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Bart De Wever : historien et nationaliste, un cocktail détonant

Il est accro aux leçons du passé, il a tout sauf la mémoire courte, le temps est à ses yeux une notion toute relative. Le patron de la N-VA a gardé bien des manies d’historien. Sa garde rapprochée en est même truffée. Un os pour les francophones : De Wever rêve d’un rendez-vous avec l’Histoire.

Il exaspère par sa façon de se hâter lentement, alors qu’un Etat tremble sur ses bases. Il offusque par son exigence répétée de coucher sur le papier toute amorce d’accord. Il désarçonne et inquiète par sa posture qui semble le projeter au-delà du temps présent, vers des horizons incertains. Et comme si cela ne suffisait pas, il suscite l’indignation par sa façon de revisiter la gestion du douloureux passé de la collaboration.

Il n’y a pas de sot métier pour s’engager en politique. Mais certaines professions peuvent s’y révéler d’une redoutable efficacité. Les francophones qui se frottent depuis plus de trois mois à Bart De Wever le découvrent à leurs dépens : le tout-puissant patron de la N-VA, premier parti de Flandre et du pays, est aussi historien de formation. Il connaît ses classiques, en use et en abuse. Et ce profil peut donner du fil à retordre, lorsqu’il se met au service d’une cause nationaliste.

L’intérêt pour le passé colle à la peau de De Wever. Les aléas de la vie y sont pour beaucoup. Un grand-père emprisonné pour faits de collaboration durant la dernière guerre, un père qui convertit ce traumatisme familial en engagement fervent au sein du mouvement flamingant. Le décor de l’enfance et de la jeunesse de Bart est planté. Et sa voie assez rapidement tracée. Bart De Wever sera historien et nationaliste flamand. Le jeune assistant universitaire à la KUL tourne certes le dos au milieu académique et interrompt sa thèse de doctorat sur le nationalisme flamand après la dernière guerre pour s’engager en politique et s’investir dans la N-VA.

Mais le mélange des genres reste entier. Jusque dans sa garde rapprochée. L’Histoire avec un grand H règne en maître au sein du cercle des intimes qui épaulent De Wever à la tête de la N-VA. Liesbeth Homans, son bras droit, députée régionale et sénatrice ; Piet De Zaeger, directeur politique et rédac’ chef du périodique de la N-VA ; Bart Van Camp, coordinateur chargé de veiller à la ligne programmatique. Tous historiens, ex-compagnons de route de Bart De Wever sur le campus de la KUL, sauf Van Camp issu de l’université de Gand. Eric Defoort, historien retraité et cofondateur de la N-VA, considéré comme une éminence grise du président, complète le casting. « Il est logique qu’on y retrouve d’anciens étudiants que Bart De Wever a connus durant son parcours universitaire », explique cet autre historien qu’est Bruno De Wever, frère aîné de Bart et spécialiste reconnu du nationalisme flamand à l’université de Gand. « Autre explication, plus complexe : des partis nationalistes attirent davantage de gens intéressés par le passé. » Le nationalisme flamand y a déjà recruté des hommes forts : tel Hendrik Elias, brillant historien flamand, devenu dirigeant de la VNV durant la dernière guerre, ce qui lui vaudra une condamnation à mort pour collaboration.

La politique réussit plutôt bien aux historiens. Dans le sud du pays, le CV de plusieurs (ex-) pointures de la scène francophone fait foi : le PS Philippe Moureaux, l’Ecolo Marcel Cheron, ou le MR Hervé Hasquin. « Les historiens sont généralement bien outillés pour faire de la politique », estime Bruno De Wever. Esprit critique, mise en perspective, priorité accordée aux faits, rejet des extrémismes. Nombreux sont ceux qui refusent de reconnaître ces qualités à Bart De Wever, pour un peu considéré comme un historien de bas étage.

