Bart Somers © Belga

Avec une zone de police unie, Bruxelles gagnerait 500 hommes « supplémentaires »

Walter Pauli
Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Jusqu’à aujourd’hui, aucun jeune Malinois n’est parti en Syrie pour rejoindre l’État islamique. Bart Somers (Open VLD), bourgmestre de la ville depuis 2001, réussit à concilier ses valeurs libérales avec la lutte contre le terrorisme et la criminalité dans les rues. Il ne craint ni les tabous de gauche, ni ceux de droite.

Les libéraux européens se sont réunis à Budapest ce week-end. Ils avaient choisi cette ville pour dénoncer la politique du premier ministre hongrois Viktor Orban. « La faillite morale de l’Europe est causée par ce type de politiques » explique Bart Somers. Cependant, l’actualité n’est plus dominée par la crise des réfugiés, mais par les attentats de Paris et les retombées sur Bruxelles. Aussi, le débat à Budapest a-t-il surtout porté sur la réaction de l’Europe face au terrorisme de l’EI. Par le passé, le Comité européen des Régions a demandé au bourgmestre de Malines de rédiger une note sur le rôle que les administrations locales pourraient jouer dans la lutte contre la radicalisation. Il semble que sa réputation de bourgmestre exemplaire dépasse les frontières.

Qu’avons-nous manqué? Pourquoi avons-nous tant de mal à comprendre l’EI?

Bart Somers : Nous devons nous débarrasser de l’illusion dont nous nous nourrissons depuis la chute du Mur de Berlin : tout le monde ne se sent pas attiré par les valeurs de la Révolution française, les Lumières et notre démocratie. Au contraire, certains musulmans se sont mis à penser de façon totalitaire. Nous avons été un peu naïfs aussi. Au début, on regardait Sharia4Belgium comme un groupe de mauvais comédiens. Ils étaient provocateurs et de mauvais goût, mais personne ne les prenait au sérieux. La gauche classique expliquait leur comportement par l’exclusion et la pauvreté, la droite voyait dans leurs actes une raison de plus d’investir en « law and order ». Nous avons sous-estimé la dimension totalitaire de cette nouvelle pensée. Nous ne pensions pas que des personnes qui habitent ici puissent rejetter nos valeurs aussi catégoriquement.

Pourquoi ces jeunes se retournent-ils contre notre société?

Il y a toujours plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte. À présent, l’EI s’alimente de la misère des autres. Les gens qui prétendent que les terroristes sont toujours pauvres et frustrés ne connaissent pas leur histoire. Comparez ça à la lutte socialiste : elle a été amorcée par les enfants de la bourgeoisie. Le mouvement flamand non plus n’a pas été lancé par des petits paysans flamands illettrés, mais par des professeurs. Ces derniers se sont rendu compte de l’exclusion sociale, et ont essayé de mener une lutte politique. Il n’y a pas de mal à ça : c’est un enrichissement de la démocratie.

Parfois, cet engagement politique dégénère en extrémisme violent. Au Cambodge, la lutte socialiste a abouti à la dictature effroyable de Pol Pot. Les leaders avaient tous fréquenté des universités françaises. Et dans les années trente et quarante, le mouvement flamand aussi a embrassé une pensée totalitaire. On voit le même phénomène auprès de l’EI. Je trouverais fantastique que les musulmans mènent une lutte politique contre l’exclusion sociale. Seulement, ce n’est pas le cas. L’EI opte pour le terrorisme, non envers la pauvreté, mais envers toute la société.

Comme la gauche, vous établissez un rapport direct entre l’exclusion des musulmans et le terrorisme islamique.

C’est trop simpliste. Il n’y a aucune excuse à la criminalité. J’ai piqué ça à Tony Blair et j’aime le répéter. Il n’y a aucune, mais alors aucune excuse à la criminalité et au terrorisme. Quelles que soient les circonstances.

Les jeunes qui partent en Syrie et qui reviennent ont-ils encore une place dans notre société? Le premier ministre néerlandais a déclaré qu’il espérait que les djihadistes périssent à l’étranger.

