Chef de groupe Ecolo au parlement wallon, Bernard Wesphael n'a pas accepté qu'on lui refuse une fonction de premier ordre. © Bruno Fahy/Belgaimage

Bernard Wesphael : mal aimé, mal aimant ?

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

Bernard Wesphael a toujours voulu séduire, à tout prix. Comme il a toujours dû convaincre de sa logique antisystème. Jusqu’à se fracasser en politique et dans sa vie privée. Métaphore d’un milieu qui grise et broie, plus souvent qu’à son tour ?

Si l’affaire Wesphael est ultramédiatisée, c’est en raison du statut et de la personnalité de l’inculpé : homme politique, député wallon, figure historique d’Ecolo, chef de parti, écorché vif, rebelle magnifique depuis trente ans. A la fois polar et tragédie grecque, le drame à huis clos qui s’est déroulé à Ostende le 31 octobre 2013 se confronte aussi à certaines réalités du monde politique qui est théâtralisé, énergivore, égocentré, digérant mal l’échec, la contradiction, faisant se côtoyer stratégie et brutalité, calculs et emportements… Un univers qui lessive, absorbe, obsède et peut mener ses acteurs aux sommets les plus enivrants comme au fond des abîmes les plus dévastateurs. Ses acteurs ? Souvent des bêtes de combat, des guerriers soucieux de tout maîtriser, vite cassants et méprisants. Toute leur existence est vouée au pouvoir, à sa quête et sa conservation. Jusqu’à ce que la réalité, parfois, les rattrape. Bernard Wesphael est de ceux-là. Un lutteur, qui a dû batailler pour s’imposer, pour être reconnu. Il s’est enivré de ce cirque permanent, lui aussi. Il en a goûté les délices et traversé les tourments, avant de se faire broyer par sa violence. Convaincu d’avoir été trahi, abandonné, incompris. Seul, forcément seul, il a sans cesse voulu tout révolutionner. Pour finir par exaspérer les uns et, pire, se faire railler des autres.

Figure historique du parti écologiste, il s'était ensuite vu répudier par sa famille politique de toujours.
Figure historique du parti écologiste, il s’était ensuite vu répudier par sa famille politique de toujours.© Denis Closon/Isopix

Le leader du Mouvement de gauche était en rupture avec la compromission permanente, lot des gouvernants de tous bords. Pour autant, ce trublion au calme apparent n’était pas différent de ceux qu’il dénonçait : il bouillonnait à l’idée de réussir sa reconquête du pouvoir à la tête du nouveau parti qu’il avait créé en 2012, par dépit, s’estimant répudié par sa famille politique de toujours, Ecolo. Au bout de trente-trois ans passés dans l’antichambre du pouvoir, Wesphael en avait intégré les codes jusqu’au plus profond de lui-même. Les dogmes, mais aussi les contre-dogmes de l’opposition permanente. Au point, peut-être, de s’être transformé en acteur du film qu’il avait fait de sa propre vie, chevalier blanc, obsédé par un seul objectif : grimper, gagner en importance, en influence, décrocher le pouvoir. Comme tant d’autres, il était devenu sûr de lui, de son bon droit, de la justesse de ses propos, de son rang d’homme providentiel, lui qui se voyait à la tête d’une nouvelle révolution démocratique.  » Comme si un nouvel octobre 1917 se tramait et qu’il en était le maître d’oeuvre « , écrivait François Brabant dans son portrait publié par Le Vif/ L’Express dans son édition du 8 novembre 2013.

Lumières et complots

D’où ce sentiment d’humiliation, cinglante, pour avoir été écarté par la nouvelle génération d’Ecolo, alors qu’il en avait été l’un des cofondateurs. Chef de groupe au parlement wallon, Bernard Wesphael n’a pas accepté qu’on lui refuse une fonction de premier ordre, la présidence de sa formation ou celle du parlement wallon. Alors, il a choisi la fuite. Sur le modèle du français Jean-Luc Mélenchon, avec le triple label  » écologique, social et laïque « , le Liégeois voulait tenter le tout pour le tout, façon radicale : contre l’austérité, contre l’immigration incontrôlée, contre l’Europe du grand capital… Il prônait une refonte totale de la démocratie, à ses yeux bafouée par les élites. Quitte à embrasser la théorie du complot.

Il s’est transformé en acteur du film qu’il avait fait de sa propre vie

Ainsi ce 3 septembre 2013, deux petits mois avant le drame d’Ostende. Le fondateur du Mouvement de gauche se présente au JT de 13 heures à la RTBF pour y menacer publiquement de quitter son nouveau bébé. Sourire Pepsodent, il dit constater qu’un certain nombre de personnes  » issues de la vieille garde du Parti socialiste  » tentent d’entrer au MG  » à des fins purement privées, de pouvoir « . Un noyautage de son mouvement, demande Nathalie Maleux, étonnée ?  » Tout à fait ! Il était temps que je réagisse sans quoi le Mouvement de gauche n’allait pas décoller.  » Et la journaliste de poser la vraie question :  » Ne risquez-vous pas de perdre votre crédibilité ?  »  » Peut-être « , avait-il répliqué, humble et abattu, auquel cas il se  » retirerait sous sa tente « . Deux mois plus tôt, Wesphael avait dénoncé les médias sur le plateau d’une télé régionale parce qu’ils ne relayaient pas  » nos communiqués importants ou mes interpellations au parlement « . Incompris. Au génie ignoré. Au mérite tu. Mal aimé.

