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 » Avec la N-VA, la Belgique deviendrait une coquille vide « 

Olivier Mouton
Olivier Mouton Journaliste

« Les masques tombent », estime Hugues Dumont, professeur de droit constitutionnel aux facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles: le projet institutionnel de la N-VA est « un séparatisme qui ne dit pas son nom ». Le problème c’est que beaucoup d’électeurs flamands vont voter pour la N-VA sans savoir précisément ce qu’est son programme.

La N-VA tient un congrès crucial du vendredi 31 janvier au dimanche 2 février. Sur la table, notamment, un texte charpenté de septante pages définissant le confédéralisme voulu par les nationalistes. Le constitutionnaliste Hugues Dumont l’a lu pour nous. « Mon inquiétude profonde, dit-il, c’est que beaucoup d’électeurs flamands vont voter pour la N-VA sans savoir précisément ce qu’est son programme. »

Que vous inspire le projet de Belgique confédérale prôné par la N-VA?

C’est l’expression même de la Belgique « coquille vide » que je crains depuis des années. Dans le texte de la N-VA, il ne reste pratiquement rien au niveau confédéral: la défense nationale, un peu de code civil pour tout ce qui n’est pas territorialisable, un code pénal et une cellule responsable pour la sécurité, mais uniquement en ce qui concerne les infractions de grande échelle: terrorisme, trafic d’armes, traite des êtres humains. Il resterait une nationalité belge, mais elle ne pourrait être attribuée qu’après avoir réussi un parcours citoyen organisé, lui, par les deux Communautés. Le droit d’asile resterait au niveau confédéral, mais le commissariat aux réfugiés ne serait composé que d’experts flamands et wallons. C’est tout. Sur le plan socio-économique, seul un gros travail de liquidation de la dette relève des instances confédérales belges.

Tout le reste est confié aux Etats confédérés, en ce compris l’Intérieur, la Justice, les Affaires étrangères, toute la sécurité sociale… Il n’y a même plus d’ambassades pour la Belgique même si, le cas échéant, dit la N-VA, la Flandre et la Wallonie (ce que l’on appelle nous, en droit, la Communauté française ou la Fédération Wallonie-Bruxelles) peuvent travailler ensemble si elles le souhaitent.

La confédération belge serait la plus vide de compétences de toutes les confédérations qui ont existé depuis la nuit des temps.

Selon le programme de la N-VA, il n’y aurait plus non plus d’élections fédérales, plus de Constitution, mais un traité entre entités confédérées et plus de gouvernement en tant que tel mais un Conseil confédéral? Le minimum vital pour gérer le peu de choses qui doivent encore être concertées?

Oui. Il resterait des Conseils des ministres, mais sur le modèle des conférences interministérielles actuelles, même s’ils n’en parlent pas dans ces termes-là, en fonction des sujets traités. Il y aurait quand même un gouvernement confédéral composé de six ministres délégués par les gouvernements régionaux. Ce seraient simplement des exécuteurs.

Le tout serait contrôlé par un parlement monocaméral de 50 députés composé uniquement de 25 députés provenant du parlement flamand et de 25 députés provenant du parlement wallon. Voilà pour l’organisation de la coquille vide.

Mais je pense que les masques tombent quand on lit bien l’ensemble du texte. A la page 63, au numéro 393, on découvre que l’Union européenne a, dans l’esprit de la N-VA, pour vocation d’accueillir en tant qu’Etats membres les nations sans Etat. Bas les masques…

Le confédéralisme ne serait donc qu’un étape transitoire sur la voie de l’indépendance?

Oui, c’est tout à fait explicite même si c’est bien caché. Il est explicitement mentionné que ces nations sans Etat sont l’Ecosse, la Catalogne, le Pays basque et la Flandre! Cela ne passera pas par une révolution, mais bien par une évolution pacifique, est-il précisé. Même aveu d’un séparatisme quand la N-VA dit, à la page 65 numéro 416, que l’Union européenne doit juger séparément pour la Flandre et pour la Wallonie les programmes de stabilité et de réforme prescrits par l’Europe. La confédération belge ne serait plus qu’une boîte aux lettres.

On attendait par ailleurs la proposition de la N-VA sur Bruxelles. Dans ce texte, on a une réponse claire…

Tous les Bruxellois doivent en effet choisir un rattachement complet à la Communauté flamande ou à la Communauté française. Ce choix est réversible, mais stable pour trois ans dans un premier temps. Cela concerne tout ce qui est « personnalisable », c’est-à-dire la culture, l’enseignement, les allocations familiales, mais aussi l’impôt des personnes physiques, la sécurité sociale là où elle n’est pas liée à un contrat de travail même si ce n’est pas très clair puisqu’ils parlent du chômage, des pensions, de l’assurance maladie-invalidité… Les Bruxellois pourraient quand même s’adresser aux services de l’autre bord, frapper à la porte d’une école flamande par exemple, mais il y aurait une priorité accordée à ceux qui se sont rattachés à la Communauté qui preste le service. Le choix ne serait plus tout à fait libre.

