Charles Michel © BELGA

Budget : « Le gouvernement Michel fait moins bien que les Pays-Bas, mais mieux que la France »

Après avoir rédigé le budget de 2019, les observateurs ont surtout critiqué le gouvernement Michel. À juste titre? Le professeur Herman Matthijs le pense. « On a oublié de faire des choix quant aux tâches du gouvernement. »

Comme l’écrivait Le Vif ce lundi, les médias flamands ont tiré à boulets rouges sur l’accord budgétaire conclu il y a une semaine par le gouvernement Michel. Aussi notre confrère de Knack a-t-il consulté Herman Matthijs, non seulement professeur en finances publiques à l’Université de Gand et à la VUB, mais aussi membre du Conseil supérieur des finances et censeur à la Banque nationale. On peut difficilement l’accuser de ne rien y comprendre. Matthijs fait la lumière sur l’évolution du déficit, de la dette, de la croissance et du gouvernement. Et sur le rôle du comité de monitoring très discuté pour la collecte des chiffres: « Abolissez ce comité de monitoring ».

1. Le déficit

Fin 2014, lorsque le gouvernement Michel est entré en fonction, le déficit budgétaire nominal s’élevait à 3,1% du PIB, fin 2017 il était tombé à 1,01%. « Avec cela, le gouvernement Michel a réussi un bien meilleur parcours que l’équipe précédente dirigée par Elio Di Rupo (PS) », explique Matthijs. « Nous sommes clairement en dessous d’un déficit de 3%, que l’Europe utilise comme limite maximale. Celui-ci continuera de diminuer en raison de la croissance économique et de la hausse de l’emploi. Seulement, il n’est pas certain qu’un équilibre sera atteint. La coalition actuelle a déjà annoncé il y a plusieurs mois qu’elle était incapable de parvenir à un accord qui conduirait à un équilibre budgétaire. Nous faisons pire que l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède, mais mieux que la France, l’Italie et l’Espagne. »

2. La dette

Fin 2014, la dette atteignait 107% du PIB, aujourd’hui, elle est de 103%. « Ce n’est pas la plus grande amélioration », explique Matthijs. « Hormis quelques actions de BNP Paribas, ce gouvernement a peu vendu et c’est frappant pour un cabinet de centre droit. Nous devons maintenant attendre de voir ce que la vente partielle de Belfius rapportera. Mais je m’attends à ce que le produit, associé à la croissance économique, permette au gouvernement de Michel de finir avec un taux d’endettement inférieur à 100 pour cent du PIB. C’est un obstacle psychologiquement important, même si cela ne nous empêche pas de constater que notre dette est bien pire que celle de la plupart des autres pays de la zone euro et qu’elle est comparable à la France et à l’Espagne. Mais nous faisons mieux que l’Italie. « 

« En fin de compte, ce gouvernement est parvenu beaucoup trop tard à un accord sur l’introduction boursière de Belfius », dit Matthijs, « car il y a des mois, il aurait rapporté beaucoup plus d’argent. De plus, ce dossier est lié à l’ancien dossier Arco: le CD&V n’a accepté la vente partielle de Belfius que si le gouvernement indemnisait les coopérateurs Arco pour leurs pertes. Ceci est et reste difficile à mettre en conformité avec le principe d’égalité, car pourquoi les actionnaires d’Arco devraient-ils être indemnisés au détriment du budget, et donc de tous les contribuables? Pourquoi ne pas indemniser tous les actionnaires qui ont perdu de l’argent sur leurs actions bancaires pendant la crise financière? Si la Commission européenne ne veut pas se contredire, elle doit aussi dire non à ce deal d’Arco. »

3. La croissance

La croissance économique de 1,7% est supérieure à celle d’il y a quelques années, mais inférieure à celle des Pays-Bas. « C’est sans doute lié à la restructuration plus approfondie du budget et du marché du travail avec nos voisins du nord », explique Matthijs. « Entre fin de 2014 et 2017, la croissance a augmenté de 9,5 pour cent. C’est mieux que la France, le Danemark et l’Italie, mais pire que l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède. Cette amélioration de l’activité économique se reflète également dans la croissance des exportations, qui s’élevait à 381 milliards d’euros à la fin de 2017. Mais 317 milliards, soit 83%, viennent de Flandre. Les parts d’exportation de la Wallonie (14%) et de Bruxelles (3%) sont particulièrement maigres.

