Thierry Denoël

Budget : l’ombre allemande plane sur les salaires

Thierry Denoël Journaliste au Vif

C’est fait. On a touché aux salaires ! Gel, blocage, givre… Peu importe les mots. Il y aura bien une modération. Et ce n’est sans doute qu’un premier pas dans ce sens, pour ne pas perdre la course à la compétitivité. En Allemagne, voilà dix ans qu’on pratique la modération salariale. Un modèle ?

Il s’agit de la mesure la plus spectaculaire – car la plus symbolique – et la plus controversée. Les salariés et les fonctionnaires verront leur rémunération bloquée pendant deux ans. En clair : les partenaires sociaux ne pourront s’accorder sur aucune augmentation de salaire lors du prochain accord interprofessionnel 2013-2014. L’indexation automatique, elle, est préservée, mais elle sera espacée dans le temps, car la composition de l’indice santé (qui fixe l’index) va être révisée à la baisse. On a donc bien touché à un tabou. Le précédent coup de canif de ce genre remonte au début des années 1990, lorsque l’Europe imposait les fameux critères de convergence de Maastricht.

Ces deux mesures permettraient, à elles seules, de combler l’écart salarial de la Belgique vis-à-vis de ses voisins de 1,3 %. Cet écart est actuellement estimé à 5,2 % par le Conseil central de l’économie. Après 2014, le régime sec sera maintenu : la loi de 1996 sur la compétitivité va, en effet, être révisée. L’objectif est de résorber le handicap salarial de la Belgique pour 2018 : d’ici là, peu de hausses de salaires seront possibles. Bref, c’est bien le train de la modération salariale que le gouvernement a décidé de prendre.

Un train que l’Allemagne a lancé en 2001, peu de temps après la réunification. A l’époque, la résorption de la dette de la RDA constituait un réel problème. La grande puissance européenne voulait surtout récupérer sa place sur l’échiquier économique. Aujourd’hui, le modèle allemand est souvent cité en exemple et s’impose de plus en plus aux autres Etats membres de l’UE. Mais ce modèle n’a pas que des vertus. L’IEV, le centre d’étude du Parti socialiste, en a fait l’analyse, en mai dernier. Son rapport est inquiétant.

Si la croissance allemande est soutenue et si le chômage a baissé (de 12,1 à 6,4 %), les réformes de Berlin ont des conséquences sociales désastreuses, selon le rapport de l’IEV. On constate, en particulier, une précarisation accrue du travail. Exemples ? Aujourd’hui, outre-Rhin, un emploi sur dix est un « mini-job », soit un job à temps partiel rémunéré autour de 400 euros par mois. L’Allemagne a inventé le mini-salarié. Et le salarié pauvre aussi : en 2010, 23 % des travailleurs (7,8 millions de personnes) touchaient moins de 9,15 euros par heure. La plupart de ces salariés pauvres avaient une qualification professionnelle et même, pour 10 % d’entre eux, un diplôme universitaire.

On n’en est bien sûr pas là, en Belgique. A l’issue du conclave budgétaire, les socialistes se posaient toujours en garant d’une politique sans austérité. Mais la tempête est loin d’être terminée. L’ombre allemande s’étend. Pas certain que les digues que le PS se targue de dresser tiennent encore longtemps. Cela promet de chauds lendemains sur le front social.

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