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« Bart De Wever n’a pas la victoire joyeuse »

Jean Faniel, chercheur au Crisp, a répondu ce matin aux questions des lecteurs du Vif.be et a analysé avec nous les résultats des élections communales et provinciales de ce week-end. Compte-rendu.

Jacques : Bart De Wever affirmait hier que la N-VA était devenue le premier parti de Flandre. Vrai ou faux ?

Jean Faniel : Au niveau des élections provinciales, c’est tout à fait vrai. En fait, c’est une petite augmentation par rapport au score de 2010 à la Chambre, mais c’est une forte poussée par rapport à 2006, puisque la N-VA était le petit partenaire du CD&V au sein du cartel.

Frank : Bart De Wever a promis de rester jusqu’à la fin de son mandat à Anvers. Va-t-il, selon vous, tenir parole ?

Je ne suis évidemment pas à sa place. En politique, une année, c’est un siècle. Beaucoup de choses peuvent se produire d’ici 2014, et les élections de 2014 elles-mêmes pourront influencer son parcours. Il lui sera toujours temps d’expliquer aux Anversois qu’il est appelé à un autre destin pour la Flandre. Mais peut-être aussi le paysage aura-t-il encore évolué d’ici là.

Mumu : Pensez-vous que Bart De Wever, bourgmestre pourrait influencer le fonctionnement du gouvernement fédéral ?

La plupart des autres partis ont souligné qu’il s’agit d’élections locales, ce qui est vrai. Mais les six partis du gouvernement fédéral, surtout les Flamands, devront agir avec le souffle de la N-VA, qui est tout de même le premier parti au Parlement fédéral.

Fina : Didier Reynders a appelé dimanche soir les partis flamands de la coalition fédérale à continuer à oeuvrer pour le gouvernement Di Rupo. Mais il semblait lui-même en douter. Peut-on s’attendre de la part du CD&V, de l’Open VLD et de la SPA à l’affirmation de nouvelles revendications à l’égard d’Elio Di Rupo au vu du succès de la N-VA dimanche ?

Partis sanctionnés dans leurs régions, ces trois formations pourraient avoir tendance à se faire discrètes. Mais il est plus probable que, au contraire, elles vont tenter d’encore plus imposer leurs vues au sein du gouvernement fédéral, ce que certaines déclarations de Didier Reynders laissent entrevoir. Or les négociations sur la confection du budget fédéral vont commencer dès à présent. Leur aboutissement permettra d’avoir de premières indications.

Karin : Que pensez-vous du discours de Bart De Wever qui même avant d’évoquer la ville d’Anvers parle de confédéralisme ?

C’est très cohérent avec la campagne électorale qu’il a menée, qui mettait l’accent sur sa figure à Anvers et pour toute la Flandre, mais en plaçant d’emblée les enjeux au niveau de l’avenir de la Flandre (et donc de la Belgique). Ce n’est pas vraiment étonnant, mais c’est incontestablement un élément marquant de son discours.

Rombo : Les partis francophones ont-ils raison de dire qu’il n’est pas question de parler de questions fédérales après les élections communales ou se voilent-ils la face ?

Ce sont des élections locales, c’est vrai. Les électeurs ont d’ailleurs beaucoup raisonné comme cela, particulièrement en Wallonie ou à Bruxelles.

En Flandre, par contre, enjeux locaux et résultat global s’entremêlent et doivent tous deux être pris en considération pour l’analyse des résultats.

Coco : Ces élections communales accroissent-elles encore la fracture entre le Nord et le Sud du pays : de plus en plus à droite au Nord, encore un peu plus à gauche au Sud avec même une percée de l’extrême gauche ?

Au niveau des élections provinciales, on voit effectivement que la Flandre pourra être gouvernée davantage à droite que durant les dernières mandatures, avec des majorités possibles (mais il faudra voir le résultat des négociations pour la formation des coalitions) entre la N-VA et le CD&V et, dans deux provinces, accompagnées de l’Open VLD. Jusqu’ici, le SP.A était présent dans toutes les provinces, il pourrait disparaître des cinq.

