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Bye bye Belgium, hello Benelux ?

Son atlas historique sous le bras, Ward Kennes, 43 ans, député régional et bourgmestre CD&V de Kasterlee, clame son amour pour une grande patrie néerlandaise et plurielle, qui tendrait les bras aux Wallons et aux Bruxellois. Imagination au pouvoir.

Le Vif/L’Express : Vous avez écrit : « Celui qui veut maintenir l’unité de l’espace belge, ne doit plus essayer de sauver la Belgique. » Cette cause est-elle définitivement perdue ? Ward Kennes : Le modèle étatique belge a atteint ses limites et ne tient plus que sur une jambe. La Belgique ne compte plus de partis fédéraux capables de veiller à la cohésion de l’Etat, mais seulement des formations politiques confédérales ou séparatistes. Je le crains : si nous restons dans ce contexte belge, nous n’en sortirons plus.

Comment en est-on arrivé à ce point-là ?

Le divorce de 1830 a été une faute historique. Sans cette séparation avec le royaume des Pays-Bas, le traumatisme actuel n’existerait pas. Notre histoire ne se serait pas autant polarisée entre Flamands et Wallons. On ne pourra jamais estimer à quel point notre bien-être a souffert de cette séparation. Tous ces fleurons de notre économie partis sous d’autres pavillons, toutes ces occasions manquées. Un exemple : l’échec de l’alliance entre la KLM et la Sabena, qui a été finalement vendue aux Suisses. Parce que certains politiciens francophones ne voyaient pas une telle union d’un bon oeil.

La Belgique morte, vive les Pays-Bas dans leur pluralité : votre vraie patrie, dites-vous…

Quand je regarde notre territoire sur une carte de l’époque des Bourguignons ou de Charles- Quint, je découvre une région-frontière qui n’appartenait ni à la France, ni à l’Angleterre, ni à l’espace allemand. Une région de villes-Etats et de démocraties urbaines, sans vocation impérialiste, au croisement des cultures romane, germanique et anglo-saxonne.

Que représenterait cet espace aujourd’hui ?

Une puissance de 25 millions d’habitants. Si nous unissions nos potentiels économiques actuels, ces « Lage Landen » seraient à la table du G 8 en lieu et place de l’Italie et du Canada. Anvers, Rotterdam : cet espace possède les plus grands ports d’Europe, une véritable porte d’entrée ouverte sur l’Asie ou le Brésil. Avec la Wallonie comme hinterland.

Wallons et Bruxellois francophones seraient-ils donc des Néerlandais qui s’ignorent ?

En tout cas, ils ne sont pas français…

Mais leur coeur pencherait sans doute davantage vers la France, au cas où…

Un rattachement à la France serait très stupide. Le seul lien qui a jamais uni nos régions à la France, c’est un régime d’occupation : sous la Révolution française puis l’époque napoléonienne. La France est si grande que la Wallonie n’y serait qu’une région périphérique, une sorte d’annexe. J’en suis convaincu : les francophones conserveront une influence plus grande sur un espace constitué au Nord.

Bruxelles, ville néerlandaise, dépossédée de son statut de capitale politique au profit de La Haye : ce serait dur à avaler, non ?

Amsterdam est la capitale des Pays-Bas, mais La Haye est le siège du Parlement et du gouvernement. Les séances plénières du Parlement européen se tiennent à Strasbourg, les commissions se réunissent à Bruxelles, la Cour de justice de l’Union européenne siège à Luxembourg. Amsterdam, La Haye, Bruxelles, Luxembourg : chacune de ces villes pourrait avoir son rôle à jouer. Ma vision, c’est la décentralisation.

Il faudra bien que le roi ou la reine des Belges y laisse son trône…

Les Emirats arabes unis comptent plusieurs cheikhs au sein d’un même système étatique. On peut parfaitement imaginer une tournante sur base annuelle entre souverains belge, néerlandais, luxembourgeois.

Vous espérez vraiment convaincre les francophones de se fondre dans un ensemble à ce point dominé par le néerlandais ?

Pour qui connaît l’histoire belge, je peux comprendre cette crainte. Les francophones devront évidemment obtenir les garanties nécessaires de ne pas être dominés par 20 millions de néerlandophones. Le français est une langue mondiale. Les Néerlandais, pas plus que les Flamands, n’ont jamais développé une culture d’impérialisme linguistique. Quittons notre myopie actuelle. Les différences entre le nord et le sud des Pays-Bas sont aussi grandes que chez nous. Les Brabançons et les Limbourgeois se sentent plus proches des Flamands que des Hollandais, les habitants de Maastricht soulignent volontiers leur appartenance passée à la principauté de Liège. Et je ne parle pas des Frisons. Le concept une nation = une langue n’est pas mon choix.

Vous êtes conscient de rêver tout haut ?

Tout projet politique comporte une part de rêve. Peu de gens en politique se préoccupent de géopolitique, et je trouve cela très regrettable. Il est plus facile et électoralement rentable de tenir des discours hostiles. Mais quand on a déjà tout essayé, comme c’est le cas en Belgique, on peut peut-être songer à penser autrement.

Entretien : Pierre Havaux

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