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Bruges: guerre sans merci entre guides touristiques

Muriel Lefevre

La guerre fait rage dans les ruelles d’habitude paisibles de la Venise du nord. Pour chasser les guides touristiques « sauvages », les guides officiels ne rechignent devant aucun coup pour défendre leur territoire. Au coeur de toute leur attention, les poules aux oeufs d’or que sont les touristes. On assiste à une « ubérisation » du secteur, disent les experts.

Depuis quelque temps, les guides officiels de la ville de Bruges doivent faire face à la concurrence déloyale des guides « sauvages » qui arpentent les rues avec leur parapluie et leur tasse pour les pourboires. Entre les deux camps, une guerre particulièrement vicieuse fait rage dit de Nieuwsblad.

Comme dans une cour de récré

Certains tours officieux sont infiltrés par les guides officiels qui tentent de les piéger en leur posant des questions difficiles dans l’espoir de les voir se vautrer dans la honte. Ils demandent, par exemple, en quelle pierre est faite telle façade. Il n’est pas rare qu’ils traitent le guide de menteur où vont même jusqu’à simuler le fait de s’être tordu la cheville. Les guides amateurs seraient pourchassés partout en ville et nombreux de leurs tours seraient délibérément saccagé.

Un harcèlement qui ne cesse de gagner de l’ampleur dit Frank Poelvoorde, porte-parole des guides amateurs dans The Guardian.  » Ils infiltrent nos groupes et nous intimident ainsi que les touristes. Mais cette semaine, ils sont allés trop loin. Un guide espagnol, une jeune femme, a été attaqué physiquement par un guide officiel … Elle a été poussée à plusieurs reprises … Les guides femmes n’osent plus entrer dans la rue de peur d’être attaqués physiquement. Vous vous imaginez ? À Bruges?  »

Jo Berten, président du Gidsenbond, l’alliance des guides officiels, a déclaré au Het Nieuwsblad qu’il n’était en rien impliqué dans l’incident en question. « Mais que si cela se révélait vrai, ce n’est pas des manières », dit-il. « Même s’il comprend la frustration. Les guides officiels doivent étudier trois ans et remettre un travail de fin d’études. Et tout ça pour se faire damner le pion par des gens qui se promènent avec deux simples feuilles A4 ? »

Plus dans l’air du temps

La guerre actuelle qui secoue les rues de Bruges est peut-être mesquine, elle est surtout perdue d’avance puisque le phénomène est mondial. Les guides libres sont devenus un concept à part entière et qui s’installe dans la durée dit Vicky Van Den Heede, coordinatrice de la formation Tourisme à la Hogeschool West-Vlaanderen (HoWest) dans De Morgen. « Ils sont l’Uber ou l’Airbnb du paysage des guides. Le monde a complètement changé au cours des dernières années. L’économie du partage est en plein essor et les gens veulent désormais tout organiser eux-mêmes et ne plus être dépendants. Uber, Airbnb, mais aussi les guides libres, en sont autant de symptômes. »

Avec un guide homologué, l’accent est principalement mis sur les faits. Le guide amateur va lui plutôt se concentrer sur la petite histoire. La visite officielle est souvent réalisée par des pensionnés et est parfois trop encyclopédique. Or le touriste d’aujourd’hui est plus intéressé par les anecdotes et par le fait de ne pas devoir réserver.

Selon Marc Rubben, professeur de nouveaux médias et de tourisme interviewé par De Morgen, la plupart des guides classiques ont tout simplement loupé le coche. « Aujourd’hui, tout tourne autour de la narration et de l’expérience. C’est ce que recherchent les consommateurs d’aujourd’hui. Ces guides gratuits sont très actifs sur les réseaux sociaux, où il n’est pas rare qu’ils soient encensés. Ils sont aussi souvent repris sur des sites comme TripAdvisor. Grâce aux nombreux commentaires, vous pouvez voir si la visite est de qualité. Alors que pour les guides officiels vous avez, au mieux, un site sur lequel vous pouvez réserver et payer votre visite sans avoir la moindre idée de ce à quoi vous pouvez vous attendre. C’est complètement dépassé. »

Les guides gratuits ont donc de plus en plus de succès et pas seulement parce qu’ils sont « gratuits ». D’autant plus qu’ils ne le sont jamais vraiment. La seule différence, c’est que le touriste peut « choisir » combien il donne. L’expérience a démontré que ce dernier ne rechignera d’ailleurs pas à mettre la main au portefeuille s’il estime la visite de qualité.

Par ailleurs, la plupart de ces guides gratuits sont des pigistes affiliés à des organisations comme Sandeman’s New Europe, Freetours ou encore Cool Cousin. Ils n’ont donc pas les mêmes garanties salariales que ceux employés par la ville. Ce qui n’est en soi pas un problème, selon Van Den Heede, puisque ce sont souvent des jeunes ou des gens du coin qui font cela comme boulot d’appoint. »

Quant à l’autre critique qui dit que ces guides ne racontent que des inepties, le système a ceci de bon que le mauvais guide est directement puni par un abandon des troupes ou en ne recevant aucun pourboire.

Les guides classiques sont-ils alors voués à disparaître?

Depuis le 1er janvier, les guides même amateurs doivent être enregistrés. Pour se faire, il suffit de s’enregistrer sur le site dédié de la commune. Mais selon Het Laaste Nieuws, les contrôles ne seraient pas très stricts puisque Mickey Mouse, Donald Trump et King Kong ont déjà reçu leur badge les autorisant à faire des tours guidés. Pas un franc succès puisqu’il y aurait en ce moment 2000 guides actifs à Bruges dont seul 450 ont le titre officiel. De quoi faire grincer des dents auprès des guides officiels qui espéraient que la mesure mette les guides gratuits au pas.

Le bourgmestre Landuyt fait cependant fi des critiques et défend le système. « Peu importe que vous demandiez des laissez-passer pour votre voisin ou le président des États-Unis. La seule chose qui compte, c’est ce qui se passe sur le terrain. Les règles vont plus loin que cela. Il y a des contrôles quotidiens sur les personnes qui vont des visites à Bruges. Ils doivent montrer leur pass et se tenir à des règles strictes. Grâce à cela, par exemple, les parapluies aux couleurs criardes ont disparu. De toute façon les guides gratuits se trouvent dans toutes les villes touristiques du monde. Or nous sommes les seuls à le réglementer. Je sais qu’il y a une tension entre les guides, mais je me fie à ce que me dit la police: aucun incident significatif n’a encore été signalé. Sauf quelques échanges de regards courroucés. « 

Les guides classiques sont-ils dès lors voués à disparaître? Pas nécessairement. Il existera toujours une place, plus petite il est vrai, pour ceux qui souhaitent une visite plus en profondeur.

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