© Frédéric Pauwels/Huma

Bals de bourgmestre : c’est leur tournée

Les bals sont un véritable rituel dans l’agenda des bourgmestres. En cette année électorale, ils prennent une saveur toute particulière. Et pour certains élus, ce sera peut-être le dernier. Reportage.

Lorsqu’on l’appelle une première fois pour lui demander un rendez-vous, le bourgmestre d’Evere (petite commune du nord-est de Bruxelles) souligne immédiatement que, lui, son bal, il ne l’organise pas en période suspecte. « Le mois de mars, c’est bien loin du scrutin communal », ironise Rudi Vervoort (PS). En effet, il a dégainé le premier. Sa surprise-partie ouvre la saison des bals à Bruxelles. Elle n’a rien à voir avec la soirée scouts ou celle d’une association de parents. Certes, on y vient en famille, toutes générations confondues, en absorbant davantage de soda que d’alcool (vraiment ?). Pas davantage de buvettes : tôt ou tard, des piliers de bar finissaient par imprimer au bal une tournure un peu trop éthylique. On boit assis (sur des chaises en plastique, tout de même), et uniquement servis par un garçon. Et bien sûr, il y a la guest-star. Sur le podium, cette année, les Gibson Brothers égrènent leur plus grand succès, Cuba. Avant eux, Boney M, Dave, Patrick Juvet, Michel Delpech – pour ne citer que les derniers artistes -, désormais habitués des bastrin-gues.

Ce sont les têtes d’affiche qui, ces dernières années, ont fait le succès des bals communaux. Ni grandes stars ni chevaux sur le retour. Dans ces surboums, on préfère celles issues des années 1970. « Les chanteurs à la mode sont inaccessibles pour les communes. Alors, on choisit permi les vieilles gloires pour avoir un nom à l’affiche », commente Anne Verheyen, secrétaire du bourgmestre d’Evere. Une étape compliquée car même si beaucoup d’artistes des années 1970-1980 ne font plus de salles payantes, il faut éviter les vedettes qui rechignent à boire l’apéritif avec le collège communal et à dédicacer leurs photos à la fin du concert. La vraie star, l' »ambianceur » à Evere, c’est pourtant le disc-jockey. Dans un espace plein à repousser les murs, il assure sept heures de guinche, sans temps mort. Sans s’économiser. Le même depuis une dizaine d’années, qui vient avec sa sono et ses lumières.

Ce soir-là, tout est réglé comme du papier à musique. Une heure avant le début des festivités, vers 20 heures, Rudi Vervoort arrive. Dans ce gymnase où se tient la fête, coincé entre l’entrée « officielle » et le vestiaire de fortune, l’édile en costume prend sa tâche très à c£ur, accueille les convives, la main tendue à tout le monde, ou distribue les bises. Jusqu’à 1 200 personnes : la formule plaît visiblement aux électeurs. « Quand on fait de la politique, il faut aimer les gens. Et quand on aime les gens, il faut être avec eux. » Façon de dire que lui, il n’arrive pas, solennel, une fois le public installé.

Pas de discours politique. « Ce n’est pas un meeting ! » C’est une vraie fête collective. « Un bal de bourgmestre, ce n’est plus la fête où l’on vient par obligation faire acte de présence et plaisir au maïeur », souligne Anne Verheyen. Noyés dans la masse, les compagnons en tout cas font acte de présence. Chez Rudi, il y a le Tout-PS bruxellois : Freddy Thielemans, Philippe Close, Emir Kir, Françoise Dupuis, d’autres encore, sont venus défiler ici. Car, le bal est, à l’approche des communales, ce moment unique où tout ce qui compte vient se montrer. Il ne faut pas s’attendre à les voir danser (le maître de cérémonie, fan de heavy metal, non plus d’ailleurs) mais certains vous écouteront bien volontiers… Pas tous : le gymnase dispose d’un étroit « carré VIP », à peine séparé du reste des convives par deux officiers de sécurité – il y en a partout, qui ont reçu des consignes de discrétion. Il faut montrer patte blanche pour se joindre aux personnalités, et officiellement les rivaux politiques sont souvent invités. A Evere, on n’en voit pas (y en a-t-il ?). « Il y a un code de bonne conduite les uns vis-à-vis des autres : je viens à ton bal et toi, tu viens au mien », indique le débordant Guy Vanhengel (Open VLD), ministre bruxellois des Finances, qui fait équipe avec Vervoort, sur une liste où figurent des candidats PS, Open VLD et SP.A.

En campagne, sans le dire

Un mois plus tard, en banlieue liégeoise, dans la salle de l’Union, l’ambiance est tout autre : plus villageoise et l’air de musette. En quelques heures, il faut faire danser toutes les générations, de 7 à 77 ans. Saint-Georges-sur-Meuse, 6 500 habitants, ville dont Francis Dejon (CDH, formation Ensemble) a conquis l’écharpe en 2000. La Bande à Lolo et son orchestre anime le bal. Pour cette onzième édition, le nombre de convives gravite autour de 400, et tout le collège communal s’est déplacé. Souriant, Francis Dejon roule comme une boule de flipper entre des groupes déchaînés. Tournée des tablées pour saluer les concitoyens. Mais à 2 h 30, tout s’arrête (un règlement fixe la fin des soirées à cette heure-là), même le bal du bourgmestre.

