Thierry Fiorilli

Camarades patrons!

Thierry Fiorilli Journaliste

« Qu’est-ce qu’un capitaliste rouge ? C’est un capitaliste comme les autres, à cette différence près que chaque 1er mai, il sort son écharpe rouge du placard et court chanter une vibrante Internationale au meeting du PS. » C’est Claude Demelenne qui l’assène. Et pas du tout pour faire rigoler qui que ce soit.

L’écrivain-journaliste- polémiste, longtemps chantre du PS avant de tenter l’aventure du hors-piste total, crie son dépit et sa révolte devant l’une des réalités francophones, et singulièrement wallonnes, d’aujourd’hui : le parti des masses laborieuses produit toujours plus de patrons d’entreprises publiques ; et ces entreprises fonctionnent toujours davantage sur le plus pur modèle du profit avant tout. D’authentiques businessmen, donc. Par ailleurs authentiques élus aux communales et/ou aux régionales sur d’authentiques listes socialistes.

On peut pleurer ou éructer, comme Demelenne. On peut ricaner aussi. Mais on doit surtout considérer la donne comme elle mérite de l’être : si tout le monde réclame à cor et à cri, depuis des décennies, une modernisation des mentalités et des pratiques en Wallonie, pour y relancer l’économie, y réveiller l’esprit d’entreprise et y recréer de l’emploi, il semble assez normal que celles et ceux qui la gouvernent s’érigent en patrons désireux de faire tourner leur boîte, à plein régime – et coût minimal si possible. Or, depuis plus de vingt-cinq ans, le Parti socialiste est la formation la plus puissante en Wallonie ; depuis plus de vingt-cinq ans, il pèse plus que tous les autres dans les décisions politiques et économiques prises par les gouvernements régionaux successifs comme dans le contrôle des leviers financiers.

Sans surprise donc, on retrouve des socialistes à tous les postes publics importants, des intercommunales aux mutualités, des sociétés de logement aux sociétés d’investissement, des fonds de pensions aux médias. Et sans davantage de surprise, le profil de ces président(e)s et directeurs/trices-là, comme leur âge d’ailleurs, et comme leur formation, se rapproche plus de celui de capitaine d’entreprise ambitieux que de petit rond de cuir léthargique.

Le plus beau symbole : Stéphane Moreau, patron de Tecteo. Businessman et bourgmestre, homme de parti mais chef de clan, pilotant une intercommunale mais la menant comme une société privée (la sienne), gérant de l’argent public mais l’utilisant dans des secteurs où les communes et leurs citoyens n’ont guère d’intérêts. Autour de lui, issus du même PS, des élus habités par des objectifs mille fois plus économiques que sociétaux, philosophiques ou idéologiques : puisque tout est business, puisque la concurrence est si rude, puisqu’il faut prouver qu’on est capable de se prendre en main, puisque la crise a rendu puissance et crédit à l’Etat, animons le marché ! Faisons fructifier, vite, beaucoup et longtemps.

Les libéraux ne feraient pas autrement.

Mais là où le PS wallon démontre une faculté d’adaptation inouïe, même si Bart De Wever ne l’a pas encore (officiellement) perçue, il confirme sa difficulté à agir en adéquation avec ce qu’il prône. Ses camarades patrons investissent, commercent et prospèrent, mais sans grand profit pour le plus grand nombre. Et sans grand respect des règles (transparence, décence salariale, contrôles) qu’il a lui-même réclamées, voire édictées. De quoi l’éloigner de ce qui reste (officiellement) sa raison d’être : garantir à tous un monde meilleur, une organisation sociale harmonieuse et la fin de toutes les formes d’injustice.

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