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Bombardements belges en Libye: les coulisses d’une mauvaise décision

Selon une commission d’enquête britannique, Cameron aurait pris un peu trop légèrement la décision d’une intervention en Libye, en 2011. La Belgique aussi a envoyé des F-16 sur le front libyen. Voici les coulisses d’un choix lourd de conséquences.

La semaine dernière, les parlementaires anglais étaient sans pitié pour David Cameron et sa décision d’intervenir en Libye. Pourtant, la situation en mars 2011 était aussi tendue que la condamnation est sans appel aujourd’hui.

Quelques mois auparavant, on avait assisté à l’éclosion de la révolution de jasmin. En Libye aussi, la révolte grondait après 40 années de dictature du très excentrique Kadhafi. Un Kadhafi qui n’hésite pas à réprimer très violemment toute opposition. « Pour ceux qui osent se rebeller, il n’y aura pas de pitié » dira-t-il en substance.

Certains leaders européens craignent un possible génocide. Les médias crient d’une même voix qu’il faut agir. Détail piquant : les soldats des troupes kadhafistes emploient des armes de la FN Herstal, fraîchement livrées.

Le 17 mars, le conseil de sécurité des Nations Unies entérine une résolution qui introduit une interdiction de vol et autorise toutes autres mesures susceptibles d’épargner des civils. De façon surprenante, l’initiative vient d’Europe. Ce n’est qu’en insistant et avec beaucoup de réticences que les États-Unis acceptent de se joindre au mouvement, et encore de façon limitée. C’est surtout le président Sarkozy qui souhaite intervenir. La France a d’importants intérêts économiques dans ce pays et un président dont la côte de popularité est en baisse et qui ne dédaigneraient pas un petit coup de pouce. Dans son style très personnel et hyperkinétique, ce dernier prend contact avec de nombreux dirigeants. Notre premier ministre d’alors, Yves Leterme(CD&V), reçoit lui aussi un coup de fil.

En affaires courantes

Au sein du gouvernement on va vite trouver un consensus: il faut intervenir. Le 18 mars, le Kern décide d’autoriser un soutien militaire. « La pression de l’opinion publique était énorme » dit l’ancien ministre des Affaires étrangères Steven Vanackere (CD&V). « Et au niveau européen il y avait aussi une unanimité sur le sujet. »

Pourtant une telle décision n’est pas évidente pour le gouvernement Leterme II. Il est depuis presque un an en affaires courantes. Selon la constitution, le gouvernement n’a pas besoin de l’accord du parlement pour partir en guerre, mais après une discussion en interne la décision est tout de même prise de soumettre la chose à la chambre. D’ailleurs dans les rangs de l’opposition on pense aussi qu’on doit faire quelque chose. Même chez Groen, c’est dire. In fine, seul Laurent Louis (Parti Populaire) va voter contre.

Avec un mandat des Nations Unies en poche, les avions français, anglais et américains commencent les bombardements le 19 mars. Dès le 21 mars, la coalition va recevoir le support de six F-16 belges qui ont décollé de la base grecque d’Araxos. Dans les mois qui suivent, les engins belges vont voler 620 fois au total et larguer 473 bombes. La coalition ne va pas connaître de vraies résistances du régime de Kadhafi et les louanges vont affluer de toutes parts. Même l’armée belge, pas vraiment réputée comme étant une machine de guerre, va être complimentée pour sa participation.

Mais du côté de Nations Unies, on va très vite entendre grogner. La Russie et la Chine, qui s’était abstenues lors du vote, trouvent que l’OTAN sort du cadre de son mandat. « L’OTAN a très vite opté pour un changement de régime » dit Ludo De Brabander, qui, en tant que porte-parole d’une association pour la paix, était l’un des rares opposants à une attaque militaire. « Alors qu’au départ il s’agissait surtout de protéger les civils, la coalition va rapidement donner un soutien aérien actif aux groupes rebelles. Dirk Van der Maelen, membre du Sp.a, trouve lui aussi que l’OTAN est sortie de son rôle. « Les Nations Unies avaient concédé un doigt, et l’OTAN a pris le bras. Surtout en Russie on est depuis très méfiant envers toute opération militaire. On en paye encore aujourd’hui l’addition »

Notre ministre de la défense de l’époque, Pieter De Crem, soutient mordicus que la Belgique « a opéré dans le cadre de son mandat ». Steven Vanackere, actuel ministre de la Défense, se veut plus nuancé. « Je trouve que les pays qui se sont engagés militairement sont restés dans le cadre de leur mandat. Mais je concède que le sujet est sensible »

Mauvais rêve

La rapidité avec laquelle on s’est embarqué dans le projet n’aura d’égale que la célérité avec laquelle on va oublier que la Belgique a effectivement lâché des bombes sur la Libye. La raison est notamment à trouver derrière un malencontreux hasard de circonstance. Fin octobre 2011, l’intervention de l’OTAN en Libye prend fin. Le 6 décembre, le gouvernement Di Rupo prend son envol. On chipote aux pensions, on introduit des mesures d’économies. Le débat se recentre sur ce qui se passe en Belgique. La menace du commissaire européen Olli Rehn de sanctionner la Belgique si elle ne prend pas immédiatement des mesures d’économies occupe tous les esprits. Les questions parlementaires sur la situation en Libye se font beaucoup plus rares.

La France aussi semble avoir oublié son rôle en Libye. Juste après les bombardements a commencé une campagne électorale musclée où on a surtout parlé d’économie nationale. Sarkozy est remplacé par Hollande. Celui qui avait remué ciel et terre pour intervenir en Libye disparaît de la scène politique. La Libye n’est plus qu’un mauvais rêve dont personne n’a plus envie de se souvenir. L’Europe est submergée par la crise des migrants et ne considère plus la reconstruction de la Libye comme une priorité.

Au sein du gouvernement Di Rupo, ce pays n’est pas plus un sujet prioritaire. En 2014, Elio Di Rupo ira même jusqu’à dire lors d’un sommet de l’OTAN que l’attaque en Libye était une erreur, et qu’il avait peur d’avoir à commettre les mêmes. Son attention est, plus que son prédécesseur, concentrée sur le national. Didier Reynders, le ministre des Affaires étrangères ne va pas non plus lancer de grande initiative afin de renforcer la stabilité en Libye. Pieter De Crem, qui restera ministre de la Défense sous Di Rupo, trouve lui aussi que le suivi laissera un peu à désirer. « L’Europe aime dire qu’elle applique une comprehensive approach, mais en Libye ce ne fut pas le cas »

Les conséquences vont être désastreuses. Sans la structure autoritaire mise en place par Khadafi, la Libye va se désagréger en proie à une guerre civile. Obama dira même que l’intervention militaire en Libye était un ‘shit show’, et considère que c’est sa plus mauvaise décision jusqu’à ce jour.

Pourtant rien n’est plus traître que de regarder en arrière avec ce que l’on sait aujourd’hui. Il serait injuste de ne considérer cette intervention que comme une erreur malveillante. Sauf que, comme souvent, on trouve plus simple d’envoyer quelques avions de combat que de reconstruire une démocratie.

Yves Leterme (CD&V) n’était pas disponible pour une réaction. Malgré nos multiples tentatives, le ministre des Affaires étrangères Didier Reynders n’a pas plus souhaité répondre à nos questions.

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