Myriam Leroy

C’est le moment de…(re)lire L’adversaire

Myriam Leroy Journaliste, chroniqueuse, écrivain

L’affaire Wesphael maintenant terminée, avec les zones d’ombres qui l’entourent encore, il est probable que les étals des libraires présenteront dans les prochains mois des couvertures floquées d’un « La vérité vraie sur l’affaire Wesphael ». Reste à espérer que celle-ci tombe entre les mains d’un écrivain de talent comme Emmanuel Carrère, déjà auteur du remarquable L’Adversaire, en 2000.

Vue d’un angle profane, la vérité judiciaire est de l’ordre de la foi : elle n’engage que ceux qui y croient, mais il faut la respecter. Dans l’affaire Wesphael, la justice a accouché de cette sorte singulière de sentence censée mettre fin aux débats. Mais la queue de comète de ce fait divers infusera longtemps la conscience et, osons le mot, l’âme du public (sans parler de celles de ses protagonistes, irréparablement ébréchées par le drame et la fange remuée à l’occasion de la publicité de son examen).

Une large partie de la presse donnait Bernard Wesphael coupable, prenant pour acquis que les jurés feraient de même. La société, par l’entremise de douze de ses mandataires, l’a pourtant acquitté au bénéfice du doute. Schisme. C’est que le récit médiatique instantané est rarement à la hauteur de son sujet, question de temps et de recul, question de talent, de rigueur et d’honnêteté parfois.

Dans quelques mois, il est probable que les étals des librairies présenteront une série de couvertures de livres prétendant expliquer  » La vérité vraie sur l’affaire Wesphael « , avec ou sans le concours de ce dernier – qui vient du reste de publier le brûlot Assassin (sic) où il règle ses comptes. Car rien n’est plus apaisant pour le lecteur que de gratter, à grand renfort d’  » informations exclusives « , la démangeaison des suppositions.

Il est à espérer que ce soit un écrivain de l’envergure d’Emmanuel Carrère qui se penche sur cette histoire sordide et fascinante, qui pourra tant se révéler un écoeurant appeau à commentaires orduriers qu’un matériau littéraire riche.

Carrère n’était évidemment pas le premier écrivain à s’agglutiner aux vitres d’une cour d’assises. Mais avec L’Adversaire, en 2000, il posait une charnière dans son oeuvre : avant cela, il était romancier, il faisait des livres de pure imagination. Depuis L’Adversaire, il part de lui pour raconter l’autre, de son nombril pour dire le monde et atteindre par là, sans doute, quelque chose de l’ordre de la vérité. Bien davantage en tout cas que tout papier prétendant relater  » des faits « , en  » toute objectivité « . L’auteur explique qu’il ne cherchait pas à endosser une posture journalistique :  » L’enquête que j’aurais pu mener pour mon compte, l’instruction dont j’aurais pu essayer d’assouplir le secret n’allaient mettre au jour que des faits.  » Or, ce que Carrère voulait effleurer, c’est ce qui se passait dans la tête de L’Adversaire, entre les fils de sa boîte noire. Il lui fallait donc entrer en contact avec cet homme, auteur d’une forme particulièrement raffinée de chaîne de Ponzi psychologique.

En janvier 1993, Jean-Claude Romand exécutait femme, enfants et parents qu’il sentait sur le point de découvrir son secret. Celui qui se faisait passer pour un bon docteur, éminent chercheur à l’OMS et ami de Bernard Kouchner, n’avait en fait ni diplôme ni carrière ni relations prestigieuses, et passait ses journées à errer entre deux petites escroqueries.

 » Il est avéré, en revanche, qu’il a décroché un 16 au bac de philo et que, sur les trois sujets proposés dans son académie à la session de juin 1971, il a choisi : « La vérité existe-t-elle ? » « , relate l’écrivain.

Le livre explore le mensonge, celui qui par capillarité en entraîne un autre, puis un autre, puis un autre, si bien qu’au bout de la chaîne, la fiction que l’on se fait de soi-même n’est pas seulement délirante, elle est aussi solide.

Dans le cadre de l’affaire Wesphael, le jury populaire n’a pas vraiment tranché la question de la vérité, il a estimé que le faisceau d’équivoques devait profiter à l’accusé.

L’imagination n’a pas fini de s’engouffrer dans la lézarde béante qu’il a taillée dans le granit de nos certitudes.

L’Adversaire, par Emmanuel Carrère, POL, 220 p.

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