Mie Branders et Michael Verbauwhede

« CEB, CESS, CE1D… Cessons de demander à un poisson de grimper aux arbres ! »

Mie Branders et Michael Verbauwhede Auteurs du chapitre "Un enseignement pour la tête, le coeur et les mains", du livre "La taxe des millionnaires et 7 autres idées brillantes pour changer la société".

Et si le fiasco des fuites aux examens était avant tout l’occasion de se questionner sur l’opportunité de ce genre d’épreuves externes ?

Nous ne pouvons pas accepter que des sessions d’examens soient sabotées de la sorte. Les enseignants sont désemparés. Les élèves sont perdus, certains comptant sur cette session d’examens pour s’en sortir. Au-delà de ces questions importantes à court terme, nous pensons que ce fiasco est surtout l’occasion d’interroger en profondeur notre système scolaire et ses manières d’évaluer. Faut-il persévérer avec ces épreuves externes comme le veut le gouvernement ? Faut-il donner davantage d’autonomie aux écoles pour évaluer ? Et si nous revoyons de fond en comble notre manière d’apprendre et d’évaluer ?

Notre système scolaire glisse petit à petit vers une évaluation permanente. En 6 ans, les élèves seront bientôt confrontés à 4 épreuves externes (CEB, CE1D, CE2D, CESS) sans compter les examens périodiques. Quel stress pour les élèves, dès le plus jeune âge ! Quel stress pour les parents ! Cela en dit long sur le formatage qui est à l’oeuvre à l’école : on formate les élèves à passer des examens, dès le plus jeune âge. Réussite scolaire = réussite de l’examen. C’est un aveu : la seule manière de faire apprendre aux élèves est de les faire « étudier » en vue de leur faire « réussir » des examens. La seule motivation des élèves devient la crainte de l’examen, la crainte de l’échec. Pauvre école…

Mais une autre école est possible. Le système scolaire finlandais nous montre la voie. Dans le livre « La taxe des millionnaires et 7 idées brillantes pour changer la société »[1], nous développons une idée « brillante », basée sur le système scolaire finlandais : une école qui développe les diverses qualités des enfants (la tête, le coeur, les mains, et les pieds).

« Tout le monde est un génie. Mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide » disait Albert Einstein.

Effectivement, chaque enfant est un génie, aux multiples facettes. L’école doit donc développer tous les talents des enfants, à tous les âges, et pas seulement les compétences académiques. Sortons les enfants dans un potager, dans une ferme plutôt que de les laisser assis 8 heures par jour sur une chaise. On peut apprendre autant en étant la journée dehors plutôt qu’assis sur une chaise. Développons leurs talents artistiques, les diverses formes d’expression. Une école où le « tu n’es pas bon en math » se transforme en « tu es bon en poésie ». Pour éviter les exclusions, ce type d’enseignement doit être érigé en tronc commun, jusqu’à 16 ans. Car le choix d’une orientation scolaire (formation générale ou technique) est déterminant pour le restant de sa vie. Raison pour laquelle il ne doit pas intervenir trop tôt. Car ne nous y trompons pas. Si les épreuves certificatives externes ont été un fiasco cette année, elles risquent surtout à terme de renforcer les inégalités.

Notre système scolaire est parmi les plus inégalitaires des pays industrialisés. On peut le résumer en une logique de « cascade d’eau ». Les « bons » élèves restent dans l’enseignement général qui prépare à l’université ; les élèves « moins bons » sont exclus de l’enseignement général et « descendent » dans l’enseignement technique ou professionnel. Cette cascade d’eau se double d’un barrage social. Les « bons » élèves qui se retrouvent dans les filières générales sont essentiellement des jeunes issus de milieux favorisés. Et dans l’enseignement professionnel, on retrouve en immense majorité des jeunes issus de milieux défavorisés.

L’enseignement agit comme un reproducteur des inégalités. Selon une étude récente du SPF Economie[2], les jeunes dont les parents ont un diplôme de l’université ont 4 fois plus de chances d’être à leur tour diplômés de l’université que les jeunes dont les parents ont un diplôme de l’enseignement obligatoire. Ces inégalités existent entre élèves, mais aussi entre écoles : certaines concentrent des élèves issus de milieux favorisés et d’autres des jeunes issus de milieux défavorisés. On retrouve donc des écoles ghettos « de riches » où le niveau est très élevé, et les élèves préparés à l’université. Et inversement. P

our que ce barrage se réalise, plusieurs outils sont nécessaires. Un des outils est justement l’évaluation, les examens. Une jeune enseignante nous a récemment dénoncé la « violence de la correction et des examens ». Des examens qui servent à trier, classer les élèves, les exclure. Dans le cadre d’un enseignement profondément inégalitaire, des épreuves certificatives externes pseudo-égalitaires ne font qu’aggraver les inégalités. Elles dévalorisent les élèves, renforcent la concurrence entre les bonnes et moins bonnes écoles. Et comme le niveau de ces examens externes n’est pas assez élevé pour certaines écoles « d’élite », elles organisent elles-mêmes des examens internes pour juger sur base de leurs critères pour opérer eux-mêmes une sélection.

« A qui profite le crime ? » se demandent beaucoup d’analystes. Espérons avant tout que ce fiasco serve à interroger en profondeur l’école, ce qu’on y apprend, et pourquoi on y évalue les jeunes. Pour que le « crime profite » à une démocratisation profonde de l’école.

[1] Paru aux éditions Solidaire.

[2] DG Statistiques, SPF Economie, « Tous les jeunes ne sont pas égaux face aux études supérieures », juin 2015.

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