Céline Fremault reçoit Le Vif/L'Express au moment même où le patronat flamand, la direction de l'aéroport national et la Flandre sonnent la charge contre "l'intransigeante". © JOHANNA DE TESSIÈRES

Céline Frémault, symbole de la résistance bruxelloise face à la Flandre et au fédéral

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

C’est elle qui a enclenché la « tolérance zéro » à l’égard des avions trop bruyants. Elle est devenue symbole de résistance. Portrait d’une ministre CDH sous pression.

Un vent de tempête siffle dans la cour de l’immeuble où Céline Fremault a ses bureaux. La météo du jour est en phase avec le maelstrom au coeur duquel se retrouve la ministre bruxelloise de l’Environnement depuis qu’elle a enclenché la  » tolérance zéro  » pour les compagnies aériennes en infraction sur les normes de bruit.  » C’est une journée folle ! s’exclame sa porte-parole. Elle a rejeté toutes les demandes d’interview. Vous avez de la chance qu’elle fasse une exception pour un portrait dans Le Vif/L’Express.  »

Le dossier du survol de Bruxelles a, il est vrai, pris la dimension d’une bombe communautaire de type BHV (la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde). Et ils sont nombreux à sonner la charge contre  » l’intransigeante « . Avec, en première ligne, le patronat flamand (Voka) et la direction de l’aéroport national, qui brandissent la menace de pertes d’emplois à Brussels Airport en cas d’application des normes de bruit. La ministre CDH réplique que cette menace est plutôt liée au refus de la Flandre d’accepter des modifications de routes aériennes qui permettraient d’éviter le survol des zones densément peuplées et les amendes.

Faire respecter la loi

L’offensive est aussi politique. Le gouvernement bruxellois ayant émis des doutes sur la validité de la nouvelle procédure en conflit d’intérêts activée par la Flandre, le ministre-président flamand N-VA Geert Bourgeois (N-VA) l’a accusé d’utiliser une  » bombe institutionnelle « . Les relations entre la Région capitale et le fédéral sont également empoisonnées : quand Charles Michel a donné son feu vert à la procédure flamande, Céline Fremault a qualifié la décision du Premier ministre MR de  » clairement partisane  » et l’a accusé de  » s’asseoir sur les règles de base de notre Etat de droit « .  » Je me bats pour faire respecter la loi, nous explique-t-elle. Les normes de bruit ont été validées par toutes les juridictions belges, y compris le Conseil d’Etat. La juriste que je suis est alarmée par la tendance de certains responsables politiques à encourager un estompement de la norme. Cela alimente la défiance des citoyens.  »

Sur la  » couverture  » de sa page Facebook et de son site officiel, Céline Fremault a placé la photo d’un petit renard apeuré, à fourrure roux orangé. De ceux qui, nombreux, errent dans les parcs et jardins des communes bruxelloises proches de la forêt de Soignes et sont parfois traqués et effrayés.

Les médias flamands qualifient la ministre bruxelloise de l'Environnement de
Les médias flamands qualifient la ministre bruxelloise de l’Environnement de  » nouvelle « Madame non » « .© ÉRIC LALMAND/BELGAIMAGE

Attaquée de tous côtés, la ministre régionale est-elle, elle aussi, effrayée, ou à tout le moins déstabilisée ?  » Je supporte très bien la pression, répond-elle. J’ai l’énergie et l’expérience de mes 40 ans.  » Sportive, Céline Fremault ?  » Depuis l’adolescence, je fréquente les clubs de natation. Je nage avec tout un attirail : planche, lunettes, palmes… Ainsi équipée, je peux aligner aisément quatre-vingt longueurs ! Malheureusement, ces derniers temps, j’ai un peu déserté les piscines.  » Arrive-t-elle à équilibrer vie professionnelle et vie privée ?  » Les week-ends en famille sont sacrés. Tous les mercredis, je vais chercher les enfants à l’école et je déjeune avec eux. C’est essentiel pour moi.  »

Six heures par nuit

Céline Fremault confie qu’elle dort à peine six heures par nuit et qu’elle se couche tard. Ses collaborateurs lui reconnaissent  » une énorme capacité de travail « . D’autres proches de la ministre insistent sur son côté  » solaire « , qui se lit sur son visage, et sur le fait que la politique ne l’a pas rendue cynique.