Cela dit, l’extrême droite s’écrase dans les trois régions du pays et la gauche radicale, incarnée principalement par le PTB, connaît de bons scores dans les trois régions aussi. Ainsi, le PTB décroche 4 sièges au conseil communal d’Anvers (contre 5 pour le VB mais seulement 2 pour l’Open VLD), 2 en région bruxelloise et plus d’une quinzaine en Wallonie, dont Liège, Charleroi et Mons.
L’analyse d’une Flandre plus à droite et d’une Wallonie plus à gauche est donc globalement correcte à première vue (et sous réserve d’analyse plus approfondie des résultats complets pour tout le pays), mais à nuancer pour l’extrême droite et la gauche radicale.

Charlotte : Bart De Wever n’hésite pas à montrer une image durcie de lui-même, qui fait presque peur aux francophones, pensez-vous que cela pourrait lui porter préjudice ou l’aider ?

Au niveau visuel et corporel, on remarque effectivement que beaucoup de vainqueurs locaux ont le sourire et que la défaite se marque souvent très vite sur les visages des perdants. Bart De Wever n’a par contre pas la victoire joyeuse au niveau de ses poses ou de son visage. Peut-être est-ce délibéré, peut-être est-ce simplement une question de personnalité. En 2010 non plus, je ne me souviens pas l’avoir vu beaucoup plus souriant. Est-ce voulu ou non ?

Jimbo : Du côté francophone, tous les partis classiques semblent avoir des raisons de se réjouir du résultat des élections. Est-ce fondé ? Si vous deviez néanmoins nommer un vainqueur et un vaincu qui désigneriez-vous ?

Il est vraiment difficile de désigner UN vainqueur ou UN perdant parmi les partis francophones principaux. Chacun a connu un sort différent dans les différentes provinces wallonnes : recul dans quelques-unes, progressions dans les autres et vice-versa.
En dehors de ces formations, le PTB est le vainqueur (il progresse partout ou, au moins, se maintient) et l’extrême droite est la grande vaincue, même si son électorat n’a pas disparu (par exemple, à Charleroi, les 6 listes d’extrême droite cumulent 10 % des voix).

Camille : Comment expliquez-vous que l’extrême droite ne perce pas à Bruxelles et en Wallonie ?

C’est avant tout parce qu’elle est très fragmentée. Pour reprendre l’exemple de Charleroi, avec 10,6 %, le CDH a 6 sièges. Avec 10 %, l’extrême droite n’en a que 2, car elle y est morcelée en 6 listes différentes et la plus forte d’entre elles n’obtient « que » 5,8 %.
Le potentiel électoral semble donc subsister, mais les tensions internes, récurrentes à l’extrême droite, sont plus fortes que jamais, ce qui explique aussi le dépôt d’un nombre moindre de listes.

Marie : On ne parle pas beaucoup des résultats des élections provinciales. L’enjeu est-il si anodin ?

Les élections provinciales ne se déroulent pas à Bruxelles, mais elles demeurent importantes en Flandre et en Wallonie.
D’abord parce que les provinces gèrent des budgets importants et parce qu’elles ont des compétences nombreuses (santé, enseignement, tourisme, culture…).

Ensuite parce que le résultat des provinciales offre une plus grande lisibilité sur le plan politique, car les listes qui s’y présentent sont des listes avec des étiquettes connues (PS, CDH, Ecolo et MR présents partout, RWF, FDF et PTB presque partout, etc. – pour la Wallonie) et que les candidats qui s’y présentent sont généralement moins connus.

Francine : Les résultats des élections provinciales reflètent-ils ceux des communales ?

En Flandre, les enseignements sont clairs : la N-VA est première dans trois provinces, deuxième dans les deux autres, derrière le CD&V.

En Wallonie par contre, comme dit il y a quelques minutes, les grands partis font des résultats en sens opposés selon les provinces. Par exemple, le PS recule partout, un peu, mais progresse de plus de 2 % dans le Hainaut, où il remporte à lui seul la majorité absolue des sièges (avec moins de 40 % des votes valablement exprimés). Ecolo est globalement en hausse, mais de manière limitée (+0,8 % en Wallonie) et en recul dans la province de Namur. Le CDH recule partout (-2 % à l’échelle wallonne), sauf dans le Luxembourg (+0,3 %). Le MR recule dans le Hainaut et le Luxembourg, mais augmente dans les trois autres provinces.
Enfin, cette élection permet de voir qu’à l’échelle wallonne, où ils sont presque partout présents, le PTB obtient 2,8 %, les FDF 2,4 % et le RWF 1,4 %.

