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Bande dessinée : encore belge, la franco-belge ?

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

La bande dessinée dite franco-belge et essentiellement jeunesse reste un pilier du secteur. Mais elle n’est plus ce qu’elle était, tant dans ses structures que dans ses racines.

Il suffit d’être l’un des 200 000 visiteurs qui se pressent chaque année fin janvier dans les bulles surchauffées du festival d’Angoulême pour s’en convaincre : la bande dessinée familiale, jeunesse et franco-belge a encore de beaux jours devant elle. Et les stars populaires d’aujourd’hui sont encore souvent celles d’hier : les Lucky Luke, Astérix, Boule et Bill, Petit Spirou, Cédric, Titeuf et autres Schtroumpfs restent des locomotives. Des séries de BD dites franco-belges par leurs origines géographiques et stylistiques, « à gags », principalement destinées aux enfants (et certes aussi aux nostalgiques), et qui ont pendant des générations donnés le « la » à toute l’industrie, elle aussi basée pour l’essentiel en Belgique, via les éditions Dupuis et Le Lombard.

Sauf qu’en 2016, le monde a bien changé. L’ACBD (association des critiques et journalistes de bande dessinée) et son président Gilles Ratier ont publié leur rapport qui fait loi sur les chiffres de l’année dernière : 5 255 albums ont été publiés en 2015, dont 4 000 strictes nouveautés, et parmi elles, 1 530 BD dites franco-belges, pour 1 585 séries asiatiques (et 420 comics américains, en grosse augmentation). L’ensemble du secteur rétracte sa production de près de 3 % et, surtout, les tirages sont en baisse constante : ils ne sont plus qu’une cinquantaine à afficher des tirages à plus de 100 000 exemplaires, et parmi eux, beaucoup de mangas et de comics, de Naruto à Walking Dead.

Les structures elles aussi ont bien changé : les deux frères ennemis belges et stars font depuis des années partie du même groupe français, Média-Participations. Et si tant Le Lombard que Dupuis ont gardé une partie de leur rédaction à Bruxelles et Marcinelle, où se fabrique encore le magazine Spirou, les business plans et l’éditorial visent désormais clairement la France, de la revue d’actu BD Groom au dernier carton de Dupuis, Roger et ses humains, « écrit » par Cyprien, star des youtubeurs français… et album indigent pour beaucoup de « traditionnalistes ». Quant aux références stylistiques des jeunes auteurs, elles sont définitivement multiculturelles, nourries certes des albums de Franquin, Peyo ou Hergé, mais aussi (surtout ?) d’animation, de mangas, de comics…

Que reste-t-il alors de belge dans l’édition franco-belge ? A coup sûr, beaucoup d’écoles et d’auteurs, mais surtout un esprit, marqué par la fantaisie et un réel plaisir de s’adresser aux plus jeunes, qui n’appartient qu’à nous. Et qui a désormais d’autres formes.

L’esprit, plus que la lettre

Cette mutation et ce renouveau, enthousiasmants, sont d’évidence en marche chez Dupuis. Le Petit Spirou, dans le genre, reste une référence, vingt-cinq ans après sa création. Tome & Janry, ses auteurs, restent des stars du marché, et les représentants d’une manière de faire, devenue rare, alliant « école de Marcinelle » et esprit taquin. Car derrière la star et quelques respectables dinosaures, comme Les Tuniques bleues ou Yoko Tsuno, s’affirment des séries pour jeune public, dont l’esprit et le responsable éditorial sont belges, mais les racines multiples.

La série Les Nombrils cartonne, elle est d’origine canadienne, nourrie de séries TV ; Zombillenium et Le Royaume sont de grandes réussites, leurs auteurs, Arthur De Pins et Benoît Feroumont, viennent de l’animation et vont y retourner ; la dernière grosse sortie de Dupuis se nomme Harmony, du Français Mathieu Reynès, et se veut une saga fantastique baignant dans le virtuel, le jeu vidéo, le graphisme 3D… Quant à Louca de Bruno Dequier (lire l’encadré ci-contre), elle mélange tout ça et est, à elle seule, un parfait résumé de ce que devient désormais la « bonne » BD franco-belge pour la jeunesse : fantaisiste et sincère comme l’aurait appréciée Franquin, mais multiculturelle comme il n’aurait pu ni l’imaginer, ni la dessiner.

Bruno Dequier, « le plaisir avant tout »

Son Louca en est à son quatrième album chez Dupuis. L’histoire très drôle d’un gamin maladroit et piètre footballeur, mais hanté par le fantôme d’un beau gosse, roi du gazon. Un premier projet pour un jeune auteur jusque-là inconnu en BD, et accepté d’emblée par Dupuis en 2009, malgré des références graphiques qui n’ont rien de carolo. Le bordelais Bruno Dequier le reconnaît lui-même : « Je n’ai pas une très grande culture BD, j’ai surtout été nourri par le Club Dorothée et, ici, s’il y a une référence, on pense surtout à Olive et Tom, la série animée japonaise. » Mieux : ce débutant en BD est en réalité un cador de l’animation ; Bruno Dequier a été le directeur de l’animation sur Moi, moche et méchant et Les Minions et travaille pour les plus grands studios américains. Son « vrai » travail est là. Et pourtant, rien de plus logique que de le retrouver chez Dupuis malgré ses références dans l’animation et le manga, et pourtant dans la droite lignée de ses illustres prédécesseurs : « la bande dessinée optimiste, sérieuse sans se prendre au sérieux, et qui prend plaisir à s’adresser à tous », il adore ça.

« Je me régale et je gagne ma vie avec l’animation, mais j’y suis au service des studios, ce n’est pas mon histoire », nous résumait dernièrement Bruno Dequier. « La BD, c’est avant tout un plaisir. J’aime rigoler, faire rigoler, Louca c’est naturellement ce que j’aime faire, je n’ai jamais pensé BD jeunesse ou public cible. C’est peut-être ça qui nous relie, moi et d’autres, aux grands anciens, même si on amène désormais tous notre culture, d’autres problématiques, d’autres manières de faire. »

Par Olivier Van Vaerenbergh

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