© Frédéric Pauwels

Bracke, ténor de la N-VA, plaide pour une nomination des bourgmestres de la périphérie

Un ténor de la N-VA qui « se lâche » devant ses seuls militants, c’est une vraie révélation : Siegfried Bracke plaide la levée de l’interdit flamand sur les trois maïeurs francophones des communes à facilités. Pour le reste, pas de clémence : plus grand-chose à espérer des francophones, PS en tête. Le Vif/L’Express a tout entendu…

« Ce n’est qu’un avis personnel. » Malgré la précaution oratoire, l’appel lancé sur le ton de la confidence a quelque chose de détonant. « Nommons les bourgmestres de la périphérie, et vite ! Et qu’on en finisse avec BHV. » La salle reste de marbre, comme déjà consentante, sans prendre la mesure de ce que l’orateur d’un soir vient de leur asséner. Il fait pourtant fort, Siegfried Bracke : l’ex-journaliste politique de la VRT, valeur sûre de la N-VA, vient de lancer à la cantonade un joli pavé dans la mare nationaliste flamande. Pas sûr que le patron, Bart De Wever, apprécierait. Ni que Geert Bourgeois sautera de joie : le ministre flamand de l’Intérieur N-VA ne cesse de marteler que jamais les trois maïeurs francophones de Linkebeek, Crainhem et Wezembeek-Oppem ne seront nommés. Sur ce sujet d’ailleurs, toute la Flandre politique se montre inflexible : le trio ne mérite aucune indulgence pour avoir osé défier l’autorité flamande en envoyant des convocations électorales en français.

Tribune personnelle

Entre amis, on peut tout se dire. Loin des plateaux télé, de la com’ bien calibrée et de la langue de bois mâchée à l’intention des médias. La N-VA a d’ailleurs confirmé sa maîtrise de la discipline lors de l’émission phare que la VRT consacrait dimanche dernier à une possible scission du pays. Au milieu des présidents de parti flamands, le chef de groupe à la Chambre, Jan Jambon, a fidèlement répété le credo nationaliste flamand : oui, la séparation de la Belgique est l’option à terme. Mais par l’évolution, non par la révolution. Bart De Wever, à qui le nord du pays ne refuse plus rien, a eu droit le lendemain à sa tribune personnelle. Au micro de la VRT-radio, le patron de la N-VA ne connaît qu’un seul plan B : de nouvelles élections. Mais on n’y est pas encore…

Loin des feux de la rampe, le registre peut être plus audacieux. Vendredi soir, à la modeste salle Sint-Martinus de Deinze, petite ville de Flandre orientale au bord de la Lys. L’assistance est en nombre, les vignettes autocollantes estampillées N-VA fleurissent sur les poitrines. Hommes et femmes, jeunes et vieux, une bonne centaine de militants ont fait le déplacement pour écouter « la vedette » faire le topo de la situation politique. Ils seront servis. Avec le Lion de Flandre pour toile de fond, Siegfried Bracke parle vrai. L’ancienne « star » de la télé sait trouver les mots justes et simples pour entretenir l’intrigue et le suspense. « J’espère me tromper, mais la situation n’est vraiment pas bonne. » Bref rappel de l’impasse : francophones et Flamands à couteaux tirés depuis des mois, un conciliateur royal nommé Johan Vande Lanotte (SP.A) qui rame depuis plus d’un mois pour relancer les négociations communautaires et la formation d’un gouvernement fédéral. Mais qui patauge pour l’heure dans une loi de financement à réviser.