Aux provinciales, les résultats sont collectés au niveau des cantons. Or un canton regroupe une ou plusieurs communes (jusque 8). La comparaison communales-provinciales n’est donc pas possible partout. Mais là où elle l’est, nous n’avons pas noté, au CRISP, de similitude entre les deux scrutins en 2006.

Paul : Au vu des alliances constituées contre le parti dominant à Ganshoren, Watermael-Boitsfort et les changements d’alliances à Bruxelles ou ailleurs, peut-on dire que Bruxelles est une terre de règlements de comptes ?

Pour pouvoir l’affirmer, il faudrait pouvoir établir un lien entre les situations des différentes communes, ce qui n’est pas évident. Même en 2006, les « représailles » annoncées par le PS contre l’attitude d’Ecolo à Schaerbeek n’ont pas été déterminantes. Les rapports de force liés à l’arithmétique électorale étaient plus déterminants.

Par ailleurs, ces exemples rappellent que seule une situation de majorité absolue permet d’être certain de pouvoir gouverner (éventuellement avec d’autres). Pour rappel, même au niveau fédéral, la N-VA a été mise dans l’opposition alors qu’elle est le groupe le plus fort à la Chambre…

Remy : À Bruxelles, le premier test en solo pour le FDF est-il positif ? A-t-il raté son ancrage en Wallonie ?

En Wallonie, les FDF déposaient 24 listes. Ils décrochent 3 sièges, ce qui est limité. Mais des candidats FDF obtiennent un score sur d’autres listes ou des listes de cartel. À Bruxelles, ils avaient 4 positions de bourgmestre, dont deux semblaient menacées (Watermael-Boitsfort et Schaerbeek). Finalement, ils en conservent 3 sur les 4, ce qu’ils peuvent considérer comme un bon résultat, un an à peine après la scission. Il faudra encore, pour compléter le tableau, observer la situation en périphérie bruxelloise.

Luc : Suite à la déclaration de la ministre de la Justice sur l’impunité en cas de non-vote, y a-t-il eu un plus grand taux d’absentéisme ?

Le taux d’abstention (votes blancs et nuls, ainsi que les absents) est en hausse, parfois assez prononcée. Les absences au vote sont en nette hausse, les bulletins blancs et nuls augmentent moins fort.

De là à en déduire que ce sont les déclarations de la ministre de la Justice (ou prêtées à celle-ci) qui ont disculpé les citoyens qui ne souhaitaient pas aller voter, il y a un pas qu’il est un peu tôt de franchir.

William : Que penser du score du CD&V? Il ne s’écroule pas, mais la NV-A lui pique certainement pas mal de voix. Défaite ou bon sauvetage de meubles ?

Analyser le score de ce parti est compliqué par le fait qu’il était le partenaire de cartel de la N-VA jusqu’en 2007 inclus. Visiblement, comme en 2010 aux fédérales, le CD&V et la N-VA font mieux, séparément et au total, que le cartel à lui seul lors du scrutin précédent. Par ailleurs, à l’échelle de la Flandre, si on regarde les résultats des élections provinciales, le CD&V a plutôt connu un petit rétablissement, repassant peut-être même au-dessus des 20 %, mais cela reste à confirmer (il reste quelques bureaux à dépouiller en province d’Anvers).

Grim : Apparemment, beaucoup de responsables politiques francophones espèrent qu’à l’épreuve de l’exercice du pouvoir, à Anvers et ailleurs, la N-VA va finir par perdre des plumes. Est-ce un scénario crédible ? Ou est-il démenti par le fait que jusqu’à présent dans sa conquête du pouvoir, la N-VA a commis finalement peu de fautes ?

La N-VA est membre du gouvernement flamand depuis juillet 2009. Ce gouvernement connaît des tensions, parfois fortes, tout comme les autres exécutifs du pays. Mais la N-VA y est un « petit » parti. Ici, elle va être en position de premier parti dans bon nombre de communes et dans trois des cinq provinces wallonnes. Elle pourra, et devra, donc davantage montrer ses forces, et peut-être aussi ses faiblesses. De ce point de vue, l’avenir est ouvert. Mais il est clair que la N-VA compte bien utiliser sa victoire pour porter un projet politique. C’est probablement sur celui-ci que, ultérieurement, les électeurs devront se prononcer. Terminons par souligner que la N-VA n’est pas au gouvernement fédéral et qu’elle pourra donc continuer à adopter une posture de parti d’opposition dans les discussions politiques générales…

Le Vif.be

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