© Debby Termonia

Benoît Poelvoorde: « Enfin, je n’ai plus rien à prouver »

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Bientôt trente ans de carrière pour l’acteur belge. Trente ans et une cinquantaine de films, qui en ont fait une icône du cinéma. Une gloire qui, par moments, a été difficile à porter. Mais aujourd’hui, sans angoisse, sans regret, c’est un acteur et un homme apaisé qui se livre.

Vos sensations et sentiments ont-ils changé durant cette petite trentaine d’années que vous faites l’acteur ?

Oui, totalement. Je n’ai plus peur. Pour le dire plus subtilement, je ne m’encombre plus de problèmes annexes. Il y a deux périodes, en fait. D’abord celle où tu joues de manière totalement spontanée, sans conscience d’être acteur. Comme sur le tournage de C’est arrivé près de chez vous. Et puis vient la période où c’est un métier. Là, je me suis encombré de plein de trucs qui étaient – j’imagine – liés à mon âge, à la découverte d’un monde que je ne connaissais pas, qui me paraissait hostile. Tu veux te prouver énormément de choses à toi-même. Et ça te parasite, ça t’encombre beaucoup, quoi que tu fasses. Par exemple, l’idée de ne pas être aimé, de ne pas être à l’endroit ou l’autre t’attendait. Je me suis longtemps posé la question de savoir si c’est ça que je devais faire, si j’étais à la hauteur de ce que les gens attendaient de moi. Je n’ai plus ça !

Ce changement est-il venu progressivement ?

Je crois que c’est venu à la suite de ma dépression. Après, tout ça avait disparu. Je ne ressens plus le besoin de prouver quoi que ce soit. Tout ce que je fais maintenant, c’est pour me faire plaisir. Quand je pense qu’on me paie pour le faire, en plus (rire) ! Je n’en ai plus rien à fiche de l’ambition du projet. Les raisons qui font que j’accepte un film sont souvent très bizarres. Que ce film soit bon ou mauvais, ça m’est totalement égal. Je fais exactement ce que j’ai envie de faire. Point. Alors qu’avant, je ne pouvais pas faire abstraction de l’avis de l’autre.

Je me suis longtemps posé la question de savoir si j’étais à la hauteur de ce que les gens attendaient de moi

Après le succès fou de C’est arrivé près de chez vous, vous aviez fui la facilité, refusé plein de films, pour écrire et jouer une pièce, Modèle déposé. Et vous mettre à l’épreuve. Un moment décisif ?

Oui, et terrifiant ! J’ai joué la pièce 300 fois et c’était atroce du début à la fin. C’était comme tester une arme nucléaire pour voir ce qu’on va en faire… L’arme, je l’ai rangée, je la garde en réserve, mais attention, je suis capable de remonter sur scène (rire) ! J’ai été tellement malheureux en faisant ça ! Je n’ai jamais pris une once de plaisir. Mais, en même temps, c’était une sorte de test sur moi-même. C’est débile mais je voulais prouver, me prouver, quelque chose. Faire C’est arrivé avait juste été comme une promenade entre copains. Je retrouve un peu de cette insouciance aujourd’hui. Je ne dramatise rien. Je fais ce que je veux. Comme à l’époque du tournage de C’est arrivé. André ( NDLR : Bonzel, coréalisateur du film) me disputait parce que, chaque vendredi soir, je rentrais chez ma mère, point. Ça l’énervait, mais je n’en avais rien à fiche…

Vous retrouvez donc aujourd’hui cette liberté ?

Je fais les choses sérieusement mais plus rien ne rend mon jugement con, plus rien ne me fait peur. La dernière fois que j’ai ressenti de la peur, c’était le soir de l’ouverture de l’Intime festival, il y a cinq ans, à Namur, quand j’ai fait la toute première lecture avec Laurent Gaudé. A la fin de la lecture, j’ai dit :  » Plus jamais !  » C’était terrible ! Et je sentais toute la salle en train de me dire, pleine de bienveillance envers moi :  » Tu vas y arriver, mon garçon. Courage, c’est bientôt fini… (rire)  »

L’humour caustique et incisif à la C’est arrivé près de chez vous n’a plus guère sa place dans les comédies très standardisées d’aujourd’hui…

