Olivier Mouton

C’était Joëlle…

Olivier Mouton Journaliste

L’inculpation et la démission de Joëlle Milquet tournent une page importante de la politique francophone. Et constituent un séisme, tant pour le CDH que pour le monde politique.

Joëlle Milquet a démissionné. La ministre francophone CDH au giga portefeuille (Education et Culture) fait un pas de côté pour se défendre, tout en continuant à réfuter les allégations avancées à son égard. Elle est pourtant inculpée de « prise illégale d’intérêt » en vertu de l’article 245 du Code pénal. Cette procédure judiciaire fait suite à des révélations faites par Le Vif/ L’Express en février 2014 au sujet de collaborateurs fantômes engagés dans son cabinet ministériel pour mener campagne à Bruxelles, dans la perspective du scrutin du 25 mai 2014. Les faits, en dépit de ce que la ministre prétend, semblent accablants. La justice tranchera.

C’est une page substantielle de la politique francophone qui se tourne, car on ne voit pas Joëlle Milquet revenir à une fonction de premier plan. Celle qui a sauvé le PSC en fondant le CDH a progressivement perdu de son crédit, auprès de ses rivaux, puis au sein même de son propre parti. Elle a creusé son sillon en s’alliant de manière durable avec le PS et en nouant une relation fusionnelle avec Elio Di Rupo. En Flandre, elle s’est vue affubler du surnom de « Madame Non » en raison de son attitude lors des négociations institutionnelles de 2007-2008 et certains, dans les rangs nationalistes, saluent aujourd’hui son départ avec un sourire narquois. Surtout, au fil du temps, on a reproché dans ses propres rangs ses attitudes à la fois autoritaires et désordonnées, tout en s’inquiétant de ses penchants communautaristes à Bruxelles. Elle avait ouvert son Parti humaniste à toutes les confessions, non sans dérives, même si elle s’en est toujours défendue. L’affaire judiciaire sur laquelle elle tombe est le reflet de cela.

Sa démission est un séisme pour le CDH aujourd’hui présidé par Benoît Lutgen, même si elle était attendue depuis les perquisitions de juin dernier à son cabinet de l’Enseignement. Au plus bas dans les sondages, le parti voit son image ternie. Il perd également une importante faiseuse de voix dans la capitale où, pour prendre le relais de Milquet, c’est pratiquement le désert. Paradoxalement, ce peut toutefois être une bonne affaire pour le nouveau président alors que son parti est en pleine période de reconstruction programmatique. Il reste un peu plus de trois ans avant les prochaines élections, voilà l’opportunité de lancer des jeunes dans le bain wallon et bruxellois.

Le retrait de Joëlle Milquet jette aussi un nouveau discrédit sur un mode politique déjà conspué par les électeurs

En détournant des employés de cabinet ministériel de leur fonction première, à savoir gérer l’intérêt général, Milquet confirme l’impression désastreuse que les responsables politiques songent surtout à leur carrière personnelle. Même s’il ne s’agit là pas d’une pratique généralisée, cela témoigne que le clientélisme a encore de beaux jours devant lui. La question va se poser, désormais: faut-il faire disparaître les cabinets ministériels ?

Il n’en fallait guère plus pour nourrir un peu plus encore ce sentiment d’antipolitisme qui ne cesse de croître. A l’heure où les Panama Papers et la menace terroriste peuplent l’actualité de sombres nouvelles, voilà qui a de quoi faire croître la colère des citoyens.

Cela dit, il en est un qui doit sourire dans son coin. Le Premier ministre Charles Michel ne doit pas voir d’un mauvais oeil l’attention se détourner vers la majorité francophone PS-CDH à l’heure où l’opposition critiquait de façon véhémente son dernier contrôle budgétaire et la réforme annoncée du marché du travail. La revanche à l’égard de celle qui a écarté le MR du pouvoir francophone pendant de longues années est un plat qui se mange froid. Mais à vrai dire, c’est là une anecdote tant les dégâts de ce départ risquent de rejaillir sur la démocratie dans son ensemble.

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