Nicolas De Decker

Bart De Wever, une certaine idée de l’intellectuel

Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Au fond, l’oxymore est une figure rhétorique mal connue. Chacun sait que, comme dans un silence éloquent ou un sourire triste, elle associe deux termes contradictoires. Mais beaucoup ignorent que cette contradiction n’est, en fait, qu’apparente. Un sourire peut exprimer de la tristesse et un silence, souvent, est éloquent. Ainsi du titre d’intellectuel influent, attribué mi-janvier dernier à Bart De Wever, par une centaine de personnalités flamandes sondées par le quotidien De Morgen.

Son influence, de fait, n’est pas scientifiquement contestable. Elle l’autorise à une désinhibition inconcevable pour n’importe lequel de ses adversaires politiques, une forme de privilège moral qui le montre impunément fasciné par deux figures historiques tandis que n’importe quel autre politique se voit impitoyablement reprocher le moindre attachement pour le moindre grand homme de la moindre époque et du moindre pays, de Robespierre à Léopold II, de Gamal Abdel Nasser à Staf De Clercq, de Jean-Paul Sartre à Mahomet, voire de François Mitterrand à Ronald Reagan.

Ainsi Bart De Wever peut-il tout dire tout en disant qu’on ne peut plus rien dire, et ainsi peut-il se proclamer héritier des Romains d’avant  » xénophobes mais pas racistes « , comme il dit dans le trimestriel Wilfried, et les observateurs bouleversés par tant d’influence de l’estimer si intelligent. Ainsi aussi peut-il adorer Edmund Burke et Auguste, dont le premier, whig britannique antisémite, voyait la Révolution française comme l’oeuvre malfaisante de courtiers juifs, et le second, empereur à Rome, promoteur de l’esclavage et, disait Montesquieu,  » rusé tyran  » qui a  » doucement conduit les Romains à la servitude « .

Le projet politique de Bart De Wever constate l’impureté de la nation belge et prône l’instabilité institutionnelle du V voor Verandering

Voilà pour l’immunité de l’influence, second terme de l’oxymore.

Mais sous cette couronne qui ceint le front de l’auguste anversois devrait se trouver le siège du premier, la substantielle sapience. Et le bulletin, fût-il imprimé sur des feuilles de laurier, n’est pas fameux pour l’intellectuel le plus influent de Flandre. Surtout si l’on se souvient que le grand intellectuel scaldéen avait fait croire dans une carte blanche qu’Hannah Arendt liait sécurité sociale et frontières nationales, et que c’était complètement faux. Ou si l’on remarque qu’il aime le conservatisme d’Edmund Burke, obsédé par la stabilité des institutions et par la pureté des traditions nationales, alors que le projet politique de Bart De Wever constate l’impureté de la nation belge et prône l’instabilité institutionnelle du V voor Verandering. Ou si l’on lit, toujours dans Wilfried, que ce qui lui plaît chez les Romains, c’est leur manière d’  » observer, copier, coller, assimiler  » les cultures étrangères, soit précisément le contraire de ce qu’il apprécie chez Burke et de ce qui a fondé la N-VA.

On trouve là, dans ses trois références intellectuelles les plus récemment exposées, Arendt, Burke, Auguste, trois fautes d’une grossièreté qui vaudrait une cote d’exclusion à un étudiant trisseur de BA1 en sciences sociales. Or, il semble que ces gigantesques contradictions, portées si impudiquement par un apparent savant, ne le soient guère, apparentes, et que Bart De Wever soit bien davantage un influent qu’un intellectuel.

Apparemment, c’est dommage.

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