Or, ils sont nombreux, ces politiques, à considérer qu’ils détiennent les recettes miracles et qui se cabrent lorsqu’on a l’outrecuidance de ne pas le leur reconnaître. Leur monde occupe tout leur temps, toute leur vie, toutes leurs raisons d’être et d’agir. Certains coupent les ponts, tout simplement, avec ceux qui ne les suivent pas. D’autres choisissent minutieusement leurs canaux d’expression, cultivent leurs réseaux et se retranchent auprès de leurs supporters. Il en est qui s’arment, littéralement, tant ils se sentent traqués ou menacés. Sans prendre la mesure de la paranoïa qui les guette, eux aussi, grands malades qui nous gouvernent et voient des ennemis partout.

Bernard Wesphael était de ceux-là : puisque le pouvoir ne tombe pas, tout cuit, dans la main, il faut aller le prendre. Coûte que coûte. En se méfiant de tout le monde. Sa blessure d’avoir été contraint à quitter  » ses  » verts n’en a été que plus profonde. Exilé, parce que rejeté. Pourtant, Jacky Morael, figure historique respectée d’Ecolo, s’est emporté lorsque le dissident a créé son Mouvement de gauche ! Charge numéro un :  » Une formation politique, pour marcher, doit avoir une démarche collective. Or, Bernard a toujours eu du mal à s’inscrire dans une telle démarche.  » Charge numéro deux :  » J’ai eu des crispations avec lui lorsqu’il s’était autoproclamé porte-parole d’un courant laïque et de gauche au sein d’Ecolo. Moi, je suis laïque et de gauche et pourtant, je ne l’ai jamais considéré comme mon porte- parole.  » Son départ après avoir raté la présidence du parlement wallon ? Morael estimait que Wesphael avait voulu rester dans une ligne  » héroïque « .

Janvier 2012, Bernard Wesphael se présente, avec Marie Corman, à la coprésidence d'Ecolo.
Janvier 2012, Bernard Wesphael se présente, avec Marie Corman, à la coprésidence d’Ecolo.© BELGA

Mal aimé, mal aimant donc ? Resté seul, en tout cas. Et plutôt deux fois qu’une, presque au même moment : avant de mourir, Véronique Pirotton, la tant aimée, voulait le quitter. Et elle ne s’était pas privée, semble-t-il, de lui répéter que sa carrière politique était terminée. Le héros lâché par ceux qui lui étaient le plus chers.

L’homme qu’on ne quitte pas

Ce fait divers, suscitant l’intérêt médiatique jusqu’en France (TF1 et M6 ont tourné des séquences à ce sujet), peut être donc vu, aussi, comme un miroir de certaines réalités du milieu politique. Sur le plan privé, Bernard Wesphael apparaît ainsi séducteur, beau parleur, passionné, romantique en même temps, homme d’aventures, nombreuses. Le 24 août dernier, les quotidiens du groupe Sud Presse divulguaient des extraits d’auditions de six de ses anciennes conquêtes. Dans leurs témoignages, il  » n’a jamais été violent  » et il aurait été  » incapable de commettre un acte criminel « . Il avait tendance à fuir le conflit, à se taire et à prendre la porte lorsque la conversation prenait une mauvaise tournure. Elles dépeignent toutefois un homme versatile, pas forcément fidèle, sûr de son fait.  » On ne quitte pas Bernard Wesphael « , aurait-il asséné à l’une d’elles.  » Je le vois comme « un acteur » qui joue tout le temps un rôle… C’est quelqu’un qui cherche à se mettre sans cesse en avant.  » Comme un prolongement de sa façon d’évoluer dans l’arène politique.

Lors du lancement de son nouveau parti, le Mouvement de gauche.
Lors du lancement de son nouveau parti, le Mouvement de gauche.© BELGA

Acculé, accusé, projeté en enfer, avec un statut –  » politicien  » – qui ne l’aide pas toujours à plaider son innocence en cette période d’antipolitisme déclaré, le leader du Mouvement de gauche utilise pour autant, depuis trois ans, les armes qu’il maîtrise le mieux, et depuis longtemps, pour plaider sa bonne foi : les médias. Ceux-là mêmes qu’il a tant critiqués. Il s’écrie dans une lettre aux journaux en décembre 2013 :  » Je ne suis pas coupable. A ceux qui me savent innocent, qui me connaissent depuis longtemps et me savent incapable de me laisser aller à un tel geste meurtrier – même dans un moment que l’on dit à juste titre de folie -, je leur exprime mon amour et ma reconnaissance profonde, qui m’aident à ne pas perdre la raison.  »

Le député déchu a aussi écrit un livre – au titre provocateur, Assassin -, publié après le procès aux éditions NowFuture de Laurent Minguet, milliardaire liégeois, écologiste, ami de Wesphael dont il a déjà clamé l’innocence à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux. Le manuscrit est enfermé dans un coffre, mais il écrira sa vérité post-judiciaire. La famille Pirotton dénonce dès lors la capacité de Bernard Wesphael à activer ses réseaux passés. Deux mondes s’affrontent. Qui ne se comprennent plus.

Début septembre, à quinze jours du procès, un rapport d’expertise psychiatrique est divulgué, relevant chez Wesphael  » sa capacité extraordinaire à mentir, de telle sorte que l’on ne peut rien croire de lui qui n’est pas prouvé. La facilité et la conviction avec lesquelles il invente des récits, dont il sait que l’exactitude ne peut être facilement vérifiée, sont remarquables. Dans le contact personnel, on remarque qu’il a une image surfaite de sa personnalité. Au cours des actes d’enquête, nous constatons parfois une expression théâtrale, dramatique des émotions, ce qui est en contradiction avec son comportement calme immédiatement après les faits.  »

 » Un menteur ? Mais non, c’est un politicien « , a raillé quelqu’un en retour sur Twitter. Pour Bernard Wesphael plus que pour d’autres, politique et vie privée sont décidément toujours entremêlées. Jusque dans le pire.

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