Nous devons tout faire pour éviter que ces jeunes partent. Heureusement, à Malines, personne n’a encore disparu là-bas. Cependant, ces jeunes partis en Syrie restent nos enfants. Ils ne sont pas étrangers à la société : ils sont nés et ils ont été élevés ici. Mais entre-temps, on a atteint une limite. Ceux qui partent aujourd’hui, après avoir vu les actes effroyables à Paris, doivent être incarcérés à leur retour. C’est une bonne décision du gouvernement. Comparez-la avec un père qui dit : c’est mon fils, mais il n’entre plus chez moi. Imaginez que dans les années quarante de jeunes Flamands aient rejoint le Front de l’Est après avoir vu un film sur les chambres à gaz. Personne n’aurait éprouvé d’empathie pour eux.

Lorsque les combattants du Front de l’Est sont partis, la Nuit du Cristal avait déjà eu lieu.

Tous ces hommes ne réalisaient pas les conséquences du nazisme. C’est du moins ce qu’on a toujours dit au sein du Mouvement flamand. Ils savaient que la lutte était dure et impitoyable et que l’ennemi était tout aussi impitoyable. Mais ils ne savaient rien des camps de la mort.

Y a-t-il une place dans notre société pour les musulmans qui rejettent les valeurs des Lumières sans être violents ?

Ces gens ont leur place, oui. Toutes les religions ont des partisans orthodoxes. Mais la place que l’on accorde à ces gens ne peut pas s’agrandir au point que nous devions revenir sur nos valeurs. Pensez à l’égalité homme femme. C’est une discussion difficile, mais elle est fondamentale. Nous ne pouvons pas céder en matière de l’émancipation des citoyens. Nous devons intervenir fermement et résolument à la fois contre l’exclusion et le comportement sexiste à l’égard des femmes. Les écoles doivent également accorder de l’importance à ce sujet : nous devons convaincre ces gens de l’importance de l’égalité homme femme. Ces valeurs ont la force de finalement nous rapprocher. Malheureusement, je pense que ces valeurs occidentales sont parfois utilisées comme arme contre ceux qui pensent autrement. Elles sont récitées comme mantra pour séparer les « purs » des « impurs ». Si on peut les forcer à reprendre ces valeurs en apparence, on ne les intériorisera pas de cette façon. C’est un processus continuel qui ne doit pas nous crisper. (narquois). Heureusement, nous savons que l’égalité homme femme est de 100% dans tous les ménages flamands.

Vous êtes de droite et de gauche sans vergogne: est-ce là la clé de votre succès?

Le véritable secret de notre recette, c’est que Malines n’a jamais mené de politique des groupes cibles. Toutes les règles et les interdictions s’appliquaient toujours à tous : jeune ou vieux, allochtone ou né à Malines, musulman ou cardinal. J’aime vous entendre dire que nous sommes loués pour notre approche. Mais savez-vous qu’au début de mon mayorat le degré de criminalité à Malines était plus élevé qu’à Schaerbeek ? Et il n’y qu’à Anvers qu’il y avait plus de pauvreté infantile qu’ici : dans les années 90 le revenu moyen à Malines a baissé.

Est-il possible de faire à Molenbeek ce qui est fait à Malines?

Évidemment. Le problème, c’est que les politiques considèrent la pauvreté comme une loi. L’ancien bourgmestre Philippe Moureaux (PS) voyait la pauvreté croissante à Molenbeek comme une preuve de la véracité de sa théorie idéologique.

Molenbeek paie aussi le prix de communes plus riches comme Uccle. Les riches partent vers de meilleurs quartiers, les pauvres vivent les uns sur les autres ailleurs.

Dans toutes les villes, il y a des quartiers riches et plus pauvres, ce n’est vraiment pas une excuse. Je suis d’accord avec vous que Molenbeek souffre de l’organisation politique bruxelloise. La première à chose à faire, c’est de créer une zone de police unie.

Peut-être que votre parti devrait faire un point de rupture de cette zone de police bruxelloise dans le gouvernement? À présent, le ministre-président de la Région de Bruxelles-Capitale Rudi Vervoort (PS) déclare au nom de tous les Bruxellois francophones que rien ne changera.

Ce serait une erreur gigantesque. Celui qui n’entend pas le réveil maintenant ne se réveillera jamais. Il faut cesser les jeux politiques qui empêchent une zone de police unie. À Malines, nous avons gagné 10% de capacité après la fusion de nos services de police. Pour Bruxelles, il y aurait à peu près cinquante patrouilles qui pourraient travailler jour et nuit – c’est-à-dire 500 hommes « supplémentaires ».

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