Nicolas De Decker

Caterpillar, une certaine idée de l’union sacrée

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Une usine qui ferme, c’est comme un type qui meurt. Or on ne fait pas de boucan dans la maison d’un mort. On murmure des honneurs à sa mémoire en trempant sa galette dans une jatte de café amer, et on baisse les yeux quand la famille pleure. On pleure avec, parfois. Mais on ne fait jamais, jamais, de boucan. Même quand on n’aimait pas le mort.

Même quand on s’intéresse à son héritage. Et surtout quand il s’est fait assassiner. Unité. Sérénité. Dignité.

Ca n’empêche pas qu’à tous les coins de la chambre funéraire, sous la funèbre pudeur qu’impose le qu’en dira-t-on ?, chacun s’observe. Tout le monde prend position. Même ceux qui n’aimaient pas le mort. Surtout ceux qui s’intéressent à son héritage. D’autant plus qu’il s’est fait assassiner.

Et chacun remarque ce que l’autre fait. Comment il console la veuve, si sa couronne est plus grosse ou plus près du cercueil, si ses larmes sont plus appuyées, si sa gorge se noue plus haut, si son coeur saigne plus fort.

Ainsi depuis l’acte de décès de Caterpillar et des politiques francophones.

Ils ont crié, tous ensemble, contre le terrifiant assassin américain. Ils étaient sincères, bien sûr. Mais ils ont hurlé d’autant plus fort que celui-ci ne les entendait pas et que les caméras, elles, les enregistraient bien. Garantes du qu’en dira-t-on ?, elles n’auraient pas supporté d’autre boucan.

Pas question que la famille se déchire, que les héritiers s’insultent ou que les voisins ricanent.

Unité. Sérénité. Dignité.

Ainsi de Charles Michel et Paul Magnette et de leur parti respectif. Les deux premiers, le belge et le wallon, se détestent. Les deux seconds, le libéral et le socialiste, ne s’aiment pas.

Mais aujourd’hui, les quatre font front contre les méchants. Au moins se sont-ils trouvé un ennemi commun, une grande méchante multinationale en jaune et noir.

Unité. Sérénité. Dignité.

Un peu de politique aussi.

Car aussi bien qu’on ne peut pas s’arrêter de vivre parce que quelqu’un est mort, ils ne peuvent pas cesser de travailler. Et leur travail à eux, depuis deux ans et demi, c’est de s’emmerder. Alors ils s’emmerdent.

Mais pudiquement.

Chacun met l’autre sous pression.

Ainsi Olivier Chastel, le président du parti du Premier ministre conseille-t-il d’envisager la réquisition du site de Gosselies. Il ne l’envisage pas pour lui-même, mais pour les autres. C’est que la réquisition est gratuite pour le MR, mais qu’elle pourrait coûter cher au PS. Parce que c’est le gouvernement wallon auquel le MR ne participe pas, et pas le gouvernement fédéral qu’un libéral dirige, qui devra négocier ces questions avec la grande méchante multinationale. Si elle ne se laisse pas faire, ce sera le gouvernement wallon qui aura été incapable de la faire plier. Pas ce gouvernement fédéral si empathique, ni ce président de parti si pugnace.

Ainsi Elio Di Rupo, le président du parti du Ministre-président demande-t-il d’exiger que les futurs licenciés de Caterpillar Gosselies obtiennent les mêmes conditions de prépension que les anciens licenciés de Ford Genk. Il ne les exige pas de lui-même, mais des autres. C’est que ces prépensions sont gratuites pour le PS, mais qu’elles pourraient coûter cher au MR. Parce que c’est le gouvernement fédéral auquel le PS ne participe pas, et pas le gouvernement wallon qu’un socialiste dirige, qui devra négocier ces questions avec la grande méchante multinationale et avec les grands méchants flamands. S’ils ne se laissent pas faire, ce sera le gouvernement fédéral qui aura été incapable de les faire plier. Pas ce gouvernement wallon si pugnace, ni ce président de parti si empathique.

Pendant ce temps, le bourgmestre de Charleroi peste contre ces déductions fiscales du gouvernement fédéral dont profitent les grandes entreprises à Gosselies mais le Ministre-président wallon réclame du gouvernement fédéral des déductions fiscales pour les grandes entreprises qui s’installeraient à Gosselies. Des intérêts notionnels pour Caterpillar à Gosselies, non. Une zone franche pour le terrain de Caterpillar à Gosselies, oui.

Pendant ce temps, le bourgmestre de Wavre promet d’aller se battre contre la grande méchante multinationale en jaune et noir mais les partis flamands du gouvernement du Premier ministre disent soit qu’il ne faut pas se battre contre les multinationales multicolores, comme l’Open VLD Egbert Lachaert à la Chambre jeudi, soit que c’est au gouvernement wallon où ne siègent pas les partis flamands d’aller se battre contre la grande méchante multinationale en jaune et noir, comme le CD&V Servais Verherstraeten à la Chambre jeudi. De la compassion pour les sacrifiés de Caterpillar, oui. De l’action contre les multinationales, non.

Et pendant ce temps, le bourgmestre d’Anvers, lui, se tait comme jamais. Son parti national en jaune et noir n’a pour une fois pas brisé l’union sacrée. Pas de boucan. Pas un murmure. Pas même un sourire de sympathie. Unité. Sérénité. Dignité.

Le président du plus grand parti de Belgique rompra le silence quand le cercueil sera fermé et que les larmes auront séché, c’est-à-dire bientôt.

Soit pour parler d’autre chose, parce que la Flandre s’en fiche, et parce que les grandes méchantes multinationales, lui, il les aime. Même celles en jaune et noir qui quittent la Wallonie.

Ou pour parler du crime. Parce que faire du boucan, ça, il sait.

Et parce que le cadavre est wallon.

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