L’a-t-il jamais eue, sa place ? C’est tellement particulier… Hier soir, je parlais à mon ami monteur Philippe Bourgueil d’un script que j’avais reçu, venant d’un réalisateur que je ne nommerai pas. Tout en pissant (car nous étions aux toilettes), il m’a dit :  » Ah non, pas lui !  » Son argument ?  » Parce que c’est tout ce que vous détestiez en faisant C’est arrivé !  » Ce n’était pas faux… Maintenant, je pense qu’il y a énormément de gens qui font des choses très drôles, même en dehors du stand-up français qui ne m’intéresse absolument pas – le stand-up américain, c’est autre chose, Ricky Gervais est un génie ! En Belgique, on a quand même cet humour spécial qui est aussi celui de François Damiens, de Bouli ( NDLR : Lanners). On a aussi tout ce comique à base de rigolades et de jeux de mots, qui ne me correspond pas mais qui est très vivant. A Mouscron, par exemple, il y a une sorte de vivier, les gens font des jeux de mots sans cesse ! Sinon, en stand-up, on a qui ? A part les mecs qui finissent à la RTBF ? Je vais encore me faire démonter la gueule (rire)

Votre attachement à la Belgique passe-t-il par un intérêt pour notre vie politique ?

Absolument pas ! Je serais infoutu de vous dire qui est ministre de la Justice, par exemple… Je m’en fous complètement ! J’ai ri parce qu’un type m’a envoyé une lettre en écrivant dessus  » extrêmement important « . J’ai regardé l’enveloppe, énorme, en me disant qu’elle devait être pleine de cette poudre blanche qui empoisonne, l’anthrax. Ou qu’elle allait me péter à la gueule… En fait, ça venait d’un mouvement politique, et le mec a un aplomb, il ne doute de rien. Il m’écrit :  » Comme je sais que vous aimez votre pays, je pense que vous voudrez certainement le défendre et je vous propose donc de faire partie de notre liste électorale…  » S’il y a bien quelqu’un qui ne fera jamais ça, c’est moi ! Quand mon ami Noël Godin s’est lancé dans un parti, Banane, il s’est vite retrouvé pris dans ses contradictions. Il m’a dit :  » Nous défendons le droit de ne rien faire.  » Je lui ai fait remarquer qu’on n’entendait jamais parler de son parti, et il m’a répondu :  » Oui, mais faire parler de nous, ce serait faire quelque chose…  » Ce n’est pas fantastique ?

Votre Intime festival namurois est une belle réussite !

J’avais eu longtemps l’ambition d’écrire et de réaliser mon propre film. Je ne l’ai plus. Créer ce festival, engager des gens, organiser les choses, diriger une équipe, comme le fait un réalisateur, me sentir totalement responsable, je l’ai vécu réellement grâce à l’ Intime festival. J’y ai aussi donné beaucoup de ma propre intimité. Je m’y suis beaucoup plus livré que je ne l’ai jamais fait au cinéma. Quand on invite un auteur, un interprète pour en faire une lecture, quand on discute avec eux, avec les gens qui sont présents, on en dit beaucoup sur soi-même… C’est un luxe infini ! Moi je dis :  » Si tu n’as pas ton festival à 50 ans, t’es une merde (rire) !  »

Cette ville, Namur, où vous vivez toujours, qu’y aimez-vous particulièrement ?

L'acteur est aussi à l'origine de l'Intime festival, lancé en 2013.
L’acteur est aussi à l’origine de l’Intime festival, lancé en 2013.© Denis Closon/Isopix

