Thierry Fiorilli

Ce formidable besoin de victoires… que seul le foot serait capable d’assouvir

Thierry Fiorilli Journaliste

Du pain et des jeux. Instincts les plus bas flattés à vil prix. Passions médiocrement cocardières. Dictature du sport perverti par le business. Miroir pitoyable d’une société écervelée, etc. On a beau dire, le foot est aujourd’hui l’ingrédient le plus fédérateur. Parfois entre les peuples, sûrement au sein de ceux-ci.

Du pain et des jeux. Instincts les plus bas flattés à vil prix. Passions médiocrement cocardières. Dictature du sport perverti par le business. Miroir pitoyable d’une société écervelée, etc. On a beau dire. Les audiences record en télévision, l’éclosion des couleurs nationales dans tout le pays – aux fenêtres, sur les voitures, les visages, les murs, dans les bacs de fleurs, autour des meules de foin… – et l’ampleur de la désillusion après la déroute des Diables Rouges contre le Pays de Galles démontrent que le foot est aujourd’hui l’ingrédient le plus fédérateur. Parfois entre les peuples, sûrement au sein de ceux-ci.

Les trois semaines qu’aura duré l’aventure de l’équipe nationale à l’Euro 2016 auront ainsi rassemblé les Belges par cohortes. Plus d’un million et demi de téléspectateurs francophones en moyenne (sur cinq rencontres disputées). Trois millions et demi, des deux côtés de la frontière linguistique, pour le dernier match. Des dizaines de milliers dans les stades français. Bien plus encore sur les lieux de travail, ou de détente, du fond de la Wallonie au coin le plus reculé de Flandre, pour les pronostics comme pour les commentaires d’après-matchs.

Le football est le plus gros vecteur d’union de notre époque. Plus que la religion, que l’engagement politique, le combat social, le recueillement après l’effroi

Dans un pays qui, ces vingt dernières années, a connu plusieurs événements ayant débouché sur des moments de communion aussi intense que massive, ces trois semaines-là n’ont aucun précédent de taille comparable. Et si l’histoire ne s’était pas achevée, de façon plutôt brutale, à Lille, un 1er juillet qui restera de très funeste mémoire pour beaucoup d’acharnés, si elle s’était prolongée jusqu’à la finale de ce dimanche 10 juillet, si elle avait été couronnée par un premier titre européen, comme il était très sérieusement permis de songer, on peut prétendre, sans gêne, que le retour au bercail des Diables aurait marqué le plus grand rassemblement de foule que la Belgique ait connu depuis la Libération.

Pour du football. Pour un succès dans un tournoi. Pour un exploit d’une poignée de jeunes gars, auquel personne parmi ceux qui exult(ai)ent n’a contribué de quelque manière que ce soit. Juste parce que les gagnants port(ai)ent les couleurs qui sont celles du pays dont le nom et les frontières délimitent le sol sur lequel sont nés ou ont débarqué celles et ceux qui leur rendent gloire. Juste parce qu’on s’identifie à eux. « Eux » : le groupe, dans son ensemble.

Le football, plus gros vecteur d’union de notre époque. Le foot… Plus que la religion, plus que l’engagement politique, le combat social, le recueillement après l’effroi, après la catastrophe, après les attentats. Plus que le devoir électoral. Plus que l’amour de l’art.

On peut en ricaner. On peut s’en désoler. Mais on ne peut pas l’ignorer. Sans forcément n’y déceler qu’un énième symptôme d’ère de déclin, de vacuité et de pauvreté d’esprit. Sans doute doit-on plutôt intégrer ce besoin, de plus en plus collectif, de victoires. Pas sur un ennemi, un envahisseur, un rival. Pas même pour un monde meilleur, des lendemains plus lumineux, des fins de mois moins rudes. Pas davantage pour plus de confort, de pouvoir ou d’ambition. Non. Besoin de victoires pour les célébrer. Pour avoir un motif, un mobile plutôt, de réjouissances, et peu importe leur forme. Pour hurler, klaxonner, ripailler, plonger dans les fontaines, escalader les statues, danser sous la pluie. Sans que ça ne change rien au quotidien, celui du pays, sur les plans politique, social et économique, comme celui de chacun des noceurs peinturlurés de noir, de jaune et de rouge.

Ce besoin de victoires, surtout dans un sport collectif cette fois, et pas n’importe lequel – le plus important, celui où d’autres ont bien plus de moyens -, et ne reposant donc pas uniquement sur le talent, hors norme, d’individualités comme il n’en naît qu’une fois tous les mille ans (Merckx, Ickx, Henin, Clijsters…), ce pays et ses populations en ont grand soif, on l’a mesuré ces dernières semaines. Parce que trop de déchirures, trop de drames, trop de railleries, trop de trahisons. Et il apparaît, en l’état, que seul le foot serait capable de l’assouvir.

Pourquoi pas, donc, finalement ? Les Français et les Portugais ne diront pas le contraire.

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