En semaine, je dors six heures par nuit et je me couche très tard »

 » Le dossier des nuisances dans le ciel bruxellois est le premier qui m’est tombé dessus fin juillet 2014, quand j’ai hérité du portefeuille de l’Environnement, se rappelle-t-elle. Pendant des années, les compagnies en infraction sur les normes de bruit ne payaient pas leurs amendes, jouaient la montre pour viser la prescription. Grâce au soutien du ministre bruxellois des Finances, l’Open VLD Guy Vanhengel, on a pu mettre en place la contrainte fiscale : nous avons envoyé des huissiers de justice pour obtenir le règlement des impayés.  »

Ministre régionale de l’Environnement, de l’Energie et du Logement après avoir été chargée, pendant seize mois, de l’Economie et de l’Emploi, Céline Fremault ne s’occupe pas que des nuisances des avions. Ses dossiers prioritaires ? La mise en place, pour 2018, d’une zone de basses émissions pour réduire la pollution de l’air à Bruxelles ; l’instauration d’une allocation-loyer destinée aux personnes en attente d’un logement social ; ou encore la réforme casse-tête des allocations familiales. Sa façon de travailler ?  » Elle aime bosser en équipe, assure l’un de ses collaborateurs. La porte de son bureau est presque toujours ouverte.  » Deux qualités sont relevées par son entourage : son assiduité et son côté organisé.  » A la maison comme au bureau, je suis une obsédée du rangement « , avoue-t-elle en rigolant.

Améliorer sa com

Son plus grand plaisir de ministre ? Se rendre sur le terrain pour découvrir le quotidien des agents de son administration et des responsables d’associations. Le gardien du parc du Petit Sablon est l’un de ceux qui l’ont fascinée :  » Il connaît tout sur l’histoire des lieux et les espèces d’arbres, constate-t-elle.  » Une fonctionnaire au ministère bruxellois du Logement témoigne :  » La ministre s’est déplacée plusieurs fois pour nous rencontrer, ce que ne font pas la plupart de ses collègues, qui se reposent surtout sur leur cabinet.  » Néanmoins, selon un proche de la ministre, ses débuts ont été difficiles :  » Elle s’est retrouvée, il y a deux ans et demi, à la tête d’un ministère de l’Environnement qui a été longtemps au service de l’Ecolo Evelyne Huytebroeck. Il lui a fallu créer des liens et se faire apprécier.  »

Formée au sein de la
Formée au sein de la  » Milquet School  » avec Maxime Prevot et Benoît Lutgen, Céline Fremault s’est impliquée dans la réforme de son parti.© CHRISTOPHE LICOPPE/PHOTO NEWS

Une autre source, dans le milieu politique, estime que la communication de Céline Fremault laisse à désirer, surtout à l’égard de la Flandre.  » Elle devrait plus s’occuper de son image, accorder une interview à De Tijd ou au Standaard…  » La ministre bruxelloise est décrite par les médias du nord du pays comme  » têtue  » et  » revêche « . Le 23 février dernier, trois journaux flamands lui ont consacré des articles, tous titrés  » La nouvelle « Madame Non »  » ! Dix ans après que Joëlle Milquet a été surnommée ainsi parce qu’elle avait la réputation de rejeter les propositions émises par ses collègues flamands, Céline Fremault est mise dans le même sac. Message implicite : son  » obstination  » à vouloir réorienter les avions vers les zones les moins densément peuplées est la cause de la crise actuelle.