4. Les prélèvements publics

Les dépenses du gouvernement ont baissé de 3% à 52,2%. « Mais en ce qui concerne les recettes publiques, il n’y a qu’une diminution de 52,1% à 51,2% », explique Matthijs. « Le gouvernement Michel n’a pas atteint la barre des 50%, alors que les dépenses du gouvernement aux Pays-Bas, par exemple, ne dépassent pas les 42,6%. C’est 10% de moins que chez nous. Cela indique un assainissement trop limité de la fonction publique et une pression fiscale encore toujours trop forte. »

5. L’emploi

En ce qui concerne l’emploi, ce gouvernement a obtenu de bons résultats, estime Matthijs, « car pour la première fois des centaines de milliers d’emplois ont été créés dans le secteur privé. Les réductions d’impôt en matière de parafiscalité et d’autres mesures doivent certainement être considérées comme positives. Mais le chômage n’est faible qu’en Flandre (4,3%) et reste problématique à Bruxelles (15%) et en Wallonie (10%). Et quand on regarde le taux d’emploi, on constate de grandes différences: en Flandre, il est de 70,5%, à Bruxelles de 66,1% et en Wallonie de 63,9%. Cependant, même la Flandre affiche un score trop bas par rapport aux pays scandinaves et aux Pays-Bas. »

6. Le comité de monitoring

Dans cette maquette de budget, il y a aussi une discussion sur le rôle et les chiffres du comité de monitoring, un groupe de hauts fonctionnaires qui fournissent les données avec lesquelles le gouvernement va travailler. Matthijs: « Le comité de monitoring est né pendant la crise politique de 2010, mais n’a aucune base légale. De plus, il existe déjà suffisamment d’institutions dotées de pouvoirs budgétaires. Je ne comprends pas pourquoi ce comité de surveillance continuera d’exister. En fin de compte, le budget est un travail politique du gouvernement, qui seul a la légitimité démocratique. Je suis en faveur de l’abolition du comité de suivi, les chiffres doivent avant tout être fournis par les ministres du Budget et des Finances. « 

Conclusion

« Le gouvernement fédéral est toujours aux prises avec un déficit budgétaire et une dette élevée. Ce gouvernement Michel aurait-il pu faire plus pour assainir les finances publiques? Matthijs pose non seulement la question, il donne également une réponse claire: « Oui! De plus, le gouvernement a oublié de faire des choix quant aux tâches du gouvernement, ce que les Pays-Bas ont fait, par exemple. De plus, le gouvernement Michel n’a pas traité de nombreux dossiers avant la seconde moitié de la législature. Mais pour prendre des mesures fermes, il faut prendre ces décisions en début de législature. De plus, il est clair depuis quelque temps que deux partis du gouvernement, Open VLD et N-VA, voulaient continuer leur remédiation, alors que deux autres, CD&V et MR, pensaient que c’était suffisant. C’est ce qui a paralysé le travail du gouvernement Michel. »

Matthijs: « Nos finances publiques ont pu bénéficier des taux d’intérêt bas ces dernières années, mais cela touche à sa fin. En plus du fait que le gouvernement Michel n’a pas effectué de réformes décisives, dans quelques années, cela va faire mal au budget. Et il y a une règle d’or en politique: les électeurs ne désapprouvent pas une politique, ils désapprouvent l’ absence de politique. Cela semble avoir été oublié par le gouvernement Michel. Et apparemment l’opposition aussi, parce qu’elle était et est très faible. »

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