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Caroline Gennez : « Je plaide pour l’élection directe d’un duo de Premiers ministres »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

L’ancienne présidente des socialistes flamands (2007-2011) plaide pour un renouveau politique via une bipolarisation et la naissance d’un bloc de gauche progressiste. Son rêve? L’élection au suffrage universel direct de deux Premiers ministres, issus de deux Régions, pour solidifier la Belgique fédérale. Entretien.

Levif.be : Le débat sur la naissance d’un rassemblement des forces de gauches progressistes en Flandre ressemble un peu au monstre du Loch Ness. C’est peut-être un moment idéal pour mettre en place une telle alternative à la droite ?

Pour moi, chaque moment est un bon moment parce que cela correspond tant à la composition de la société qu’aux défis auxquels nous sommes confrontés en ce début de 21e siècle. Dans mon livre « De verschilligen », je pose le constat que notre société est toujours organisée comme il y a 70 ans, alors que le pays était divisé entre catholiques et laïcs, Wallons et Flamands, ouvriers et capitalistes. Or, la société actuelle est bien plus diversifiée que cela, tout le monde a une identité bien plus large, pluraliste, moins stérile.

Il faut prendre la peine de regarder quel sont les cadres de valeurs des citoyens et leurs aspirations. On aperçoit alors, en effet, d’un côté ceux qui considèrent le travail important, bien sûr, mais qui estiment aussi que les fruits du travail doivent servir à la communauté pour défendre les droits des individus, les protéger, leur offrir le droit à l’énergie, des crèches… De l’autre côté, il y a ceux qui considèrent que l’Etat doit se concentrer sur ses tâches prioritaires de sécurité et d’affaires étrangères, le reste étant du ressort des individus.

Les premiers sont des progressistes, partisans d’un dialogue pour le progrès, d’une évolution par essai et erreur, d’une participation de tous, d’une égalité des chances. En psychologie, c’est le modèle des parents bienveillants, d’une famille où les enfants ont le droit à la parole, où chacun a son rôle et son impact. Les seconds sont davantage des conservateurs de droite qui considèrent que cela doit être comme ça parce que cela a toujours été comme ça, que le patron a raison. En psychologie, c’est le modèle du père autoritaire.

De Wever, en somme ?

Voilà, en Flandre, cela est parfaitement incarné par De Wever. Chacun de ces deux modèles représente à mon avis autour des 50% et est susceptible de varier sans doute vers les 40% ou les 60%.

Politiquement, ces deux pôles suffiraient, selon vous ?

En effet. Si l’on repartait de zéro pour ériger les partis politiques en Flandre, il n’y en aurait certainement pas huit comme c’est le cas aujourd’hui.

En tant que social-démocrate, je pense pouvoir rejoindre les valeurs de Groen à 90%. Je les partage aussi avec les chrétiens-démocrates voire même avec certains libéraux sociaux. Je pourrais parfaitement être dans le même parti qu’un Matthias De Clercq (NDDLR : Open VLD) à Gand. Ce sont des gens qui ont une vision plus large que l’individu, notre Région, notre langue, mais qui veulent une Europe plus forte.

Moi-même, je ne viens pas d’un nid spécialiste. Ma mère était indépendante, mon père venait d’un milieu très pauvre et, grâce à des bourses, a pu s’émanciper pour devenir fonctionnaire. J’ai été inspiré par des influences très différentes. C’est le cas de tout le monde et cela devrait valoir aussi pour les structures.

Il semble toutefois difficile de mener un tel débat sur une recomposition du paysage politique qui vous semble évidente. Pourquoi? Vous avez été présidente du SP.A durant quatre ans, vous devez avoir eu un aperçu des difficultés que cela pose, non?

Ce débat a toujours eu lieu, mais il est difficile, c’est vrai. Je me demande souvent comment il se fait que les structures soient encore à ce point pilarisées dans notre pays, que ce soit dans la concertation sociale, l’enseignement… alors que les gens ne pensent plus du tout comme cela. Un employé essaye d’exercer son travail correctement sans porter d’écharpe rouge ou verte. des parents choisissent une école pour leurs enfants parce qu’elle est proche de chez eux ou qu’elle dispense un enseignement de qualité, pas parce qu’elle est catholique. Les structures ont tendance à se protéger elles-mêmes, c’est lié au pouvoir, à l’argent qu’elles reçoivent. Mais on devrait pouvoir se détacher de ces structures pour se focaliser sur les objectifs à poursuivre, aux gens que l’on veut servir. Il devrait y avoir davantage de participation des citoyens aux processus de décision, cela amènerait de soi-même une réorganisation de ces structures.

Si l’on part des structures, cela n’arrivera jamais car chacune d’entre elles défendra son existence jusqu’au dernier de ses membres.

Ce ne serait jamais le bon moment pour construire une alternative de gauche progressiste, selon certains. Aujourd’hui, Groen progresse tandis que le SP.A est à la traîne; avant, c’était l’inverse…

C’est cela qui est triste. Nous sommes aujourd’hui à 14,5%. Groen n’a pas atteint les 10% en dépit de sa progression. Ensemble, nous pourrions peut-être atteindre 30% ou davantage. Beaucoup de jeunes ne se retrouvent plus dans les bastions politiques actuels, ne veulent pas marcher avec le drapeau rouge ou être assimilés à l’image d’un écologiste militant, mais ils sont bien favorables à un renouveau de la politique, une plus grande participation au niveau local, le développement des coopératives… Ce sont des gens engagés socialement, mais pas politiquement que nous pourrions toucher en nous débarrassant des étiquettes politiques traditionnelles. J’y crois très fortement.

