Charles Michel et Didier Reynders © BELGA

Carl Devos: « Il faut absolument un candidat au poste de premier ministre »

Débarrassés de la question du commissaire européen, les négociateurs de la coalition suédoise n’ont toujours pas décidé qui devait occuper le poste de premier ministre. Le politologue Carl Devos (Université de Gand) estime qu’il faut absolument un candidat.

Vous estimez qu’il faut un candidat au poste de premier ministre. Pourquoi ?

Carl Devos: « Pour deux raisons importantes. La principale est liée au jeu des négociations. En cette semaine primordiale, il faut quelqu’un qui prenne l’initiative d’un compromis. Une locomotive, quelqu’un qui propose les premières versions, joue un rôle de médiateur aux moments de crise et qui donne forme à l’accord. Pour l’instant, trop de négociateurs se regardent en chiens de faïence et cette situation gêne les négociations ».

« La seconde est de l’ordre du contenu. Le parti qui ira au Seize devra se montrer moins exigeant. Cela a toujours été ainsi : le premier ministre et son parti doivent se retenir précisément parce qu’ils sont les premiers responsables du compromis et qu’ils doivent donner le bon exemple. Si un parti pose une exigence importante, les autres voudront savoir si ce parti fournit le premier ministre, car dans ce cas il devra tempérer son exigence. C’est pourquoi la désignation d’un premier ministre est nécessaire pour bien négocier ».

À cet égard le CD&V a-t-il compliqué la formation en sortant le candidat favori au poste de premier ministre, Kris Peeters ?

Carl Devos: Dans un certain sens oui, car le CD&V aurait pu dire durant la formation flamande, lors des discussions sur le Seize (en la présence de Charles Michel), qu’il voulait en tout cas le commissariat européen. Si le parti avait été clair il y a quelques semaines, on aurait pu éviter ces scènes nocturnes. Les chrétiens-démocrates flamands ont longtemps cru que les deux postes seraient possibles alors que les autres ont longtemps cru que le CD&V ne laisserait pas tomber le poste de premier ministre. Cependant, il n’est pas exclu que Kris Peeters devienne encore premier ministre.

La discussion au sein de la famille libérale sera-t-elle difficile ? En Flandre, on entend beaucoup le nom de Maggie De Block, mais est-elle la personne adéquate ? Du côté francophone, la discussion entre Charles Michel et Didier Reynders risque d’être enflammée.

Carl Devos: « Il semble que le premier choix aille au MR. Ce n’est qu’après que l’Open VLD entre en scène. Et ce n’est parce qu’il a été convenu que le Seize sera attribué à un libéral, que ce sera le cas. Il reste peu de certitudes, même les accords bétonnés peuvent se rompre après quelques semaines.

Michel semble un choix logique, mais qui sait, ce sera peut-être Reynders. Dans ce cas, Charles Michel continuera à veiller à la ligne du MR en dehors du gouvernement. C’est difficile à prévoir. Cependant, il semble improbable que le MR abandonne le Seize après avoir perdu le Commissariat européen. Seule la N-VA qui n’est pas très emballée à l’idée d’un premier ministre francophone pourrait protester. Cependant, il est évident qu’alors les libéraux leur rétorqueraient de s’en charger, ce que la N-VA n’a pas l’air prête à faire. Il est donc probable que le MR occupe le poste de premier ministre ».

Quelles sont les chances de Didier Reynders, actif dans les hautes sphères de la politique depuis quinze ans ?

Carl Devos: « Pratiquement tout le monde estime à juste titre que Reynders doit entrer au gouvernement, qu’il y est moins dangereux qu’à l’extérieur. Est-il prêt à servir sous Michel en tant que vice premier ministre ? Même alors qu’il resterait une sommité dont tout premier ministre doit tenir compte. Cependant, le garder en dehors du gouvernement, en tant que président de parti, serait encore plus aventureux. Et il y a d’autres chefs qui garderont le contrôle sur le gouvernement depuis leur parti : Bart De Wever et Wouter Beke ».

Maggie De Block serait-elle un bon premier ministre? Si elle est populaire, elle n’était « que » secrétaire d’État.

Carl Devos: « La popularité peut tourner et il s’agit donc d’une base un peu mince pour le choix de premier ministre. Ses autres qualités sont plus importantes : elle n’est pas un petit coq, elle ne veut pas à tout prix se profiler aux dépens des autres et elle est capable de se relativiser. Aux normes de la rue de la Loi, elle est modeste et elle communique ‘humainement’ et facilement. Ce profil peut se révéler important : le premier ministre suivant doit tenir compte de vice premiers ministres puissants et de présidents forts qui observent le gouvernement depuis les coulisses.

En revanche, elle dispose de peu d’expérience et de réseaux dans les plus hautes sphères, elle s’est concentrée uniquement sur son propre domaine et ne s’est pas mêlée d' »affaires générales » ou de grandes stratégies politiques. Durant la campagne elle n’a pas non plus laissé d’impression écrasante sur ce plan.

Cependant, l’Open VLD a davantage intérêt à laisser le Seize à d’autres et à connaître sa place, sinon il dirigera un gouvernement dans lequel il n’aura pas grand-chose à dire même si tout cela est théorique : le MR ne laissera pas le Seize à son petit frère.

D’autre part, dans ce pays on ne sait jamais… Seule certitude, il faut prendre une décision en cette énième semaine de vérité ».

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