© Jonas Hamer/ Image Globe - pour le Vif/L'Express

Bruxelles : ces grands chantiers qui fâchent

Tunnel Loi, jonction Schuman-Josaphat, liaisons RER… Ces grands chantiers bruxellois ne sont sûrement pas des « travaux inutiles », mais ils suscitent des controverses. En cause : l’ampleur des nuisances et les couacs des plans de déviations.

Plus que quelques fois dormir avant… la grande pagaille à Bruxelles ! Du 11 juin à la mi-septembre, les tunnels Loi et Cinquantenaire seront fermés en direction du centre-ville et la circulation sera réduite sur une seule bande dans le tunnel Tervuren, sous le rond-point Montgomery. Ce grand chantier vise à transformer complètement la sortie du tunnel Loi pour permettre le passage de la nouvelle liaison ferroviaire creusée entre le quartier européen et le secteur de la place Meiser, ligne qui prend ensuite la direction de l’aéroport de Zaventem et de Vilvorde.

L’objectif des travaux, que personne ne conteste, est de faire de la station Schuman une plate-forme multimodale pour les transports en commun (train, métro, RER). Les structures de soutènement en béton, qui datent de la construction du tunnel en 1974, doivent être renouvelées et rehaussées d’une soixantaine de centimètres. « Ce tunnel routier situé à la sortie de la gare Schuman est le dernier obstacle à déplacer pour pouvoir faire circuler les trains dans la jonction Schuman-Josaphat, explique Frédéric Sacré, porte-parole d’Infrabel, la société chargée de gérer l’infrastructure ferroviaire. La courbe de sortie du tunnel Loi sera redessinée et avancée d’environ dix mètres. On créera par la même occasion, de part et d’autre de la voie, des puits de lumière afin que la clarté naturelle parvienne jusqu’au niveau des quais de la nouvelle gare. » Piloté conjointement par Infrabel et Beliris, structure fédérale présidée par Laurette Onkelinx (PS), le chantier doit se poursuivre de nuit comme de jour, week-ends compris.

Trois mois d’asphyxie

Conséquence attendue : trois mois d’enfer sur les routes d’accès au centre-ville, gémissent les autorités communales concernées. Etterbeek, Woluwe-Saint-Pierre, Schaerbeek, mais aussi Auderghem, Ixelles et Bruxelles-Ville seront les communes les plus touchées par la fermeture des tunnels. On s’attend à voir des milliers de véhicules au pas ou à l’arrêt complet sur les avenues de Tervuren, d’Auderghem et de Cortenberg, ou encore sur la chaussée de Wavre et plusieurs des boulevards de la « moyenne ceinture ». Des secteurs comme la Plaine, le carrefour de la Chasse et les quartiers Diamant et Dailly, déjà embouteillés en temps normal à cause du trafic de transit, sont menacés d’asphyxie. Le quartier des squares – Marie-Louise, Ambiorix et Marguerite – est voué à la paralysie, selon le comité de quartier de la zone européenne.

Les pouvoirs locaux blâment l’administration régionale et Beliris, accusés de ne pas avoir tenu leur promesse de gérer le dossier de façon exemplaire. Certes, admettent les bourgmestres, la fermeture des tunnels a forcément des conséquences sur la mobilité. Mais ils jugent les mesures d’accompagnement imaginées par un bureau d’études situé en Flandre – CIOS, de Willebroek – incomplètes, irréalistes et truffées d’erreurs. Le plan de déviations prévoit notamment d’orienter vers l’avenue de Cortenberg et la rue Stevin (dont le sens de circulation sera inversé) à la fois le flux du trafic de l’E 40 Liège-Bruxelles et celui de l’autoroute de Namur (E 411), via l’avenue de Tervuren et le boulevard Brand Whitlock. Une fameuse congestion en perspective !

« A ce stade, aucune indication n’est prévue, aux Quatre-Bras, pour dissuader les automobilistes d’emprunter l’avenue de Tervuren, l’axe qui aboutit aux tunnels fermés, remarque Willem Draps (MR), bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre. Bruxelles-Mobilité prétend que nous avons été consultés lors de l’élaboration du plan. C’est faux. En dehors d’une réunion d’information à laquelle a participé mon directeur des travaux, il n’y a pas eu de concertation. Aujourd’hui encore, je ne sais pas si nos remarques seront prises en compte. Sans doute faudra-t-il attendre le chaos pour que soient apportés des correctifs au plan diffusé par la Région. »

Le bureau d’études flamand mis en cause

Les itinéraires proposés aux véhicules qui entrent en ville par Delta et le campus de la VUB réservent, eux aussi, de mauvaises surprises, peut-être révélatrices d’une méconnaissance du terrain dans le chef du bureau d’études. L’une des directions conseillées est celle du boulevard du Triomphe et du carrefour Général Jacques/chaussée de Wavre, mais ce dernier est considéré comme dangereux : les véhicules se retrouvent sur un océan d’asphalte sans marquage au sol et doivent franchir une ligne de tram. L’autre itinéraire prévu est impraticable : il emprunte le boulevard de la Plaine et prévoit de virer à gauche sur le boulevard Général Jacques, ce qui est impossible.

