Wided Bouchrika

« Ce n’est pas une histoire d’agression ou de violence »

Wided Bouchrika Journaliste free-lance

Mercredi soir, la jeune journaliste Wided Bouchrika a été agressée dans le parc Baudelo, à Gand. Hormis son amie, personne ne l’a aidée alors que l’endroit était très fréquenté.

Assise sur un tapis, je chassais les insectes. Je pensais à ma mère qui se demandait toujours pourquoi les gens aiment s’installer dans les parcs, où les chiens font leurs besoins. Je partageais cet espace avec une amie. Un peu plus loin je vois des familles installées à des tables de pique-nique, des amoureux appuyés contre un arbre, des SDF en train de fumer, et notre agresseur.

Ce n’est pas encore une histoire d’agression ou de violence.

Notre agresseur était déterminé à me pousser contre le sol, dans l’herbe flétrie et à appuyer ses lèvres contre ma peau. Et faire d’autres choses qui ne me venaient pas à l’esprit, car ma tête éclatait du désir de le voir partir, de voir se terminer cette situation pénible. Mon amie a exaucé ce désir. Elle l’a poussé. Mais il n’est pas parti tout de suite. Elle a encaissé un coup. En plein visage.

Ce n’est pas une histoire d’agression ou de violence

Et pourtant ce n’est pas une histoire d’agression ou de violence.

C’est un amoncellement de platitudes et la banalité. Je l’ai vu sur les visages des amoureux. Même notre agresseur semblait fatigué des trivialités de la vie. La scène a eu lieu, et comme pour n’importe quelle mauvaise publicité, les gens dans l’herbe ont décidé de l’ignorer. Mon amie et moi avons vécu toute l’histoire. Nées pour jouer ce rôle.

101 – « Quelle est l’urgence? » – Il n’y en a pas, on doit attendre. Et pendant que l’on attend, trois homo sapiens masculins qui passent en voiture nous abreuvent d’expressions plus dénigrantes les unes que les autres.

J’essaie de tirer mon short vers le bas. Une tentative infructueuse de couvrir un peu de chair. Le geste me rappelle les enseignants qui m’ordonnaient de ne pas porter de minijupes, de robes courtes ou de shorts. Et quand je demandais pourquoi les autres filles en avaient le droit, ils me répondaient que mes jambes étaient longues, si longues qu’elles affolaient les garçons.

Mon amie n’arrivait pas à décider si elle devait rire ou pleurer. Son visage était défiguré par la douleur. Le syndrome prémenstruel classique. Il est grand temps de nous ressaisir. La seule trace physique de tout ça, c’est une pauvre commotion cérébrale, c’est-à-dire pratiquement la même chose qu’une gueule de bois ordinaire.

Ce n’est vraiment pas une histoire d’agression ou de violence.

Je ne pensais pas que je devais être bouleversée. Ou même que c’était permis. Je remarque que chaque fois que je raconte cette histoire, je minimise les faits. Je me dis que je ne devrais pas dramatiser à ce point.

Et c’est ainsi que je contribue à cette norme de la société où les filles peuvent s’attendre à être embrassées contre leur gré, battues quand elles protestent et où on leur demande de sourire parce que ça les embellit.

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