Bernard Wesphael, 57 ans, l'un des fondateurs d'Ecolo, ex-député wallon du Mouvement de gauche. Et meurtirer de Véronique Pirotton ? Le procès qui va démarrer à Mons tranchera. © Philip Reynaers/Photo News

Bernard Wesphael devant ses juges, après trois ans d’enquête et d’incidents

Sa vie conjugale était un naufrage, sa carrière politique était à bout de souffle. Le procès d’assises de Bernard Wesphael, accusé du meurtre de sa femme, Véronique Pirotton, démarre lundi, à Mons. Après trois années d’enquête semée d’incidents.

Le procès Wesphael, enfin. A Mons, loin de la région liégeoise où Bernard Wesphael a grandi tout comme Véronique Pirotton, sa femme, la victime. Pas n’importe qui : lui, un des fondateurs du parti Ecolo, ex-député wallon du groupusculaire Mouvement de gauche, 57 ans. Elle, journaliste culturelle, si belle à l’image, figée dans ses 42 ans. Un procès qui sera peut-être le chant du cygne du jury populaire : douze citoyens tirés au sort, dans la peau d’un juge pour décider de la culpabilité ou de l’innocence d’un égal. Koen Geens, ministre de la Justice (CD&V), a programmé la disparition de cette institution éminemment démocratique héritée de la Révolution française, le dernier endroit où le citoyen exerce son pouvoir de façon directe. Le président de la cour d’assises de Hainaut, Philippe Morandini, conseiller à la cour d’appel de Mons, veillera à « rechercher, non pas un coupable, mais la vérité », avait-il précisé, après une rencontre avec l’accusé. Plus jeune, en 2004, il a été magistrat de presse au procès Dutroux, à Arlon. Il sait le tact que requiert la gestion psychologique et tactique d’une cour d’assises.

L'ancien député wallon quitte la prison de Bruges en compagnie de ses amis, dont Jean Thiel.
L’ancien député wallon quitte la prison de Bruges en compagnie de ses amis, dont Jean Thiel.© Wouter Van Vooren/Imagedesj

Depuis ce jour inexplicable où la figure du compagnon violent a fracassé celle du rebelle politique, laissant une femme sur le carreau, la vérité se fait toujours attendre. « Que s’est-il vraiment passé, selon la formule bateau, dans la chambre 602 de l’hôtel Mondo à Ostende, le soir du 31 octobre ? » Une vérité peut-être trop intime, informulable. L’accusé nie les faits qui lui sont reprochés : avoir commis un homicide sur la personne de Véronique Pirotton, « volontairement et avec intention de donner la mort ». L’aveu a cessé depuis longtemps d’être la « reine des preuve ». Reste la médecine légale, jamais parfaite (3 % d’erreurs).

L’aveu a cessé depuis longtemps d’être la « reine des preuves ». Reste la médecine légale, jamais parfaite (3% d’erreurs)

L’acte de défense de Me Jean-Philippe Mayence, l’instruction d’audience, avec les contre-expertises et le défilé des témoins, vont combler les interstices de l’acte d’accusation dressé par l’avocat général, Alain Lescrenier, sur la base de l’instruction menée par la juge brugeoise Christine Pottiez. A charge, forcément, mais l’avocat général n’a pas forcé le ton. Une modération qui contraste avec la dureté de l’expert psychiatre, Hans Hellebuyck, très contesté par la défense, qui a commandé une contre-expertise. Le président Morandini en a fait autant. Dans son rapport, le praticien ouest-flandrien reconnaît son échec devant ce client difficile, qu’il déclare responsable de ses actes : « L’entretien avec l’intéressé est totalement inutile pour l’obtention de plus de détails car il n’est pas fiable. Il ne raconte que ce qu’il veut, il tait beaucoup et continuer à l’interroger n’a pas de sens, cela ne fournirait pas plus de renseignement. » Moralisateur, il poursuit : « Dans le contact personnel, on remarque qu’il a une image surfaite de sa propre personnalité. Il ne se considère jamais impliqué dans un problème… »

Dès l'entame du procès, l'avocat Jean-Phlippe Mayence va contester l'acte d'accusation du parquet.
Dès l’entame du procès, l’avocat Jean-Phlippe Mayence va contester l’acte d’accusation du parquet. © BELGA

Sur le fond, les Dr. Geert Van Parys et Hubert Flore qui ont procédé à l’autopsie de Véronique Pirotton concluent à « une mort violente avec les caractéristiques d’une compression traumatique appliquée dans la partie crâniale de la région cervicale et dans le plancher buccal, éventuellement, en combinaison avec obstruction de la bouche et du nez. » Des lésions vitales intra-thoraciques et intra-abdominales, avec hémorragies, indiquent « une compression écrasante exercée sur ces organes ». En tout, « 35 zones hématiques » ont été relevées sur son corps. Probablement s’est-elle blessée à la tête en se débattant. Pour Laurent Depot, expert en fibres et textiles de l’Institut national de criminologie et de criminalistique (INCC), « le fait de retrouver 14 fibres correspondant avec les fibres de polyester de la taie d’oreiller gauche dans la gorge et sur la langue de la victime et la présence de fond de teint et de mascara sur cette taie soutiennent très fortement l’hypothèse selon laquelle le visage de la victime a eu, peu avant sa mort, un contact avec l’oreiller gauche… » Ce tableau clinique coïncide avec le témoignage de témoins auditifs : les touristes présents dans les chambres située à côté et en-dessous de celle du couple. Eclats de voix d’un homme, cris, puis, gémissements d’une femme, tout un remue-ménage que ces touristes ont interprétés comme une scène d’amour « rude », entre 22 et 23 heures pour l’hypothèse large, entre 22h30 et 23 heures pour la plus resserrée.