Bruno De Wever s’interdit de juger son frangin. Hervé Hasquin, ancien ministre et historien de premier plan de l’ULB, s’en charge. Avec nuance. « Attention, Bart De Wever est très cultivé et ne dit pas que des conneries. » Même sa dernière audace historique sur la collaboration n’incite pas le secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique à revoir son jugement : « S’il n’y a pas eu volonté de cacher la collaboration en Wallonie, il n’y a pas eu non plus volonté de la mettre en exergue. Mais reprocher aux Wallons de ne pas avoir travaillé sur cette question est une hérésie. »

Jean Jaurès, le socialiste qui inspire la N-VA

L’historien, c’est aussi une tournure d’esprit. Qui imprime nettement sa griffe à la tête de la N-VA. Eric Defoort confirme au nom de ses pairs, De Wever en tête : « Nous envisageons la nation flamande comme une fonction, et non comme une finalité. A l’inverse de ceux qui s’accrochent à la Belgique. On peut y voir la touche de l’historien : cette conscience aiguë que la roue de l’Histoire tourne et ne s’arrête jamais. » Et ce proche de De Wever ne résiste pas au plaisir de fouiller dans le passé pour exhumer la grande figure historique du… socialisme français, à laquelle les nationalistes flamands empruntent leur profession de foi : « Jean Jaurès a eu cette phrase merveilleuse :  » Il faut partir du réel pour aller vers l’idéal.  » Voilà notre référence à la N-VA ! »

II y aurait de la déformation professionnelle dans la manière dont De Wever se comporte face aux négociateurs francophones. Les négociations s’enlisent? Le patron de la N-VA reste comme imperméable à l’impatience ambiante. « Sa force, c’est sa capacité de relativiser les choses. Pour un historien comme lui, que représentent trois mois d’impasse politique sur une ligne du temps ? » ricane Eric Defoort. Sa volonté d’exiger des engagements noir sur blanc passe-t-elle pour horriblement vexante ? Ce fin passionné de la Rome antique qu’est De Wever connaît sur le bout du doigt le proverbe latin « Verba volant, scripta manent » (Les paroles s’envolent, les écrits restent).

« On retrouve dans son attitude le profond scepticisme, le sens critique propre au Mouvement flamand », décode Pol Van Den Driessche, ex-sénateur CD&V et lui aussi historien. Pas de chance pour les francophones : Bart De Wever a tout sauf évidemment la mémoire courte. Il ne connaît que trop bien les erreurs passées du Mouvement flamand : tel ce naufrage du Pacte d’Egmont en 1977. Il n’est pas prêt à les répéter. « On le sent obnubilé par l’histoire du Mouvement flamand », témoigne cet autre historien qu’est l’Ecolo Marcel Cheron.

Et pour corser le tout : cet homme que le passé subjugue n’en serait même pas prisonnier. « Bart De Wever s’en inspire, sans y prendre exemple. Il se sent responsable de son peuple, de sa nation. Sa propre personne importe peu. Voilà pourquoi le poste de Premier ministre belge ne l’intéresse pas », relève Eric Defoort. L’ambition inavouée de l’homme providentiel de la N-VA serait bien plus d’avoir rendez-vous avec l’Histoire. « Il espère devenir une figure marquante du combat flamand, dont on retiendra le nom dans dix ou vingt ans. A l’instar d’Hugo Schiltz qu’il rêve d’égaler », pense Pol Van Den Driessche. Il pourrait prendre le temps qu’il faut pour y parvenir. « Sa formation d’historien lui permet de s’inscrire dans une Histoire qui n’a pas commencé avec lui et qui ne se terminera pas avec lui », abonde Defoort. Tant pis pour les francophones, qui risquent de patienter. « J’espère que De Wever, en historien qu’il est, n’oubliera pas qu’une fois arrivé au sommet la tendance s’inverse », sourit Marcel Cheron. Un historien en politique ? « Le meilleur peut côtoyer le pire. »

Pierre Havaux

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