Vous êtes davantage favorable à un mouvement qu’à un parti?

Je ne suis pas un enfant de choeur, je sais qu’il faudra toujours des partis en politiques et des organisations avec un leadership fort pour initier le débat de société. mais à côté, oui, il faut davantage de mouvements, l’engagement de classes plus larges de la société qu’aujourd’hui, au-delà des castes politiques actuelles.

Vous êtes donc favorable à un nouveau parti de gauche progressiste, comme ce fut le cas avec la N-VA?

Oui, la N-VA fut un nouveau parti, mais qui a capitalisé les voix de la droite conservatrice en Flandre. Mais je ne pense pas qu’elle se serait organisé aussi rapidement sans les racines du Mouvement nationaliste flamand. La N-VA a réveillé énormément de cellules dormantes, pour utiliser une autre terminologie. Si vous regardez ses cadres actuels, beaucoup, comme Jan Jambon, étaient très proches du noyau dur de ce Mouvement flamand. Le plus curieux, c’est que ce parti qui avait refusé de monter au gouvernement avec nous sans réforme de l’Etat dirige aujourd’hui une majorité de droite, néolibérale.

Mais il semble qu’une telle évolution soit plus difficile à gauche, en raison d’histoires très différentes selon les partis…

C’est vrai. Le point de départ de mon livre, c’est bien que chacun a son histoire, ses racines et c’est très important dans une société super-diverse. Un tel parti progressiste de gauche respecterait les traditions de chacun. Il y aurait forcément des gens davantage orientés vers l’économie, d’autres vers la participation, l’environnement ou la santé. mais cela ne poserait aucun problème.

Beaucoup de mes amis écologistes ou libéraux ne voudraient en aucun cas marcher derrière un drapeau rouge le 1er mai: on ne leur demandera jamais, c’est une question de respect, mais ne nions pas non plus ceux qui trouvent cela important chez nous.

Je propose aussi dans mon libre un façon pragmatique d’y arriver, sans attendre que cela tombe du ciel ou que des leaders l’imposent. Au sein de chaque institution, il pourrait y avoir un appel d’air en ce sens.

Ce sera une source de clarté pour la vie politique belge. Et c’est une évidence sociologique.

Vous n’avez pas répondu à ma question: en tant que présidente du SP.A, avez-vous essayé de mettre une telle alternative en place? Et pourquoi cela ne fut-il pas possible?

Wouter Van Besien (Ndlr – alors président de Groen) et moi-même avons collaboré étroitement durant la négociation de la sixième réforme de l’Etat, nous nous sommes concerté sur pratiquement tout et nous étions sur le même ligne. Cela fonctionnait bien, c’était concret. C’est ce que j’essaye de faire aujourd’hui chaque jour dans l’opposition au parlement flamand: chaque initiative que je prends, je la soumets à mes collègues de Groen. Sur le fond, nous sommes à 90% d’accord. Faisons-le concrètement, et voyons comment on peut prolonger cela dans la perspective des élections de 2019. Chaque fois que j’ai voulu forcer les choses quand j’étais présidente, je me suis heurtée aux structures.

Mon grand rêve, pour dans une dizaine années, serait de reconstruire une maison belge dans laquelle tout le monde se retrouverait politiquement. Cela passerait par une sorte d’élection directe d’un duo de Premiers ministres, comme c’est le cas du président américain. Cela semble peut-être utopique, mais ce doit être possible dans une Belgique avec quatre Régions équivalentes.

Les candidats se présenteraient par deux, issus de deux Régions différentes, devant tous les Belges: un Flamand et un Wallon, un Flamand et un Bruxellois… Par-delà les frontières de parti: je pourrais par exemple trouver Paul Magnette formidable et me présenter en ticket avec lui, mais John Crombez pourrait préférer une alliance violette avec Charles Michel, par exemple, ou un duo rouge-vert avec Emily Hoyos ou Jean-Marc Nollet. Ces deux candidats devraient rédiger ensemble un programme de gouvernement et, s’ils sont élus, composeraient ensemble leur équipe.

Sur base des partis, alors?

Pas nécessairement. Ils pourraient choisir des membres de députés ou des spécialistes. A côté de cela, la représentation parlementaire continuerait à exister sur la base des partis et un dialogue s’établirait entre les deux, davantage qu’aujourd’hui où, quand vous êtes député de la majorité vous appuyez sur le bouton, quand vous êtes dans l’opposition vos propositions ne servent à rien aussi merveilleuses soient-elles.

Je crois que ce serait une source nouvelle de renouveau et de progrès, ce qui n’est plus possible aujourd’hui car tout le monde a tendance à se neutraliser pour de mauvaises raisons. Soyons un peu fous. Ceux qui se sont battus pour la sécurité sociale ou la réduction du temps de travail étaient aussi considérés comme cela, avant que cela ne se réalise.

Entretien : Olivier Mouton

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