Tout le reste, ce qui est territorialisable, c’est-à-dire les matières régionales actuelles, plus une partie de nouvelles compétences, reviendrait à la Région bruxelloise, en ce compris l’impôt des sociétés. Avec une obligation pour Bruxelles de s’en sortir financièrement et d’assumer ses responsabilités. Mais ces compétences seraient toujours exercées avec le droit de regard assez insistant des ministres flamands et wallons. Ils ne parlent pas explicitement d’une tutelle, mais on perçoit bien que la Région bruxelloise n’est pas du tout mise sur le même pied que les deux autres.

C’est vraiment le modèle « deux plus deux » qui, il faut le dire, était celui des résolutions du parlement flamand de 1999. C’est cela qui m’avait amené à dire à l’époque que l’on risquait d’aller vers une « coquille vide ».

Le projet de la N-VA est très radical dans son expression, mais il s’inscrit donc à la fois dans l’histoire institutionnelle belge, avec la distinction entre Régions et Communautés, et dans les requêtes de tous les partis flamands?

Tout à fait, mais il pousse vraiment le curseur jusqu’à l’extrême. On va même au-delà de la limite dès lors que l’Etat belge ne pourrait même plus assumer ses responsabilités en tant qu’Etat membre de l’Union européenne. On est-delà du minimum minimorum qui permettrait encore de parler d’un Etat belge au sens du droit international.

Je l’ai dit: les masques tombent.

La possibilité qu’il y ait des sous-nationalités à Bruxelles fait bondir les francophones…

On est effectivement au rebours de toute la tendance actuelle de la société civile bruxelloise qui réclame au contraire la fin des listes séparées de candidats pour le parlement bruxelloise, par exemple. Je ne dis pas que tous les Bruxellois se reconnaissent là-dedans, mais cela est soutenu par de nombreuses personnes et associations.

En terme de droits de l’homme, ce principe de sous-nationalités est clairement discutable dès lors qu’il met les habitants d’une même ville face à un choix identitaire dont l’impact financier n’est pas neutre. Il y a là potentiellement une violence administrative!

Cela dit, force est de constater que beaucoup de Flamands, qui ne sont pas nécessairement partisans des idées de la N-VA, ne se reconnaissent plus non plus dans ce désir d’émancipation bruxellois. Même quelqu’un d’assez modéré comme Els Witte (NDLR historienne et ancienne rectrice de la VUB) estime qu’il faut maintenir une représentation garantie pour la minorité flamande à Bruxelles.

La difficulté aujourd’hui, c’est que l’on a l’impression que le système institutionnel belge n’a toujours pas trouvé un point d’équilibre satisfaisant, ni pour les uns, ni pour les autres. Et l’on ne voit pas comment trouver un consensus satisfaisant…

Comment pourrait-on y arriver?

Je suis d’une très grande perplexité devant la difficulté du système à se réformer. Nous sommes confrontés en permanence à des points de vue irréconciliables. Le compromis est forcément frustrant. Il y a, il faut le reconnaître, du vrai dans le constat posé par la N-VA, même si c’est caricatural quand ils affirment que l’on ne s’entend plus sur rien.

Ce projet peut donc être qualifié de séparatiste qui ne dit pas son nom?

Oui, clairement, il faut même le qualifier de la sorte. Le danger, en effet, c’est que beaucoup de Flamands prêts à maintenir un Etat fédéral belge avec un minimum de substance se laissent aveugler par un programme qui ménage les apparences quand on le lit superficiellement et qui emploie un ton extrêmement adroit, serein, ouvert à la Wallonie… Ce n’est pas une déclaration de guerre contre les francophones, c’est donc très pervers.

Il y a aussi l’idée que la N-VA ne lâche pas Bruxelles alors qu’au sein du mouvement flamand de tendance séparatiste, cette tentation existe. La N-VA fait un choix qui n’est pas anodin en disant que Bruxelles l’intéresse toujours, que cette ville fait toujours partie de la Flandre. Elle veut même investir dans Bruxelles et contribuer à son désappauvrissement. Certains pourraient vraiment considérer que ce texte n’est pas anti-Belge.

Ses partisans disent en effet que ce texte renforce Bruxelles en tant que trait d’union du pays et que le projet de la N-VA est moins séparatiste que celui de fédération Wallonie-Bruxelles…

C’est fantastique! Ce que du côté flamand, on ne parvient pas à entendre, c’est que beaucoup de Wallons et beaucoup de Bruxellois éprouvent le besoin de resserrer les liens précisément dans la perspective d’une sécurité sociale totalement défédéralisée. Tous les spécialistes démontrent qu’une sécurité sociale n’est viable que si on l’organise à une large échelle. Or ici, il y a une volonté de tout casser. On invite forcément les francophones, qui sont encore majoritaires à Bruxelles quoiqu’ils disent, à se serrer les coudes.

