Walter Pauli

Celui qui veut faire de l’état d’urgence un état normal joue avec la démocratie

Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Que Charles Michel veuille modifier la Constitution ou que Bart De Wever plaide pour l’instauration d’un Patriot Act n’a de prime abord rien de surprenant. Mais un état d’urgence ne se justifie que s’il est rapidement obsolète.

C’est comme si Bart De Wever était magicien. Il a suffi qu’il lâche négligemment lors d’une interview sur Radio 2 Antwerpen que la Belgique avait besoin d’un Patriot Act pour que la presse embraye et ne parle plus que de ça. On peut pourtant partir du principe que beaucoup d’auditeurs ne savent pas ce qui se cache derrière le Patriot Act et ça De Wever ne le sait que trop bien. Son allusion à la loi controversée post 9/11 qui attribue aux services de renseignements des pouvoirs pratiquement illimités n’est pas destinée à la population d’Anvers. Non, c’était surtout un skud chirurgical en direction de la rue de la loi et la presse de la nation.

Dans le parlement, l’opposition endosse pour la première fois une telle initiative. Le gouvernement Michel est déjà sur la défensive suite à la sortie du nucléaire qui a été postposé, la diminution de la rente nucléaire et le manque de clarté autour de la baisse du niveau de sécurité à Bruxelles. Au même moment deux des plus faibles ministres du gouvernement flamand sont plongés jusqu’au cou dans les ennuis. Le Conseil d’État a plombé la Turteltaks de la ministre de l’Énergie Annemie Turtelboom (Open VLD) et le ministre de l’Environnement Joke Schauvliege (CD&V) a le plus grand mal à mettre en place un accord climatique. Et pour encore enjoliver le tableau, le projet UPlace a fait ressortir au grand jour les dissensions au sein du gouvernement flamand.

Pour balayer toutes ces contrariétés, De Wever a remis au goût du jour un vieux truc de la rue de la Loi. Avec son idée du Patriot Act, il détourne les esprits des thèmes de gauches comme le climat pour les braquer sur un des messages centraux de la N-VA : la sécurité. Ça tombe bien, changer et actualiser rapidement la législation autour de la sécurité – comprendre : renforcer et durcir ces mêmes lois – rentre aussi parfaitement dans la stratégie de Bart De Wever. Le président de la N-VA n’est pas le seul politique dans cet état d’esprit. Après les attentats de Paris, Hollande a annoncé l’état d’urgence et fait savoir que certains articles des droits de l’homme avaient été supprimés. Même le premier ministre belge veut modifier la loi pour, par exemple, permettre les arrestations de nuit et prolonger la détention provisoire.

De prime abord cela ne semble pas illogique. La société occidentale doit résister à une vague sans précédent d’agressions. Et cela n’est possible que si les autorités disposent de moyens exceptionnels.

Cette demande d’un régime d’exception n’est pas neuve. Dans le début des années 80, la Belgique a été touchée par une crise économique d’une ampleur et d’une durée exceptionnelles. Même le roi Baudouin avait alors une rhétorique guerrière : « C’est la guerre. Une guerre pour maintenir notre économie, le bien-être de tous et notre place dans le monde. »

Suite à ça le gouvernement de centre droit Martens-Gol avait obtenu des pouvoirs spéciaux, avec pour objectif avoué de « restaurer le cadre économique et financier indispensable pour endiguer le désinvestissement industriel et la destruction de l’emploi et rendre espoir à nos concitoyens ». Martens V avait ainsi mis hors-jeu le Parlement.

Il y a pourtant une différence notable entre les pouvoirs spéciaux de Wilfried Martens et la révision de la constitution voulue par Charles Michels ou encore le Patriot Act de De Wever. Les pouvoirs spéciaux n’étaient que temporaires. Les récentes initiatives se veulent définitives. Même si la situation s’améliore, la loi restera en état et le Patriot Act belge une réalité. Alors que c’est justement une des spécificités des mesures exceptionnelles. Elles sont une réponse à une situation hors du commun et n’ont qu’un seul but rendre à la situation le plus rapidement possible à la normale. Un état d’urgence ne se justifie donc que s’il est rapidement rendu obsolète.

Celui qui veut faire d’un état d’urgence une nouvelle normalité joue avec la démocratie. Les politiciens pensent peut-être qu’ils donnent de cette façon un sentiment de sécurité à leur population, mais en réalité ils entretiennent au contraire un climat d’angoisse et d’insécurité. C’est déjà le cas dans la France de François Hollande. Au nom de la lutte contre l’obscurantisme et de la démocratie, il a magistralement légitimé le Front national et donc l’extrême droite. Essayez donc d’expliquer cela lors d’un parcours d’intégration…

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