Pas une « machine à voix »

Le rôle d’aînée d’une famille de quatre enfants m’a marqué : c’est chez moi qu’on vient tout raconter »

Les analystes flamands laissent entendre qu’elle cherche ainsi à assurer la survie de son parti à Bruxelles après la débâcle électorale humaniste de 2014. Cette année-là, le tumulte provoqué par le plan de dispersion des nuisances aériennes concocté par l’ex-ministre fédéral CDH Melchior Wathelet avait pourri la campagne du parti humaniste, sanctionné aux élections.  » Jusqu’ici, Céline Fremault n’a certes pas été une « machine à voix » susceptible de redorer le blason orange dans la capitale, reconnaît un député CDH. Mais cela pourrait changer, à condition qu’elle ne se brûle pas les ailes dans le ciel bruxellois encombré d’avions.  » Un responsable d’une association de riverains confirme :  » Si elle tient bon sur le long terme, elle pourrait apparaître comme le messie, celle qui aura soulagé les Bruxellois survolés qui attendent depuis près de vingt ans une amélioration de leur sort.  »

Les médias au nord du pays ont aussi mis en relief le profil de  » bourgeoise nantie  » de Céline Fremault. Femme de notaire, mère de quatre enfants, citoyenne de la commune huppée d’Uccle, elle ne fait certes pas partie des classes défavorisées de la société.  » Elle est proche de la reine Mathilde « , complète un membre de son parti.  » Pas snob du tout pour autant « , affirme l’un de ses intimes, qui souligne son humour et ses éclats de rire fréquents.  » Bourgeoise ? Peut-être. Nantie ? C’est un préjugé, rectifie-t-elle. Mes frères et soeur et moi étions boursiers à l’université. J’ai grandi dans un milieu favorisé intellectuellement, mais pas financièrement. J’ai exercé un tas de jobs d’étudiant pour pouvoir me payer des vacances, car mes parents ne me filaient pas d’enveloppe. J’ai été serveuse déguisée en groom au cinéma drive in en plein air du Cinquantenaire. En 1994, j’ai financé ma première campagne électorale grâce à mon salaire de vendeuse de glaces dans un supermarché !  »

Le rôle d’aînée

Née à Ixelles le lendemain du jour de Noël, fille d’un père flamand de Lier et d’une mère wallonne de Dinant, Céline Fremault est l’aînée d’une famille de quatre enfants.  » Ce rôle d’aînée m’a marqué, avoue-t-elle. Aujourd’hui encore, c’est d’abord chez moi que l’on vient pleurer ou raconter les nouvelles familiales importantes, les grossesses, les séparations…  » La ministre a baigné au cours de sa jeunesse dans ce qu’elle appelle  » une atmosphère d’émancipation féminine  » :  » Ma mère et ma grand-mère maternelle étaient des femmes libres, indépendantes et engagées, qui avaient été à l’université.  » Décédé il y a huit ans, son père a inculqué à ses enfants la valeur du travail.  » Le dimanche, après le petit-déjeuner, il nous répétait toujours la même phrase : « A vos pupitres maintenant ! »  »

La jeune Céline a suivi le parcours classique des humanités gréco-latines. Puis, après un an d’internat en néerlandais à Dilbeek,  » waar Vlamingen thuis zijn « , elle se tourne vers les études de droit.  » Je voulais devenir juge de la jeunesse « . Mais à 19 ans, l’étudiante accepte un job d’hôtesse et arpente, en tailleur rouge, les salles d’un congrès du mouvement socialiste européen. Les débats la passionnent à tel point qu’elle décide de s’engager en politique, mais chez les sociaux-chrétiens. A 20 ans, elle se présente aux élections communales, tout en poursuivant ses études.  » A l’époque, se souvient le constitutionnaliste et député CDH Francis Delpérée, l’un de ses professeurs à l’UCL, elle et Anne Barzin, l’actuelle échevine MR à Namur, intervenaient beaucoup au cours, en général pour se contredire sur des sujets comme la commission parlementaire Dutroux et la Marche blanche.  »

Formée par la suite au sein de la  » Milquet School  » – la génération Benoît Lutgen, Maxime Prevot…-, elle s’implique dans la réforme du parti, qui devient le CDH.  » Je consacre aujourd’hui la plus grande partie de mon temps à la politique, mais je ne ferai pas cela toute ma vie. Le jour où j’aurai le sentiment de ne plus agir en conformité avec mes convictions, j’arrêterai. Je me verrais bien m’investir dans une association au service des handicapés, de l’alphabétisation des femmes ou de l’égalité des sexes.  » Ce n’est pas pour demain : les dossiers chauds s’accumulent sur le bureau de la ministre.

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