Carte blanche

« Ce qui avant était bon pour une soirée dia n’est plus qu’un album ‘Bali 2016’ sur Facebook »

Notre société de consommation a fait de notre vision du luxe une coquille vide. On consomme tellement qu’on ne se rend même plus compte qu’on vit dans l’opulence. C’est ce que dit Niel Staes du Think tank Oikos

« Tu es déjà partie en vacances cet été ? » demande-je négligemment à mes amis lors d’un barbecue . « Non seulement un city trip à Madrid et un mariage à Boston. Pour le reste, c’est l’été en ville. Nous partons en automne, hors saison, à Bali », était la très nonchalante réponse.

Cette espèce d’évidence était impensable pour les précédentes générations et ce n’est pas valable que pour les voyages. Ce qui était avant considéré comme un luxe est aujourd’hui consommé massivement. Malgré la crise, nous vivons encore dans l’opulence et avec toutes les conséquences qui vont de pair. Et pourtant je souhaite faire ici un ardent plaidoyer pour qu’il y ait davantage de luxe dans la vie.

Dans l’économie, le luxe est un bien impalpable. C’est ce vers quoi on aspire, ce qu’on achèterait si l’on avait plus d’argent. Dès les années 50 et 60, les choses que l’on pensait hors d’atteinte se sont trouvées accessibles pour de plus en plus de gens. Cinquante ans plus tard, plus grand-chose n’est vraiment inaccessible. Pire, nous consommons tellement que nous ne nous rendons même plus compte que nous vivons dans le luxe. Ce qui avant faisait la fierté d’une « soirée dia », n’est souvent plus qu’un simple album « Bali 2016 » sur Facebook. Alors qu’auparavant les saisons et les continents déterminaient ce qu’on mangeait, aujourd’hui tout est tout le temps disponible.

Même la consommation quotidienne de viande est devenue une évidence, sans parler de la mobilité personnelle. Notre société de consommation a fait de la notion de luxe une coquille vide. Ce que nous considérons comme du luxe n’est en réalité qu’une édition labellisée et surévaluée d’un accessible produit de masse. Nous vivons pourtant dans des temps mouvementés. Nous croulons sous le travail, ne rêvons que d’espace pour souffler et de calme. Nous sommes aveuglés par une logique économique qui veut que ‘plus’ soit l’équivalent de ‘meilleur’. Pourtant celle-ci n’a que peu à voir avec la logique de la vie. Celle-ci fait que le luxe, c’est justement ce que nous ne pouvons pas acheter, ce qui est irremplaçable. C’est pour cela qu’il faut rendre au luxe sa noblesse.

Pour cela il faut donner aux choses que nous trouvons normales leur vrai statut. Pour redonner de l’épaisseur au luxe, il faut à nouveau le parer de ce que l’on voudrait faire si on en avait le temps. C’est du luxe que de passer plus de temps avec ses enfants, ses amis, sa famille. C’est du luxe de faire du sport ou de voir des concerts. Mais aussi de prendre le temps de cuisiner, de lire ou d’apprendre.

Car si le temps c’est de l’argent, alors moins d’argent c’est peut-être aussi plus de temps.

En consommant moins, on épargne de l’argent, ce qui fait que l’on peut moins travailler. Par exemple: ne consommez de la viande qu’une fois par semaine, mais alors ce très beau morceau qui vous fait de l’oeil. Ne faites qu’un beau voyage tous les cinq ans plutôt que de partir à la va-vite plusieurs fois en city-trip. Mangez de saison et faites de ce très bon avocat une exception pour qu’il n’en paraisse que meilleur. C’est à la fois bon pour votre portefeuille et vous vous créez de véritables moments de luxe.

Nous pouvons créer une société où le luxe ne serait plus déterminé par le nombre d’euros que nous dépensons, mais par le temps que nous consacrons à faire les choses qui comptent vraiment. Histoire d’offrir une alternative séduisante à notre désastreuse surconsommation.

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