Nicolas De Decker

Bart De Wever, une certaine idée de l’ordre

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La société, ma bonne dame, est une affaire complexe. Les millions d’interactions qui la font tenir ensemble nous obligent envers nos semblables.

Si ces actions nous obligent, c’est qu’elles imposent des contraintes dont on ne se rend presque jamais compte. La plupart sont si ancrées dans notre quotidien qu’elles échappent à notre conscience.

Sauf lorsqu’elles ne sont pas accomplies.

C’est ainsi que Marraine Andrée vous jette une berlafe si vous ne lui faites pas une baise après avoir reçu votre dringuée de nouvelle année, et ainsi que Marraine Andrée est une excellente soldate de l’ordre social.

C’est ainsi que votre patron chauve vous jette dehors si vous venez sans pantalon et sans sous-vêtements au travail et que vous n’êtes pas sa jeune subordonnée précaire, et ainsi que votre patron est un excellent sous-officier de l’ordre social.

C’est ainsi que vos dirigeants politiques vous condamnent si vous êtes un violent hooligan aux pulsions racistes qui vient intimider les Bisounours sur les marches de la Bourse devant les caméras atterrées de la planète, et c’est ainsi que vos dirigeants politiques sont d’excellents Jedi de l’ordre social.

Deux espèces de personnes littéralement anormales portent la révélation de l’importance, voire de la nécessité, du respect de ces milliards de codes comportementaux que nous avons intériorisés : le sociologue, que personne généralement ne lit, d’une part, et le déviant que personne normalement ne considère, d’autre part.

Le sociologue le fait par l’action descriptive, qui présente, jamais inconsciemment, les modes de contrainte de l’ordre social.

Le déviant le fait par l’action subversive, qui conteste, pas toujours consciemment, ces modes de contrainte.

Mais la subversion ne nécessite pas toujours une action au sens strict. Ne pas embrasser une marraine ou ne pas se vêtir devant un patron relève ainsi de ces très actives inactions déviantes.

C’est que ne rien faire c’est souvent faire beaucoup. Et c’est parfois en faire trop.

Ainsi donc est fondé l’ordre social, et ainsi son ordre est-il parfois révélé par le fait même qu’il est contesté.

Bart De Wever, lui, est un homme d’ordre.

Il ne s’en cache pas et en fait même sa publicité. Son parti est un parti d’action, et un parti de durs. Un de ceux qui veulent rétablir le règne de la loi et de l’ordre, mis à mal par les décennies de laxisme latitudinaire qui ont installé notre société permissive.

Son ordre, à Bart De Wever, est plutôt ancien que nouveau. Les références familiales et personnelles de cet historien le font aimer les hiers qui chantent bien plutôt que les lendemains qui rigolent.

Son complexe identitaire est celui de la stoïque République romaine et des inflexibles combattants de la Flandre opprimée. Des gens d’ordre, pas de ces Bisounours à qui il a pris le pouvoir dans sa ville, dans sa Région, dans notre pays.

Les héros de Bart De Wever irradient de l’imperium, de l’auctoritas et de la potestas, même quand ils n’en disposent pas par faute d’un ordre injuste.

Ses héros sont les garants mythiques d’un ordre rigide, où l’on ne badine pas avec l’autorité.

L’habitus, la pensée et la morale de Bart De Wever sont répressifs. Son action politique l’est aussi, dans sa ville, dans sa Région comme dans notre pays.

Il est un homme d’ordre donc.

Mais Bart De Wever est aussi un déviant.

Pas seulement parce que son corps a subi d’inimaginables inflexions.

Pas seulement parce que ses plus proches amis, et ils sont rares, le dépeignent en autiste.

Non.

Si Bart De Wever est un déviant,

  • c’est parce que ses actions et ses inactions défient l’ordre social et politique, et parce qu’il en est conscient, parce que quand il ne signe pas avec les autres présidents de parti un communiqué pour condamner les bruyants hooligans qui sont venus défier les Bisounours à la Bourse, et que quand il fait dire à son porte-parole qu’il ne veut pas faire de publicité aux hooligans qui sont venus défier les Bisounours à la Bourse, il sait que des millions de téléspectateurs de toutes les chaînes de télévision du monde ont eu accès à cette publicité, il sait que ça ne se fait pas dans notre ordre social ;
  • c’est parce qu’il défie l’ordre social et politique, et parce qu’il en est conscient, parce que quand il raconte à nos confrères de L’Echo que c’est lui qui a refusé la démission putative de Jan Jambon, et que ça ridiculise le premier ministre qui est censé décider de qui démissionne ou pas, il sait que ça ne se fait pas dans notre ordre social; ;
  • c’est parce que lui et le parti qu’il préside défient l’ordre social et politique, et parce qu’il en est conscient, parce que quand il refuse de condamner les actions violentes de ceux qui ont le même épiderme hâve que le sien alors qu’il n’a de cesse de réclamer des autres, syndicalistes ou musulmans, par exemple, qu’ils condamnent toute action violente ou toute inaction potentiellement dangereuse, parce que quand son parti qui veut dissoudre le pays entre dans le gouvernement du pays qu’il veut dissoudre et décide de tout sauf de la dissolution du pays qu’il veut dissoudre, il sait que ça ne se fait pas dans notre ordre social et politique.

C’est surtout parce que de cet ordre social et politique, Bart De Wever ne veut pas.

Bart De Wever est un homme d’ordre, mais il n’est pas un homme de l’ordre d’aujourd’hui.

Il est un homme d’ordre qui n’est pas notre ordre. Et il s’en fout.

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