On en est là. Et tout cela reste bien trop maigre pour une N-VA qui voit grand. « Nous voulons le changement. Mais il n’est toujours pas au rendez-vous », martèle Bracke en détachant bien les mots pour mieux souligner la gravité du moment. Autant préparer habilement le terrain et ranimer à titre préventif l’ardeur des militants, au cas où les choses tourneraient au vinaigre et où il faudrait remonter au front…. Bart De Wever a poursuivi la préparation psychologique des troupes en saupoudrant son intervention au micro de la VRT du mot « élections. »

« Le PS, ce parti de l’immobilisme » Car toujours point de « verandering », de changement, à l’horizon. Et pour cause : les francophones manquent encore à l’appel. « Ils sont toujours « demandeurs de rien », soupire l’orateur à l’adresse d’une salle captivée. Posture naturellement incompatible avec les aspirations de la N-VA, « pourtant prête au compromis ». C’est que le gouffre est visiblement très, très profond. Plus béant qu’une crise politique. « Les différences d’opinion avec les francophones sont gigantesques ! Et sur tous les points. » Rien de tel qu’un exemple facile pour frapper les esprits : « Prenez cette histoire de nouvelles plaques minéralogiques : les francophones ont fait tout un foin parce que les couleurs initialement retenues étaient le jaune et le noir, celles de la Flandre. Ils ont exigé d’ajouter le rubis. » Mais il y a plus préoccupant encore, relance Bracke : « Il y a cette épouvantable – ontzettend, en néerlandais dans le texte – angoisse qui domine les francophones. Dans une interview récente à un journal flamand, la PS Laurette Onkelinx disait que sa famille au Limbourg lui manquerait si la Belgique venait à disparaître. Comme si un mur allait être dressé entre nous ! » Sourires et regards entendus s’affichent dans l’assistance.

Parlons-en justement du PS, avec lequel la N-VA ferraille depuis le scrutin du 13 juin. Tout, sauf un cadeau, ce parti de l’immobilisme, souligne en substance Siegfried Bracke. L’ancien journaliste n’en est pas vraiment étonné. Il rapporte avoir été jadis briefé par un ministre… socialiste flamand : « Avec le PS, un accord se négocie trois fois », depuis son ébauche à sa mise en oeuvre. Qu’espérer vraiment de francophones qui exigent d’ailleurs l’impossible aux négociateurs flamands ? « Ils vont jusqu’à réclamer une loi de financement bétonnée pour vingt ans ! Mais comment le pourrait-on ? Entretemps, quatre crises économiques peuvent nous tomber dessus. » Une chose est sûre, en revanche : « La loi de financement actuelle est un mécanisme pervers. Elle devrait récompenser celui qui agit bien et punir celui qui agit mal. C’est l’inverse qui se produit, aujourd’hui. » Et que les Wallons redoutent soudain l’appauvrissement aurait quelque chose d’insensé : « Ils sont déjà appauvris ! » s’exclame le ténor N-VA, exhibant des chiffres pour souligner la baisse du bien-être wallon en quinze ans. Moralité : « D’accord pour être solidaires, mais pas à fonds perdus. » Et certainement pas, précise le tribun, aux dépens de la priorité de son parti : « Le bien-être de nos enfants et petits-enfants. » Flamands, s’entend.

« Vous imaginez ? A Affligem, on peut voter pour Di Rupo ! » Quand Siegfried Bracke ouvre ainsi son coeur aux militants, les oreilles des francophones sifflent. Repue, l’assistance se prépare à vider les lieux. Non sans la traditionnelle étape des questions-réponses, par le biais de petits billets qui évitent les commentaires enflammés. Le militant de base cherche surtout à comprendre. Notamment cette fameuse scission de BHV qui reste nébuleuse. Bracke a vite fait de trouver la formule pour situer la proximité de l’enjeu aux Flandriens orientaux : « Vous imaginez ? A Affligem [NDLR : en Brabant flamand], on peut voter pour Di Rupo ! » Affligem, distante de 50 kilomètres à peine de Deinze ! Léger murmure dans la salle. L’élu N-VA a bien sa petite idée pour mettre fin à cette hérésie. Sans se perdre dans les détails, il suggère de dissocier le sort des six communes à facilités majoritairement francophones des 29 autres entités du Brabant flamand. Avant de joindre à la parole un geste du bras explicite pour montrer sa manière toute personnelle d’en finir avec ces trois maïeurs francophones qui enquiquinent la Flandre. Rideau et applaudissements. Le suspense reste entier.

PIERRE HAVAUX

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