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Banques : passeport pour l’impunité

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

La Banque nationale organise-t-elle l’impunité des banquiers, même confrontés aux ennuis judiciaires ? Ecolo le soupçonne. Et épingle la passivité du ministre des Finances, l’ex-avocat d’affaires Koen Geens (CD&V).

La saga Fortis n’a pas dit son dernier mot. Le naufrage de l’institution, en 2008, pourrait mener l’ancienne fine fleur de la banque à devoir répondre de ses actes en justice. Tous n’ont entretemps pas pris leurs distances avec le monde de la finance. Deux d’entre eux y opèrent encore en haut lieu. Malgré leur inculpation, et la menace d’un renvoi en correctionnelle que demande le parquet de Bruxelles et que la chambre du conseil devrait trancher en septembre.

Filip Dierckx et Herman Verwilst sont déclarés toujours bons pour le service. Le premier reste numéro deux de BNP Paribas Fortis et président de Febelfin. Le second se maintient à la présidence du conseil d’administration d’Optima Bank. Ni l’un ni l’autre n’ont perdu la confiance de leur employeur. Ni celle de la Banque nationale qui leur a confirmé leur brevet de compétence et d’honorabilité.

Tant de mansuétude reste une énigme pour le député fédéral Ecolo Georges Gilkinet. « La Banque nationale ne semble pas s’inquiéter de la situation ni des conséquences sur les établissements où les deux personnes citées restent des dirigeants. » Ce n’est pourtant pas faute, dans le chef du parlementaire, de chercher à comprendre. Ni d’avoir relancé le ministre des Finances, Koen Geens (CD&V). Face au député vert un peu trop insistant, Geens reste muré dans ses vérités : le rappel théorique de la règle du « fit and proper », et le sacro-saint respect de la présomption d’innocence. Le ministre insiste : ce principe exige « une certaine retenue ». Il permet aussi d’éluder le fond de la question.

C’est le langage qui plaît à Febelfin, la puissante fédération du secteur bancaire, très chatouilleuse sur les droits de la défense et la protection de la vie privée. L’élu écolo du peuple avance, lui, d’autres priorités : « Le sentiment de l’injustice représentée par l’impunité de ceux qui ont commis des erreurs, volontaires ou non. La loi bancaire de 1993 va beaucoup plus loin que l’argument de la présomption d’innocence. Elle exige des dirigeants d’institutions financières, plus que d’un autre citoyen, qu’ils soient exemplaires dans l’exercice de leurs fonctions. »

La langue de bois connaît ses limites. En juin dernier, Alfred Bouckaert jette l’éponge. Rattrapé par un vieux dossier de fraude fiscale qui le menace d’un procès en correctionnelle, l’ex-dirigeant du Crédit Lyonnais Belgium renonce à présider le conseil d’administration de Belfius, la nouvelle banque publique. Une tuile pour le gouvernement fédéral. Et un bel embarras : les anciens ennuis judiciaires du banquier n’étaient pas inconnus de l’équipe gouvernementale qui l’avait néanmoins nommé, en novembre 2011. Au regard de la loi, Alfred Bouckaert n’était donc pas si « fit and proper » que ça. Allô, la Banque nationale ?

Pour le coup, difficile pour Koen Geens de botter en touche : « S’agissant de faits datant de 23 ans, cette affaire a été supposée prescrite par Monsieur Bouckaert. Vu le parcours professionnel impressionnant de ce dernier, ces éléments n’ont pas été jugés comme constituant un obstacle à sa nomination. » C’est comme si, éblouie par un tel CV, la Banque nationale n’avait pas vu la petite tache qui y figurait. Et en avait oublié cet autre réflexe que commande sa mission d’évaluation: celui de s’informer auprès des autorités judiciaires d’enquêtes en cours et d’affaires toujours pendantes.

Mauvaise note décernée à l’évaluateur. Qui se retrouve à son tour évalué. Sévèrement. « Tout le monde est  »fit and proper  » aux yeux de la Banque nationale, y compris des personnes ayant dirigé de grandes institutions bancaires belges qui sont allées dans le mur », commente Georges Gilkinet. L’élu en retire la désagréable impression « d’une proximité entre le contrôleur et le contrôlé ».
Yves Delacollette, ex-remuant patron de la Deutsche Bank Belgique reconverti dans la consultance, n’y va pas par quatre chemins : « Il y a deux poids deux mesures, selon que l’on est un grand ou un petit dans le monde de la banque. D’un côté, la CBFA (NDLR : Commission bancaire, financière et des assurances, devenue FSMA) demandait au patron de Citibank de renoncer à son mandat de CEO, au motif qu’il serait peut-être cité en justice dans un dossier de commercialisation de produits Lehman Brothers. Et de l’autre, Filip Dierckx, bien qu’inculpé, peut rester en fonction à la direction de BNP Paribas Fortis et à la présidence de Febelfin. C’est inacceptable. »

Favoritisme, complaisance. Impossible pour la Banque nationale de rester insensible à la critique, sous peine de maintenir la fâcheuse impression de procéder à des évaluations-bidon. Une nouvelle circulaire, signée du gouverneur Luc Coene en date du 17 juin, est censée recadrer la politique « fit and proper » de l’institution. Elle annonce une vigilance accrue dès qu’une procédure judiciaire est en jeu et pourrait entacher l’honorabilité d’un dirigeant.

Le dossier et les réactions dans Le Vif/L’Express de cette semaine.

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