« Celui qui sacrifie l’état de droit à la lutte contre le terrorisme fait le jeu des fanatiques »

« La peur est de quoi j’ai le plus peur », écrivait l’humaniste français du seizième siècle Michel de Montaigne dans son Essai intitulé « De la Peur », « les médecins disent qu’il n’y a aucune affection qui fasse autant dérailler notre jugement ». Après une série d’attentats terroristes près de chez nous, cette peur s’est emparée de nous, écrit notre confrère de Knack Ewald Pironet.

Tous les jours, il y a plus de victimes d’attentats au Moyen-Orient qu’en Europe, mais l’idée que nous aussi nous pouvons être victimes de terrorisme aveugle avive notre inquiétude et insatisfaction. Nous sommes au niveau d’alerte terroriste 3 depuis des mois : la menace d’attentat est possible et vraisemblable. Entre-temps, les militaires lourdement armés font partie de la vie quotidienne, tous les sacs à dos sont suspects et même interdits lors d’évènements importants. Les perquisitions nocturnes sont autorisées pour les personnes suspectées de terrorisme et les opérateurs de télécom doivent conserver toutes les données de téléphone et de sms pendant un an.

Après chaque nouvel attentat, on présente une série de nouvelles mesures qui doivent améliorer notre sécurité. La N-VA surtout se profile comme le parti qui veut renforcer la lutte contre le terrorisme, car « nous sommes en guerre avec l’État islamique (EI) », a déclaré le président Bart De Wever. L’idéologie de l’EI doit être interdite, tout comme le nazisme. La liberté d’expression ne peut plus s’appliquer aux collaborateurs suspectés de terrorisme. Il faut supprimer la double nationalité, les gens doivent pouvoir être totalement loyaux à notre pays. Il faut que les combattants revenus de Syrie puissent rester enfermés. Il faut un Patriot Act belge, à l’instar des États-Unis où les services de renseignements se sont vus attribuer des compétences poussées après le 11 septembre.

Reste à voir si tout cela servira à quelque chose. Les pays comme la Syrie et le Maroc n’autorisent pas l’abandon de nationalité par exemple. On n’arrête pas les terroristes en limitant la liberté d’expression, car ils se servent de réseaux sociaux insaisissables et de leurs propres chaînes d’informations. Et si le Patriot Act n’a pas pu empêcher d’autres attentats aux États-Unis, il donne l’impression que le gouvernement oeuvre à la lutte contre le terrorisme et rassure peut-être la population. Jusqu’à ce qu’on commette un nouvel attentat et que l’appel de mesures plus drastiques retentisse plus fort encore.

Celui qui sacrifie l’état de droit à la lutte contre le terrorisme fait le jeu des fanatiques

La lutte contre le terrorisme est un exercice d’équilibre difficile dans une société qui tient la liberté en haute estime. L’utilisation d’une rhétorique de guerre, le décret de l’état d’urgence et la limitation de la liberté d’expression mine les piliers de notre démocratie. Celui qui sacrifie l’état de droit à la lutte contre le terrorisme fait le jeu des fanatiques. Une société intolérante qui se replie sur elle-même prouve surtout son impuissance. Si notre démocratie occidentale ne se montre pas plus résiliente, c’est qu’elle est en bien mauvais état.

Un amalgame malodorant

Certains se servent de l’occasion pour tomber dans un amalgame malodorant entre les terroristes et les réfugiés, qui fuient le terrorisme. Il est clair que la chancelière allemande Angela Merkel ne souhaite pas tomber dans ce piège. Elle continue à défendre sa politique d’asile et a répété : « Wir schaffen das. » Bien entendu, l’accueil de réfugiés n’est pas simple. La migration entraîne toujours des problèmes et nous ne pouvons pas rester aveugles. Cependant, Merkel réalise que l’Europe a l’obligation morale de s’attirer le sort de personnes qui fuient la guerre et la violence. N’oublions pas non plus que beaucoup d’attentats terroristes en Europe ont été commis par des auteurs qui ont grandi ici et qui ne se laissent pas arrêter par des frontières fermées.

La lutte contre le terrorisme en est une de longue haleine – si elle finit un jour. Nous devons aspirer à une sécurité maximale tout en combattant et condamnant le terrorisme, mais toujours selon les règles de l’état de droit. Dans le climat de psychose d’aujourd’hui, il n’y a presque pas de place pour cet autre instrument essentiel contre le terrorisme : supprimer le terrain favorable. Les études consacrées aux fanatiques et aux djihadistes indiquent que ceux qui se trouvent pauvres, qui dépérissent en marge de la société, qui ont des traits de caractère égoïstes ou qui s’ennuient se laissent séduire plus facilement par des actes terroristes. Là aussi, il faut trouver une solution.

Nous devons essayer de faire en sorte que les jeunes ne se sentent plus comme des minables, et leur montrer des exemples inspirants. Ce n’est pas facile non plus, et certainement pas si la peur menace de chasser toute la sagesse.

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