Olivier Mouton

Ce que la grogne post-Euro dit de la Belgique actuelle

Olivier Mouton Journaliste

La Belgique a vu ses Diables trop beaux. L’opinion publique conspue Wilmots après l’élimination. Et si nous nous retrouvions l’inspiration de 1986 ? En prenant le pays de Galles et l’Islande pour modèles…

Depuis vendredi soir, les Belges ont la gueule de bois.

Ils ont vu leurs Diables rouges trop beaux, et songeaient que la voie vers la finale était toute tracée pour leurs stars de Premier League face à ces Gallois, braves, mais rustres, puis face à ces Portugais incapables de gagner. Ils se voyaient rois d’Europe après une démonstration face à la Hongrie. En septante-cinq minutes de détresse, le temps qui a été nécessaire aux Gallois pour enterrer les rêves après le but de Nainggolan, ils ont retrouvé leur statut. De loosers éternels.

Non, la Belgique n’est pas un pays de victoires collectives, mais bien de désillusions dantesques. Nous ne noierons donc pas les sombres mois passés – du lockdown aux attentats de Bruxelles en passant par les grèves ou cette pluie ininterrompue – dans la joie d’un titre. L’été se poursuit, à la recherche de lui-même. Il n’y a plus de communions noir-jaune-rouge. Les drapeaux pendent désormais aux fenêtres, mouillés, ayant perdu le sens d’être déployé là. Ce pays qui n’en est plus un ne trouvera pas la rédemption espérée en dansant autour du ballon rond.

Sans coup férir, nous brûlons ce que nous avons adoré. Marc Wilmots n’est plus qu’un coach dénué de sens tactique. Notre défense était en carton-pâte, nos cadres (les Hazard, De Bruyne et autres Alderweireld) n’étaient pas à la hauteur, les murs du vestiaire ont tremblé sous le coup de gueule de Thibaut Courtois. Le noir-jaune-rouge n’a plus la côte. À en lire les journaux, le « clan des Anversois » fait même vaciller l’unité de l’équipe nationale. Tiens, Bart De Wever et les siens auraient-ils décidé de miner la cohésion de nos Diables ? Zuhal Demir, députée nationaliste, leur a-t-elle jeté un sort funeste en se disant prête à danser avec Di Rupo, dans la victoire, mais surtout pas dans la reconstruction d’une identité nationale ? À Liège, pendant ce temps, on peste sur le manque de confiance accordée à Laurent Ciman.

Franchement, nous voilà bien moins dignes dans la défaite que ces Islandais qui ont su conquérir le coeur de toute l’Europe ! Battus 5-2, ils trouvent encore des raisons de faire la fête, de clamer leur fierté et de perpétuer leur haka devenu au football l’équivalent de la danse néo-zélandaise au rugby. Bien sûr, ils étaient tout simplement heureux de se retrouver là, venus de nulle part, face au pays organisateur. Petit pays de 300.000 habitants, que pouvaient-ils espérer de plus ? Nous, nous devions gagner. Mais notre esprit est-il devenu à ce point petit que nous ne soutenons nos compatriotes que dans l’exploit, pas dans la déconvenue ? Sommes-nous devenus à ce point mesquins pour transformer le drapeau national en outil de consommation et de marketing, sans concevoir qu’une identité se forge parfois avec du sang et des larmes.

Ceux qui ont vécu la formidable épopée de 1986 au Mexique – c’était une Coupe du Monde, pas l’Euro, évidemment – se rappellent encore les déboulés de Ceulemans et de Gerets, les saillies improbables de De Mol ou de Grun, les anti-héros qu’étaient les Clijsters, Van der Elst ou Vervoort. À l’époque, nous n’attendions rien, il n’y avait aucune star et la Grand-Place était noire de monde pour accueillir ces « monsieur-tout-le-monde ». Aujourd’hui, rien de tel, on grogne, on exprime sa colère, on refuse d’admettre la faiblesse de ces enfants gâtés qui devaient nous couvrir d’or.

La Belgique n’est pas un pays de victoires collectives, mais bien de désillusions dantesques.

Alain Courtois, échevin MR des Sports à la ville de Bruxelles, regrette que nous n’ayons pas eu la rage de vaincre. La défaite des Diables, dit-il, est le reflet du « manque d’ambition » qu’a la Belgique depuis longtemps. Rachid Madrane, ministre francophone PS des Sports, salue plutôt le fait que Wilmots a ramené du rêve, que les Diables actuels incarnent la richesse de la diversité. La vérité est sans doute entre les deux. Mais ces interprétations différentes dans la défaite illustrent au fond les modèles différents incarnés par les majorités asymétriques du côté francophone – la suédoise au fédéral, la rouge-romaine en Wallonie. On projette sur les Diables nos convictions.

Ce qui est sûr, c’est que les Diables ont été balayés par des Dragons. Quelle métaphore, là encore. Le pays de Galles, sous-entité du Royaume-Uni, partisan du Brexit qui a été voté là-bas à une large majorité, équipe n’ayant pas froid aux yeux, a donné une leçon au pays où se trouve la capitale de l’Europe. Chris Coleman, leur coach, avait insisté auprès de ses joueurs sur une recette toute simple : il ne fallait surtout pas avoir peur. Or, nous, Belges, sommes tétanisés depuis des années par la division, la fin annoncée du pays, l’islamisme radical qui nous gangrène, les niveaux de pouvoir qui s’entredéchirent… Nous sommes devenus telle la grenouille qui se croit plus forte que le boeuf, gonflés artificiellement, mais, au fond, relativement inconsistants.

S’il est une leçon à retenir de cette cuisante défaite, c’est peut-être celle-là : ne parlons plus de « génération dorée » façon bling-bling, mais agissons concrètement pour que ce pays retrouve un dessein collectif. Mettons les doigts franchement sur les problèmes, et tentons de trouver des solutions pour que la tactique s’améliore. Et si cela n’est pas possible, assumons nos différences, entre Anvers et Liège, en faisant la croix sur une victoire européenne.

Qui a dit que le football n’était au fond qu’un miroir de la politique ?

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