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Bart, Elio, André et Danny, Johan : A qui le tour ?

Six mois de crise politique sans avoir atteint le stade de formateur. Une occasion rare de faire connaissance avec un informateur, un préformateur, deux médiateurs, un clarificateur, un conciliateur.

Au suivant… Au suivant… Six bons mois à vivre à ce rythme-là. Dans un pays dont le sort politiquement incertain passe, vaille que vaille, de main en main. Le Palais royal a dû puiser dans ses réserves pour garder la cadence. Sans plus trop savoir qu’inventer encore pour baptiser les différents chargés de mission qu’Albert II envoyait au casse-pipe. A l’informateur a succédé un préformateur, lequel s’est effacé pour un duo de médiateurs, lesquels ont cédé le terrain à un clarificateur, lequel a passé le témoin à un conciliateur. Lequel n’aura pas ménagé sa peine pour trouver un repreneur capable de faire enfin miroiter des jours meilleurs. Et pour en arriver là, il a bien fallu un détonateur. De Croo junior, jeune président de l’Open VLD, s’en est chargé en dynamitant le gouvernement fédéral sur l’écueil BHV, et en précipitant un scrutin au verdict affolant : le PS cartonne, la N-VA triomphe. Un abîme de différence s’ouvre entre le nord et le sud du pays.

Bart l’informateur 17 juin – 8 juillet : 21 jours sur du velours

Le nouvel homme fort de Flandre et de Belgique ouvre le bal. Il est l’attraction du jour. Sa mission, tâter le terrain au lendemain du scrutin, est un classique du genre. Mais retrouver le président d’un parti séparatiste dans la peau d’un informateur royal : ça en jette. Bart De Wever s’acquitte de sa tâche comme un chef. De façon nette et sans bavures. Même ses interlocuteurs francophones lui trouvent un certain charme. Certains se surprennent alors à rêver : ce diable d’homme ne serait donc pas animé que de mauvaises intentions. De Wever entretient l’espoir par un premier diagnostic encourageant. Assainissement des finances publiques, cohésion sociale, réforme de l’Etat : il croit déceler des convergences entre partis susceptibles de former un futur gouvernement. Tout doux : s’avancer plus sur la voie d’une coalition aurait des conséquences « inimaginables » en cas d’échec. Il a décidément du flair, De Wever.

Elio le préformateur 8 juillet – 3 sept. : 57 jours dans le brouillard

Bart s’efface, l’autre acteur incontournable du moment entre en scène. Le Palais royal monte très modérément dans les tours : Elio Di Rupo, président du PS, n’est pas encore le Premier ministre que certains imaginent déjà un peu vite. Non pas que l’homme n’y travaille pas : sa communication en néerlandais force le respect. Mais la route s’annonce interminable, avant qu’un Wallon ne gravisse à nouveau les marches du 16, rue de la Loi. Di Rupo commencera modestement par être préformateur. Surtout, ne pas compromettre la fragile esquisse d’une improbable constellation politique qui exclut avec obstination la famille libérale des négociations. Il faut des trésors de patience pour oser réunir enfin, au bout d’un mois et demi, les sept partis pressentis pour au moins discuter d’une réforme de l’Etat : PS, CDH, Ecolo, N-VA, CD&V, SP.A, Groen ! C’est déjà un exploit, tant l’assemblage hétéroclite souffre d’un handicap profond. En vérité, d’une allergie quasi incurable de la N-VA pour le partenaire écologiste : Ecolo passe encore, mais Groen!… : trop à gauche, trop unitariste au goût des nationalistes flamands. Très gênant quand il s’agit de donner à une équipe un sens, un cap. Une raison d’être qui fait terriblement défaut. Accoucher d’une réforme de l’Etat ? La Flandre rêve de la révolution copernicienne que les francophones craignent comme la peste. Assainir les finances publiques ? La potion que préconise la droite flamande n’est qu’une pilule trop amère à avaler pour la gauche francophone.