« Depuis que j’ai signalé ces erreurs, je n’ai eu aucune réaction de la Région, indique Vincent De Wolf (MR), bourgmestre d’Etterbeek. Ma commune sera certainement la plus massacrée. Un engorgement du carrefour de la Chasse et de l’avenue d’Auderghem aura ainsi des répercussions graves sur de nombreux quartiers résidentiels. » Les bourgmestres d’Etterbeek et de Woluwe-Saint-Pierre regrettent que les pouvoirs communaux aient été « mis sur la touche » et estiment que le bureau non bruxellois chargé de concocter l’étude de mobilité connaît mal la ville.

« Pour avoir délégué la confection de ce plan de déviations à une société privée, l’administration n’a plus tout à fait le contrôle des opérations, estime Draps. Or la fiabilité du bureau d’études en question a déjà été mise en cause lors d’un autre chantier, celui du prolongement de la ligne du tram 94 le long du boulevard du Souverain. De telles maladresses rappellent un peu trop l’époque où les travaux à Bruxelles étaient gérés par le pouvoir central. »

Une sortie électoraliste ?

L’une de nos sources parmi les responsables du chantier lève les yeux au ciel. Draps sortirait la grosse artillerie face à chaque projet régional lié à la mobilité. Ses déclarations fracassantes seraient purement électoralistes, à cinq mois du scrutin communal. « L’étude critiquée par le bourgmestre de Woluwe-Saint-Pierre a été réalisée en collaboration avec Bruxelles Mobilité, Beliris, les services de police, la Stib, les communes et même l’armée, à propos du défilé du 21-Juillet », ajoute notre source, qui reconnaît toutefois l’un ou l’autre « couac » dans le plan de déviations.
De Wolf assure que sa commune, elle, n’a pas ménagé ses efforts pour tenter d’atténuer la catastrophe. « Nous avons anticipé les chantiers de réasphaltages, réalisés à Pâques, indique-t-il. Nous allons supprimer un feu entre la rue des Tongres et l’avenue des Celtes. Nous avons prévu une piste cyclable sur la voie latérale droite de l’avenue de Tervuren pour inciter les travailleurs à se rendre à vélo au centre-ville. » Le bourgmestre a aussi interpellé la ministre bruxelloise Brigitte Grouwels (CD&V) afin qu’elle renforce la ligne 1 du métro pendant les travaux.

« Elle m’a répondu que la Stib ne pouvait renoncer à son horaire réduit de l’été, à cause des congés des conducteurs. Il n’y aura donc pas d’augmentation des fréquences, mais une diminution, sauf pendant un mois. Dommage. Ne pouvait-on reporter des congés, prévoir des primes pour les conducteurs, former des renforts… ? La Région aurait pu profiter de ce chantier pour encourager les déplacements en transport en commun et à vélo. Une occasion manquée. »

Grouwels contre-attaque

Face aux critiques, Grouwels fait remarquer que les chantiers de l’été 2012 (elle en comptabilise 29) ne sont « pas plus nombreux que ceux des étés précédents ». La ministre flamande reconnaît que le réaménagement de la gare multimodale Schuman et la fermeture du tunnel Loi auront « un grand impact sur le trafic », mais elle assure que ce chantier « fait l’objet d’une vaste campagne d’information, qui s’insère dans un large travail de coordination, cité à l’étranger ». Des annonces seront faites sur le Ring et sur l’autoroute E 40 Liège-Bruxelles.

La police de Bruxelles avait demandé que les travaux au tunnel Loi ne commencent que fin juin, après le tenue du sommet européen. Mais le démarrage a finalement été fixé au 11 juin. « Les deux périodes critiques seront juin, mois très animé en centre-ville, de jour comme en soirée, et septembre, signale Draps. Dans certains pays étrangers, on multiplie les équipes d’ingénieurs et d’ouvriers pour compresser autant que possible la période des nuisances. Est-ce une formule inimaginable à Bruxelles ? Ne pouvait-on boucler le chantier en deux mois, en juillet-août ? »

« Nous n’avons aucun intérêt à faire durer le chantier, réplique Frédéric Sacré, d’Infrabel. Certains ont suggéré de réaliser les travaux de manière partielle, mais les ingénieurs ont estimé que ce n’était pas possible. La rénovation des structures du tunnel Loi est un ouvrage d’une ampleur considérable. Sa durée a été estimée à nonante et un jours. Prendre le risque, pour atténuer les inquiétudes, d’annoncer septante-huit jours de travaux et achever le chantier avec dix jours de retard, c’est l’assurance de se retrouver face à une volée d’interpellations au parlement bruxellois ! »

OLIVIER ROGEAU

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