis dans la même pièce qu’eux, je hurle ; les fessées tombent alors que je m’étais juré de ne jamais en donner. » Sylvie, ancienne consultante consignée à domicile depuis deux ans pour cause de plan social, découvre le dur métier de femme au foyer. « La pression est plus forte : je devrais être parfaite, et mes enfants aussi ! »

Mais depuis peu, certaines se tournent aussi vers le « coaching parental ». Des wondermums à bout de souffle, Lina Meunier, installée au Brabant wallon, en reçoit, comme ses confrères. Neuropédagogue formée aux neurosciences et à la gestion du stress, cette mère et belle-mère de 5 enfants enseigne la « parentalité sereine ».

« Vous faites comment, vous, quand ils disent non à tout ? » ; « Comment asseoir mon autorité dans le calme ? » ; « Ils refusent de faire leurs devoirs sans moi »… Et que dit la coach ? « Je ne garantis pas des enfants parfaits, prévient Lina Meunier. Mais une vie de famille plus calme, plus facile et plus heureuse. » Il faudra quelques séances pour percer le mystère : en mobilisant son cerveau préfrontal, qui correspond à notre intelligence adaptative et en se fixant un objectif spécifique, mesurable, atteignable et réaliste, par étapes et dans un temps précis.

Les parents font un excès de Dolto

L’épuisement maternel peut virer en burn-out, très proche du burn-out professionnel. Les symptômes ? Un état d’épuisement émotionnel et psychique qui conduit à un manque total d’énergie. Une attitude négative ou un comportement de fuite vis-à-vis de la source de stress (les enfants). Ces mères restent, par exemple, impassibles devant les pleurs de leurs enfants, alors qu’avant elles auraient accouru avant même que la première larme ne coule. Et pire encore : comme elles ne se sentent jamais à la hauteur, elles s’autoflagellent avec constance, éprouvant une culpabilité carabinée. « La maternité est une situation de pression continuelle : haut niveau de responsabilité, 24 heures sur 24, sentiment de ne jamais en faire assez, sans jamais décompresser et sans la moindre possibilité de démissionner. Les mères fonctionnent donc en flux tendu toute la journée », résume Philippe Béague, psychologue et psychanalyste, directeur de l’Association Françoise Dolto. Beaucoup de femmes ont honte d’être à bout de nerfs, surtout quand elles n’ont qu’un ou deux enfants ou qu’elles « recomposent » une famille.

La faute à qui ? « Sans le vouloir, les psys portent une espèce de culpabilité. Depuis Dolto, ils n’ont cessé de braquer le projecteur sur l’enfant, au point que des parents ont fini par élever des normes imaginaires : leurs enfants doivent être parfaits, dans une société de plus en plus exigeante. Evidemment, ça ne marche pas : ils se sentent alors mis en échec et en sont profondément affectés », déclare Philippe Béague, qui reçoit chaque année des centaines de couples déboussolés. Le fait est désormais établi, l’abus d’experts nuit à la santé des enfants et de leurs géniteurs. A force de dévorer des manuels d’éducation, les mères se sont souvent vissé dans la tête un idéal inatteignable. Mais il y a autre chose, observe le spécialiste, moins avouable sans doute, bien qu’aujourd’hui très partagé : « Les parents donnent beaucoup à leurs enfants, ils attendent en retour de la gratification… » Qu’ils se consolent pourtant : « Quoi que vous ferez, vous ferez mal », écrivait Freud.

(1) Le prénom a été changé.

SORAYA GHALI, AVEC JULIE JOLY

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