« La tâche est titanesque », « il faut concilier l’inconciliable » : le préformateur garde le sens de la formule quand il s’agit de planter et de replanter le décor. Car pour le reste…. Ni une pause estivale début août, ni les encouragements du Palais royal à persévérer ne permettent de dépasser sérieusement le stade des man£uvres d’approche. On n’en finit pas de définir « le périmètre » de la négociation institutionnelle, de faire mine de progresser pour mieux stagner. Le ton finit fatalement par monter. Août tire doucement à sa fin quand la N-VA, gentiment poussée dans le dos par le CD&V qui la suit comme son ombre, fait péché de gourmandise. Régionalisation de l’impôt des personnes physiques et révision de la loi de financement des entités fédérale et fédérées atterrissent sur la table des négociations. Fureur francophone devant des exigences imprévues, malgré un transfert massif de compétences (15,8 milliards d’euros) déjà concédé. Boulimique, De Wever en rajoute une couche en remettant en question le refinancement progressif de la Région bruxelloise. Et bardaf, c’est l’embardée. Di Rupo rend son tablier au roi le 3 septembre. Méchant coup de froid.

André et Danny, médiateurs 4 septembre – 5 octobre : 31 jours de figuration

Rien de tel qu’un duo des contraires pour calmer le jeu. Le PS André Flahaut et le N-VA Danny Pieters, présidents de la Chambre et du Sénat, entrent en piste. Dans l’espoir un peu fou de réamorcer la pompe. Di Rupo – De Wever, le couple de l’été si peu assorti, se revoit furtivement. Pour mieux acter leur divorce et se voler dans les plumes. Entre-temps, un dîner dans l’un des meilleurs restaurants de Bruxelles reste en particulier sur l’estomac du président du PS : le chef de file de la N-VA s’est affiché à table en compagnie des MR Didier Reynders et Louis Michel, dans le dos des négociateurs francophones. La thèse du double jeu de De Wever, mû par une envie folle de s’aboucher avec les libéraux qui font toujours tapisserie plutôt que se perdre dans une coalition trop à gauche, reprend du poil de la bête. La confiance, déjà introuvable, est perdue.

La mise sur pied d’un « High Level Group » chargé de plancher sur la loi de financement ne change rien à la tendance lourde. 4 octobre : sans crier gare, le président de la N-VA replie brutalement les « paravents chinois », pardon les médiateurs royaux Pieters et Flahaut. Pouf-pouf, on efface tout et on recommence. A sa manière, De Wever mesure l’ampleur du chemin déjà parcouru : « des pas de géant pour les francophones, des pas de nain de jardin pour la N-VA. » Bref, le grand écart, au bout de 113 jours d’impasse politique.

Bart II, le clarificateur 8 octobre – 18 octobre : 10 jours de décantation

Il l’a bien cherché. Bart De Wever reprend la main, sous la casquette pittoresque de clarificateur. Dix jours pour clarifier ce qu’on sait déjà : le caractère toujours aussi inconciliable des positions de part et d’autre de la frontière linguistique. Confirmation : à peine De Wever dépose-t-il sa note que le camp des négociateurs francophones la recale aussitôt. Hurle à l’appauvrissement de la Wallonie et à la faillite assurée de l’Etat fédéral. Enième fâcherie, De Wever croit comprendre qu’on l’humilie. Responsabilisation financière, autonomie fiscale : des concepts font fureur, mais le temps vire surtout à la menace francophone : les rumeurs de plans B pointent le bout du nez. Des fois que la Belgique finirait par ne plus s’en remettre… Et dans tout ce tourbillon, même Bruxelles-Hal-Vilvorde toujours pas scindé parvient à se faire oublier.

Johan le conciliateur : deux mois de chemin de croix

Le Palais royal le tenait en réserve de la République. Au tour de Johan Vande Lanotte de s’y coller : un socialiste flamand, gratifié d’une aura de sage, et que l’on croit capable de remettre de l’huile dans des rouages atrocement grippés. L’heureux élu ne fait pas sauter de joie la N-VA qui ne se gêne pas pour le faire savoir. Les libéraux passent encore leur tour. La parole est aux experts, en cascade. Ceux des sept partis toujours en lice, priés de rendre leurs modèles de loi de financement. Puis ceux de la Banque nationale et du Bureau du Plan, invités à objectiver ces modèles. Enfin six autres experts indépendants chargés de valider le tout. Un luxe de précautions et de rigueur pour faire cracher leurs vérités aux chiffres. Mais qui ne fait pas encore un accord politique. Ni même un début de réchauffement des relations entre le Nord et le Sud. Johan Vande Lanotte la joue à l’endurance. S’épuise à jouer à saute-mouton au-dessus de la frontière linguistique. Un coup d’essai chez les partis flamands, un coup de sonde chez les négociateurs francophones. Et vice versa. Sans oser sonner le rassemblement général avant deux mois de mission. Ça va fort.

PIERRE HAVAUX

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