La version de Wesphael diffère. Oui, il y a eu une scène conjugale. Son épouse qui était ivre, « en plein délire », est tombée à trois reprises par terre, ce qui explique ses contusions, il l’a relevée, elle l’a griffé (il en portait d’ailleurs la trace au poignet, comme elle des lésions de défense sur les mains). Puis, elle s’est apaisée, s’est rendue à la salle de bains et lui s’est endormi (entre 40 et 60 minutes). A son réveil, il l’a vue inanimée sur le dos, vêtue d’un simple tee-shirt, avec un sachet de plastique sur un coin du visage. A 22h56, il déclarait à la réception, avec un calme étrange : « Ma femme s’est suicidée. » Le plastique pour s’étouffer ou le mélange alcool-médicaments lui auraient été fatals. Ce n’est qu’au retour dans la chambre, accompagné du personnel, qu’il donne alors libre cours à sa nervosité et tente de réanimer énergiquement Véronique Pirotton. Le décès de celle-ci est constaté médicalement à 23h25. Le corps était encore chaud.

La figure de l’intrus

Aux funérailles de Véronique Pirotton, le 9 novembre 2013, à Liège.
Aux funérailles de Véronique Pirotton, le 9 novembre 2013, à Liège. © BELGA

Il y aura toujours, au-dessus de ce drame, l’image d’une jeune femme intelligente mais fragile, maman d’un garçon. Sa vie agitée, ses rêves d’écriture, ses tentatives de suicide, son abus d’alcool : tout cela est désormais connu, ressassé ad nauseam par les médias. Rejetée par son père, élevée par sa grand-mère, elle a une relation, à l’adolescence, avec un professeur de religion. Un traumatisme qui resurgit à l’âge adulte, se traduisant par une instabilité sentimentale qui attire les hommes. Comme cet ancien amant qui revient dans le jeu et se heurte au mari. Le personnage le plus énigmatique de la pièce, le fameux Oswald Decock, psychologue de son état et fantôme de la chambre 602. Ces 30 et 31 octobre 2013, il a envoyé 26 appels à la victime avec son gsm et il en a reçu 11. Sans doute, le facteur déclenchant d’une crise latente.

Bernard Wesphael était sur le point d’être quitté et vivait un naufrage politique. Il a toujours fui la violence, dit-il aux enquêteurs, vacciné par celle de son père, une figure ambivalente respectée et haïe. Avec ça, il aurait pu courir d’échec en échec. Ses études chaotiques, son aversion pour l’autorité (qui l’a fait renvoyer de l’armée), son besoin de reconnaissance avaient pris, pourtant, du sens en politique. Il avait quelque chose que n’avaient pas les autres, plus classiquement formatés, mais il était en dehors du système. Député wallon du Mouvement de gauche, il ne pesait rien, peanuts. Pas d’intérêts économiques à défendre, pas de réseau, juste des amis aussi individualistes que lui. Embarrassé par ce faiseur de voix qui picolait un peu trop aux Rencontres écologiques de Massembre, son ancien parti ne s’est guère bougé lorsqu’il a été arrêté. Rien à voir avec la mobilisation du PS et de son curieux allié, la N-VA, en faveur du député-bourgmestre de Seraing, Alain Mathot, impliqué, selon la justice liégeoise, dans une affaire de corruption à 700 000 euros. Celui-ci a échappé à ses juges naturels grâce à la protection de ses pairs, comme le procureur général de Mons, Ignacio de la Serna, l’a rappelé dans son discours de rentrée du 1er septembre dernier.

Deux poids deux mesures, donc. A l’époque, les avocats et les professeurs d’université ont longuement débattu du cas Wesphael, afin de savoir si, en présence d’un supposé « flagrant délit », la justice avait le droit de passer outre l’inviolabilité parlementaire. La Cour de cassation a tranché positivement, ratifiant après coup la décision de la justice brugeoise d’inculper et d’incarcérer le client dépenaillé de l’hôtel Mondo, le 1er novembre, à « 00.01 heure ». Lequel ne fit état de sa qualité d’élu du peuple qu’à « 00.30 heure », signale l’acte d’accusation. Sa trop longue détention préventive ne prit fin qu’au bout de dix mois, à la faveur d’un changement de composition de la chambre des mises en accusation de Gand, sans que le dossier ait bougé d’un iota. Libéré, Bernard Wesphael s’est tenu à l’écart, en dépit des initiatives tourbillonnantes de ses amis. Un dossier moins médiatisé, avec des protagonistes moins connus, aurait-il connu autant d’incidents ? Ou moins ? La question ne se pose plus car la justice hennuyère va ramener ce tragique fait divers à sa juste mesure.

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