Carl Devos croit possible un " Michel II ". © Eric de Mildt/id photo agency

Carl Devos: « Michel, davantage un top diplomate qu’un leader »

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Le politologue flamand Carl Devos estime que le Premier libéral n’est pas encore un réformateur historique comme Jean-Luc Dehaene.  » Il se voit plus grand qu’il n’est « , assène-t-il. Ce qui explique, aussi, son sentiment d’être mal aimé.

C’est une star en Flandre. Au nord du pays, les critiques de Carl Devos, politologue à Gand et chroniqueur au Morgen, tombent souvent comme des couperets. Il analyse pour Le Vif/L’Express cette législature qui s’achève, marquée par le choix audacieux du MR Charles Michel.

L’accord estival conclu par le gouvernement fédéral parachève-t-il cette législature axée sur la priorité socio-économique ?

C’est un accord important parce que c’est la dernière grande offensive du gouvernement Michel, qui déterminera la façon dont on se souviendra de son action. Mais c’est un accord fragile, dont le point faible est ce budget qui repose sur une illusion. Il a été conclu grâce à une série de trucs techniques et avec l’espoir d’un effet retour important sur la création d’emplois engendrés par le jobs deal. Le problème, c’est que tout est lié. Kris Peeters (CD&V), ministre de l’Emploi, doit mettre ce jobs deal en oeuvre, mais il attend la concrétisation de l’accord sur l’indemnisation des coopérateurs d’Arco, lui-même lié à la mise en Bourse de 30 % des parts de la banque Belfius. Cela illustre une caractéristique fondamentale de cette coalition : une méfiance fondamentale entre partenaires, qui complique la prise de décision. On aurait pu s’attendre à un accord fermé, tirant les leçons du précédent accord estival de 2017, qui a provoqué des misères lors de sa concrétisation durant les douze mois qui ont suivi. Mais l’histoire se répète. Et cette fois, la nouveauté, c’est que beaucoup d’observateurs n’y croient plus. C’était déjà le cas depuis longtemps d’une majorité d’observateurs du côté francophone mais, cette fois, ce l’est aussi du côté flamand, y compris de la part de médias à tendance libérale comme le Tijd, Trends ou Het Laatste Nieuws.

C’est du côté francophone que Michel doit défendre son bilan

Charles Michel n’a pas caché son courroux face à ces nombreuses critiques, dans ses interviews de la fin juillet…

On remarque, en effet, une frustration dans le chef du Premier ministre, qui a réagi de façon assez faible en dénonçant les  » pseudo-experts « . De même, la proposition de certains membres de la majorité de supprimer le comité de monitoring, composé de fonctionnaires qui balisent de façon technique la confection du budget, donne l’image d’un gouvernement qui veut manipuler les chiffres. On a l’impression que Charles Michel regrette de ne pas être considéré comme le grand réformateur qu’il prétend être. Il faut pouvoir le dire : chapeau à lui d’avoir réussi à tirer le maximum de cette coalition très compliquée, qui plus est en étant jeune et relativement inexpérimenté. Le problème, c’est qu’il veut se faire plus grand qu’il n’est. Or, non, il n’est pas encore un réformateur historique, à la Dehaene.

Le MR s’enorgueillit d’avoir créé 190 000 emplois et d’avoir maintenu la paix communautaire. Ce n’est pas rien ?

Je ne dis pas qu’il n’a rien fait… Mais il a pris des décisions et lancé des réformes comme d’autres gouvernements l’ont fait avant lui, sans plus. La création d’emplois dans le secteur privé doit être saluée. Chapeau et merci, là encore ! Mais ce succès est avant tout l’effet de la bonne conjoncture et d’un tax-shift qui est en réalité un tax-cut parce qu’il n’est pas financé. Le côté le plus historique, à vrai dire, réside dans ce que cette majorité n’a pas fait : l’absence de discussions institutionnelles.

Avez-vous le sentiment que Charles Michel a développé ces derniers temps une forme d’arrogance ?

Ce que j’ai surtout remarqué, ces derniers mois, c’est qu’il est devenu davantage assertif. Charles Michel est en campagne électorale. On l’a vu à la façon dont il a exprimé que l’offre française n’était pas exclue pour le remplacement des F-16, ce qui paraît inacceptable du côté flamand. Le Premier ministre doit montrer qui est le patron, surtout après les provocations à répétition de la N-VA. Son ton a changé lors des dernières sorties de Theo Francken, ce fut un tournant. On sent aussi qu’il veut imposer l’idée qu’il a énormément travaillé pour stabiliser le pays, alors que certains ne veulent pas le reconnaître.

Serait-il incompris ? Mal aimé ?

Ce constat est certainement vrai du côté francophone où l’on n’accepte pas son alliance avec la N-VA, depuis le début. Ce l’est moins du côté flamand où il est populaire et respecté parce que l’on comprend mieux son choix et la difficulté de sa tâche. Malheureusement, c’est du côté francophone qu’il doit défendre son bilan. Sans doute devrait-il pouvoir expliquer mieux à ses électeurs à quel point sa mission était complexe pour les convaincre de l’importance de ce qu’il a fait. Le piège, pour lui, c’est que s’il le fait, on lui rétorquera rapidement que la solution serait de gouverner sans la N-VA.

Le MR affirme que l’action de ce gouvernement représente la synthèse parfaite de son programme.

Et il a probablement raison… en partie. Je pense que ce ne sera pas simple pour lui de défendre la dégressivité des allocations de chômage du côté francophone. De même, il y a des voix qui s’expriment, y compris au sein du MR, contre la communication de Theo Francken ou la volonté de prendre certaines mesures fermes, comme le projet sur les visites domiciliaires. Il y a aussi des difficultés lorsque les partis flamands revendiquent des économies en matière de sécurité sociale. Tout n’est pas forcément aussi simple pour lui, mais oui, le MR fait la synthèse.

La thèse la plus probable semble la reconduction de cette majorité, un Michel II ?

En Flandre, il est difficile d’imaginer un futur gouvernement avec les socialistes et sans la N-VA. Le successeur de Michel I pourrait donc être Michel II, oui. Cela pourrait d’ailleurs être curieux à certains égards parce que cette majorité a créé beaucoup de futurs problèmes par elle-même. Lors de la prochaine législature, elle pourrait par exemple être forcée de combler un trou budgétaire de sept à huit milliards qu’elle a elle-même creusé durant cette législature pour créer de l’emploi. J’espère d’ailleurs que, pendant la campagne électorale, des déclarations claires seront faites au sujet des économies à réaliser et des nouvelles recettes à générer. Pas comme en 2014, lorsque rien n’avait été dit au sujet du relèvement de l’âge de la pension.

Cette même coalition serait donc dirigé par le même Premier ministre ?

Je le pense, oui. La N-VA ne pense pas vraiment au Seize, ni pour Jan Jambon ni pour Bart De Wever. Le CD&V ne l’accepterait d’ailleurs pas pour les mêmes raisons qu’en 2014 : la N-VA provoque en permanence et mène campagne durant toute la législature. Charles Michel a toutes les qualités pour rester Premier ministre. C’est davantage un top diplomate qu’un grand leader et, pour les partis flamands, c’est ce qu’il faut. Ce sont les trois partis flamands qui donnent le ton des politiques à mener. Charles Michel, lui, est l’homme idéal pour apaiser les tensions et trouver des compromis qui correspondent à ce qu’une majorité de l’opinion publique flamande souhaite.

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