Barvaux © Google Street

Barvaux, « nid de génocidaires »

Sur les rives de l’Ourthe, l’église locale se fait rattraper par de sombres histoires liées au génocide de 1994, sur fond de vieilles rumeurs et de haines tenaces.

Plus personne n’aurait fait attention à Joseph Sagahutu, 52 ans, abbé rwandais et tout juste nommé vicaire à Barvaux, s’il ne s’était récemment fait alpaguer par la justice belge pour une affaire de… faillite frauduleuse. Alors qu’il officiait dans le Brabant wallon, ce prêtre visiblement polyvalent gérait une société de transport de personnes et de courrier. Laquelle est tombée en faillite. Or le prêtre avait « omis » de la déclarer, et des véhicules de la société se sont volatilisés. Condamné à six mois en première instance, il a bénéficié le mois dernier de la suspension du prononcé, à condition de ne plus commettre de délit dans les trois ans.

Du coup, des fidèles un peu interloqués ont fait des recherches sur le curé fantasque et exhumé des tréfonds d’Internet une « Lettre ouverte à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II », datée du 13 mai 1998, où African Rights épinglait, entre autres, Joseph Sagahutu. « Tout au long du génocide, le père Joseph Sagahutu travailla ouvertement avec Damien Biniga, le sous-préfet de Gikongoro qui orchestra les massacres dans cette région. Le 15 avril 1994, il aurait aidé Biniga et ses miliciens à tuer des milliers de Tutsi s’étant réfugiés dans sa paroisse », était-il écrit. Est-ce donc un « collabo » qui officierait aujourd’hui dans les paroisses de Tohogne et Jenneret ? Ni le Vatican, ni la justice belge, ni l’évêché du Brabant wallon ne semblent avoir donné le moindre crédit à cette affaire, puisque l’année suivante Joseph Sagahutu débarquait en Belgique et entamait des études de théologie à l’UCL.

Les accusateurs sont plutôt controversés. African Rights a longtemps été soupçonnée d’être une courroie de transmission du FPR, le parti au pouvoir.

En 2007, Le Vif/L’Express retrouvait la trace de l’abbé Sagahutu dans le Brabant wallon et le mentionnait, comme une série d’autres, dans un dossier intitulé « Des tueurs parmi nous ? », tout en insistant sur la présomption d’innocence. Sagahutu nous avait aussitôt écrit, jurant n’avoir exercé qu’une action « humanitaire et pastorale ». « Je n’ai ni préparé ni soutenu les crimes qui se sont déroulés », se défendait-il, parlant au contraire de sa « présence réconfortante » auprès des réfugiés. En 2009, il publiait Espérer contre toute espérance (éditions Source du Nil), préfacé par le célèbre psychiatre Boris Cyrulnik, livre qualifié de « révisionniste » dans les milieux tutsi. L’auteur raconte comment il a échappé aux massacres commis au Congo voisin par l’armée victorieuse de Paul Kagame. Aujourd’hui encore, l’abbé redoute que des tueurs diligentés par Kigali ne soient à ses trousses, car « je suis un témoin gênant », avance-t-il.

L’abbé Joseph peut compter sur le curé-doyen de Barvaux qui l’a pris sous son aile : l’abbé Daniel Nahimana, Burundais d’origine hutu, 62 ans. Lui aussi se trouvait au Rwanda au moment du génocide. Et lui aussi s’est trouvé dans le viseur de rescapés qui, du coup, qualifient Barvaux de « nid de génocidaires », protégé par l’évêché de Namur. En 1999, la revue Golias l’accusait de s’être entendu avec l’abbé rwandais Emmanuel Rukundo pour faire passer de vie à trépas un troisième abbé, le tutsi Alphonse Mbuguje.

Le récit dans Le Vif/L’Express de cette semaine. Avec :

  • les dénégations de Daniel Nahimana
  • le départ seul prêtre tutsi du doyenné de Barvaux
  • « Dès qu’il y a un problème, on ressort le clivage ethnique »
  • le silence de l’évêché de Namur

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