Olivier Mouton

Bonne chance, Charles Michel, ce sera rude!

Olivier Mouton Journaliste

Le futur Premier ministre devra composer avec trois partis flamands qui sont à couteaux tirés, gérer la grogne sociale et verrouiller le confédéralisme.

L’atterrissage délicat de la Suédoise (N-VA, CD&V, Open VLD et MR) illustre à quel point la tâche de Charles Michel, quasiment assuré d’en devenir le Premier ministre, sera délicate. À trois niveaux, au moins.

Suédoise : pour le baptême de l’air de Charles Michel, les turbulences sont garanties.

  1. La rivalité des partis flamands. Une coalition « de droite » a le mérite de la cohérence sur le plan socio-économique : tel était le credo de ceux qui en défendaient l’avènement, dont le vice-Premier MR Didier Reynders. Elle permet de toucher à des tabous sur lesquels le PS s’arc-boutait. C’est sans doute vrai. Mais ce que les libéraux francophones sous-estimaient peut-être, c’est à quel point la N-VA, le CD&V et l’Open VLD sont aussi des rivaux qui marchent sur les mêmes platebandes électorales et qui ne se font aucun cadeau. Dans la dernière ligne droite des négociations, l’Open VLD a martelé son credo « No Tax », le CD&V a plaidé pour des compensations fiscales au saut d’index sous la pression de son aile gauche et la N-VA a voulu obtenir des avancées symboliques fortes pour satisfaire son électorat et, surtout, sa base militante. Le programme gouvernemental sera, on l’espère, suffisamment précis pour éviter une guérilla permanente, mais Charles Michel a eu un avant-goût de ce qui l’attend : il devra jouer en permanence le conciliateur des intérêts flamands.
  2. La grogne sociale… et socialiste. Les informations filtrant de la négociation finale auront de quoi alimenter les inquiétudes sociales qui se sont déjà exprimées dans la rue. L’âge de la pension serait augmenté à 66 ans en 2025 et 67 ans en 2030. Cela s’inscrit dans les recommandations faites par le groupe d’experts chargé de réfléchir à l’avenir des pensions, mais c’est aussi du pain béni pour l’opposition socialiste qui se gargarise déjà de son opposition à la coalition de « l’ultra-droite » et parle d’une « attaque inadmissible contre les travailleurs ». Pour le MR, il s’agit d’un symbole auquel il avait promis de ne pas toucher, en campagne et dans son programme. S’il arrive au Seize, Charles Michel sait déjà qu’il devra composer avec un automne social chaud et une fronde des partis francophones de centre-gauche (PS, Ecolo, mais aussi CDH par défaut, pour ne pas parler du PTB). C’est calculé, peut-être, pour toucher tout le centre-droit francophone, mais c’est un pari risqué.
  3. Le communautaire en embuscade. La N-VA s’est visiblement rappelée au bon souvenir de tous en déposant sur la table l’article 195 de la Constitution. Celui-ci détermine les modalités d’une réforme de l’État et ouvre en quelque sorte la voie à une nouvelle réforme voire à des avancées confédérales. Le MR ne veut pas en entendre parler, mais il s’agit d’une piqûre de rappel : la N-VA n’a pas abandonné son agenda institutionnel. En d’autres termes, le sujet reviendra tôt ou tard sur la table. Le constitutionnaliste flamingant Bart Maddens l’a déjà souligné : il serait inconcevable pour la N-VA que son « core business » nationaliste ne soit pas entendu d’ici 2019.

Le sprint final de la Suédoise devrait aboutir à un accord susceptible de donner naissance à un gouvernement fédéral avant la rentrée parlementaire de mardi prochain. « Cela fait onze ans que l’on n’avait plus tenu ce délai respectueux des institutions », dit-on au MR. La majorité en vue comporte toutefois en elle de nombreux germes d’instabilité. On ne parle même pas ici des rivalités internes entre Charles Michel et Didier Reynders au MR, ni des risques de blocage dus à une concertation périlleuse, voire inexistante, entre gouvernement fédéral et gouvernements régionaux francophones.

Pour son baptême du feu, Charles Michel s’embarque dans un navire malmené par les vents contraires, à la tête d’une équipe que l’on sent déjà instable. Il risque d’être davantage un thérapeute de crises qu’un leader flamboyant d’une révolution sociétale saluée. Sans doute est-ce inhérent à cette Belgique de 2014, en pleine crise et mutation. Dans l’ombre, certains tenteront pourtant d’en profiter, qu’ils se nomment Bart De Wever, Elio Di Rupo voire Didier Reynders.

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