Partout en Belgique, le bal du bourgmestre a la cote, et plus encore en Flandre, où on est très friand de ce concept. « Les gens sont tellement contents de réentendre les tubes de leurs 18 ans », constate la secrétaire d’Evere. Mais la pratique, elle, est controversée. Sa vocation, très précisément : s’agit-il d’une bringue organisée par la commune elle-même (mais est-ce bien son rôle ?) ou d’une opération de communication du maïeur ?
Qu’est-ce qui régit l’organisation des bals maïoraux ? Les bourgmestres (et échevins) ne savent pas tout à fait sur quel pied danser. Paul Furlan (PS), ministre wallon des Pouvoirs locaux, n’y voit pas grand-chose à redire. Pour lui, la ligne fixée par le Code wallon de la démocratie locale et de la décentralisation (rédigé par Philippe Courard en 2005) est « très claire ». « Il y a deux règles : soit il s’agit d’une manifestation communale, et le financement provient de la commune autant que les recettes lui reviennent. Soit il s’agit d’une fête privée, d’ordre personnel, que ce soit un bal ou un goûter. Par conséquent, le maïeur ne peut bénéficier d’aucun coup de pouce de la commune, ni en nature ni en espèces… sauf si le conseil communal devait lui octroyer un subside. Dans ce cas, le bourgmestre utilise les recettes de sa soirée comme bon lui semble : il peut en rétrocéder la totalité, voire une grande partie, à des associations locales, mais ce n’est pas une obligation. »

Toutefois, le code wallon ne garantit pas une transparence absolue. A Saint-Georges-sur-Meuse, Francis Dejon s’est contenté d’une association de fait, gérée directement par lui et l’un de ses échevins (de la majorité, évidemment). Le compte bancaire, libellé « Bal du bourgmestre », est à son nom et à celui de son échevin. « La commune n’intervient pas du tout », précise-t-il. Il réinjecte dans le vase clos de la cité les gains du bal, habituellement au profit de clubs sportifs. « Les associations qui bénéficient des sommes engrangées lors de cette soirée apportent leur concours, en servant au bar, par exemple. »

Il n’existe aucune obligation pour que les comptes soient vérifiés par qui que ce soit. Néanmoins, la plupart des bourgmestres ont créé une structure de contrôle pour lever toute opacité. « Un comité d’organisation est mis en place et la comptabilité est contrôlée par la cellule de communication de ma formation politique Ensemble », poursuit Francis Dejon. L’opposition n’en fait donc pas partie.
A Bruxelles, la Région n’a aucun pouvoir de tutelle sur ces soirées privées. Dans chaque commune, elles font l’objet de délibérations au collège des bourgmestres et échevins. « C’est ce dernier qui fixe les modalités concernant la mise à disposition de matériel, de personnel ou de locaux communaux », explique Charles Picqué, ministre bruxellois des Pouvoirs locaux. A Uccle, Molenbeek, Saint-Josse et Ixelles, il n’y a pas de bal. A Jette, l’ancien bal maïoral a été intégré dans le bal des Sports et est organisé par l’administration… et Hervé Doyen (CDH) en fait la pub à la radio. La redistribution des bénéfices est assurée vers le milieu sportif. A Evere, Rudi Vervoort a opté également pour une association de fait, et ouvert un compte spécial pour gérer le bal. Ici aussi, il n’existe aucun contrôle sur ce compte. « A aucun moment, le personnel communal ne participe sur son temps de travail. Il le fait sur une base volontaire, en dehors de leurs journées et il est rétribué pour cela », détaille la secrétaire.

D’autres communes ont créé une ASBL, gérée selon les cas par le bourgmestre (faisant ainsi cavalier seul), par tous les partis du conseil communal, ou par le receveur et/ou le secrétaire communal. Dans tous les cas, les bénéfices servent bien aux bonnes £uvres du bourgmestre. Enfin, dans d’autres communes (mais c’est plus exceptionnel) a lieu le « bal de la commune », et non plus du bourgmestre, comme à Flémalle ou à Hannut.
Electoralement, c’est rentable, non ? En tout cas, « ils seront nombreux entre juin et septembre », glisse Paul Furlan, par ailleurs bourgmestre de Thuin et qui, tous les six ans, « organise son bal en novembre, après l’élection ». « Bien sûr que c’est payant électoralement, comme tout ce qui est médiatique, et quand bien même il ne s’agirait que d’un « bal de la commune », l’image du maïeur en profite indirectement », poursuit Paul Furlan. Mais sont-ils une efficace machine à lever des fonds ? Pas vraiment, semble-t-il. La prestation d’une heure pour un artiste comme Juvet ou Vilard (transport, hôtel et dîner compris) est vendue de 7 000 à 13 000 euros. Il faut également compter les frais liés à la régie, aux lumières, au DJ : presque autant que le cachet de l’artiste passé de mode. Une addition qui s’avère, finalement, plutôt salée. « On rentre rarement dans nos frais. Si on dégage des recettes, elles servent à organiser le bal suivant. Le but n’est pas de faire des bénéfices et d’en reverser une partie à une ASBL. On préfère que les places de concert soient accessibles à tous et que les gens passent un agréable moment », répond Anne Verheyen. « Si on a bien travaillé, on lève entre 1 500 et 2 000 euros », déclare pour sa part le bourgmestre de Saint-Georges. Plus de frais que de recettes, donc. La marge frôlerait le 10 à 15 %…

SORAYA GHALI

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