Trouver une explication à pourquoi j’aime Namur ? Je vais inventer une réponse parce que je n’y réfléchis jamais… Je crois que ce qui me plaît bien, c’est que Namur est un beau mélange de barakis et de bourgeois. C’est vachement bien équilibré. Et c’est une des raisons pour lesquelles c’est très difficile d’y faire marcher une entreprise du secteur horeca. Parce que le public que tu cibles, ce n’est pas évident. Le bourgeois, il est près de ses sous (ce n’est pas péjoratif, ce que je dis, je suis devenu un bourgeois moi-même), il mise plus qu’il ne dépense, il est difficile à satisfaire. Le baraki (et je suis un baraki, un vrai), lui, en veut pour son argent. Donc c’est compliqué. Tous les gens qui ouvrent un restaurant, un café, ne savent jamais vraiment si leur choix sera bon. Le bord de Meuse (1), c’est très élégant : eh bien, ce qui marche le mieux dans le coin, ce sont des trucs qui sentent la frite, l’escargot à l’ail et la croquette de crevettes (rire) ! Ceux qui s’essaient à du plus raffiné se plantent. Il faut être fou pour se réveiller le matin en se disant  » Eh bien moi, je vais relever le niveau (rire) !  »

Pourquoi le Sénégal vous est-il si précieux ?

Ça fait dix ans que j’ai une maison là-bas et que j’y vais, et que j’adore. Nous venons d’y passer deux mois, avec Coralie ( NDLR : sa femme). Je me sens vraiment heureux, là-bas. J’y lis beaucoup, j’y ai quelques amis, très peu en fait. J’adore les Sénégalais, qui nous donnent une leçon de vie, à nous les Européens angoissés du travail. J’aime aussi le fait qu’ils ne me connaissent absolument pas. Là-bas, on m’appelle Monsieur Bellion ( NDLR : le nom de famille de Coralie)…

Comment choisissez-vous vos films ?

Il y a autant de raisons que de cas de figure. Ce ne sont jamais les mêmes motivations. Là, par exemple, je vais faire une apparition, vingt jours de tournage, dans un film d’Anne Fontaine. Or il se trouve – elle ne le prendra pas mal parce que je lui ai déjà dit – que je n’aime pas les films d’Anne Fontaine. Je ne parle même pas de ceux dans lesquels je suis (2). Je n’aime pas son cinéma, je ne le comprends pas, même si je le respecte. Et le scénario du nouveau film, je ne l’aime pas non plus… Mais j’aime beaucoup Anne Fontaine. Quand on commence à vieillir, je trouve qu’il faut tenir sur les valeurs. Faire plaisir à Anne est à mes yeux une raison bien suffisante pour lui dire oui et faire son film.

Votre rapport au temps qui passe a-t-il changé avec les années ?

Ce qui est terrible, c’est quand tu commences à pouvoir te dire :  » Il ne me reste pas beaucoup de temps.  » Ça relativise quand même beaucoup de choses. Je sais bien qu’il ne me reste pas beaucoup. Mais je suis un très bon vivant, je profite de tout, et j’en profite salement ! Je peux boire une Duvel à n’importe quelle heure de la journée.

Henri Michaux a écrit : « Même si tu as eu la sottise de te montrer, sois tranquille, ils ne te voient pas »…

Je vais justement faire une lecture de Michaux avec Patrice Leconte ! C’est un scoop, personne ne le sait encore… Oui, c’est vrai, j’en suis convaincu. Parle très fort si tu ne veux pas qu’on t’entende ! Ma femme me dit, en me le reprochant, que même à Ikea, et même si j’étais à l’autre bout du magasin, elle saurait où je suis parce que je siffle et que je parle tout seul… C’est l’acteur qui va faire ses courses (rire).

Avez-vous des regrets d’avoir refusé certains rôles ?

Aucun. Jamais. Il y en a un qui me vaut régulièrement des reproches. J’ai refusé Les Tuche, ce que ne comprennent absolument pas un de mes meilleurs amis, qui est garagiste, et sa femme. Des regrets sur un film fait ? Ah là (rire)… Mais non, pas non plus !

(1) Où se situe la belle maison de Benoît Poelvoorde, dans un écrin de verdure.

(2) Entre ses mains, Coco avant Chanel et Mon pire cauchemar.

Bio express

1964 : Naissance, à Namur, le 22 septembre.

1981 : Cours d’arts appliqués à l’Institut technique Félicien Rops, à Namur.

1987 : L’amant de maman, premier court-métrage.

1992 : C’est arrivé près de chez vous, premier long métrage.

2013 : Crée L’Intime festival, à Namur, mêlant littérature, cinéma et théâtre.

2014 : Magritte du meilleur acteur pour Une place sur la terre.

2018 : Le Grand bain, Au poste et Deux fils.

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