Ils tiennent un discours pervers également quand ils parlent de solidarité parce qu’à leurs yeux, chacun doit retrouver in fine ce qu’il donne. Mais c’est le contraire de la solidarité! Oui, ce programme est extrêmement pervers quand on le décrypte.

Si la N-VA n’est pas incontournable à l’issue des élections du 25 mai prochain, ce projet risque bien d’être mort-né? Ce ne serait dès lors qu’une réflexion intellectuelle?

Oui. Mais je suis intimement convaincu que le nouveau Sénat que l’on vient d’engendrer avec la sixième réforme de l’Etat servira de chambre de réflexion pour une septième réforme de l’Etat.

C‘est ce que souhaite le CD&V…

Oui. Quand on lit bien la façon dont on a rédigé les compétences du nouveau Sénat, c’est manifestement à cela que l’on a pensé. Il faut s’en rendre compte. Je crains beaucoup que du côté francophone, on ne se laisse bercé par le discours ambiant selon lequel il n’y aura pas de nouvelle réforme dans l’immédiat.

Je ne veux pas du tout jouer aux Cassandres ou m’abîmer dans un pessimisme noir, mais objectivement, même si le gouvernement Di Rupo a fait du bon travail, les problèmes institutionnels que nous allons rencontrer sont extrêmement nombreux et rendent la septième réforme de l’Etat proprement inéluctable.

Ah bon?

Il y a désormais un énorme de travail de mise en oeuvre de la sixième, c’est vrai. Mais honnêtement, le chantier demeure ouvert.

Nous avons, par exemple, toujours une procédure de révision de la Constitution qui date de 1831, qui ne fait pas intervenir les Régions et les Communautés. C’est en outre une procédure inefficace puisqu’elle suppose une déclaration de révision adoptée lors de la législature qui précède, à un moment où l’on ne sait pas de quelle majorité spéciale on va disposer. Tous les constitutionnalistes sont d’accord pour dire que cet article est bancal et que l’on devra le réformer. C’est une clé pour un Etat. Je m’étonne d’ailleurs que ce point n’apparaisse dans le programme de la N-VA.

Il reste d’autres questions ouvertes.

Dans quels domaines?

En matière de relations internationales, par exemple, le Premier ministre fédéral représente la Belgique lors des sommets européens, mais il doit y aborder des questions relevant exclusivement des compétences régionales. Quel est le lieu démocratique où l’ont peut demander au Premier ministre de s’expliquer? Il n’y en a pas. La Chambre n’est composée que de députés fédéraux et le Sénat s’est vu retirer pratiquement toutes ses compétences. Je suis désolé, mais il y a là un déficit démocratique!

On a raté la réforme du Sénat, c’est une ineptie, c’est indéfendable. C’est moi qui le dit, ce n’est pas le programme de la N-VA. Je dois présenter cette réforme à mes étudiants en leur expliquant.

J’ai quantité d’autres exemples du même registre. Je dois encore enseigner l’article 59 de la Constitution qui date de 1970, selon lequel les Régions reçoivent toutes les compétences que les lois spéciales leur accordent à l’exception des matières communautaires. Il y a donc une frontière entre deux types de compétences. Mais cela est complètement caduc! Parce qu’à côté d cela, je dois expliquer que la Région et la Communauté flamande ont fusionné, que la Région wallonne délègue des compétences aux Commissions communautaires à Bruxelles pour ne pas parler de la Communauté germanophone. Il faut quand même comprendre que l’on ne pourra pas former des citoyens si le système est incohérent! On parle ici de la Constitution d’un Etat, pas d’un vade-mecum de droit fiscal.

Nous devrons aussi trouver une fois pour toutes si c’est possible une clarification entre les régionalistes et les communautaristes. La N-VA fait un choix clair, celui des Communautés, mais la sixième réforme de l’Etat, elle, progresse vers une Belgique à trois.

N’y a-t-il pas le risque que la nécessité de revoir la Constitution que vous exposez ne donne des arguments à la N-VA et à son projet?

Si la N-VA fait un tabac et que le CD&V se dit que le nationalisme est dans l’ADN du mouvement chrétien flamand, on risque d’avoir une discussion sur le confédéralisme. Il ne faut quand même pas oublier que lors de la négociation de la sixième réforme de l’Etat, le CD&V était pour les sous-nationalités à Bruxelles en matière d’allocations familiales. Le choix bruxellois était présent.

Il pourrait revenir donc sur la table?

Oui, on reviendra aux sous-nationalités à Bruxelles si l’on constate que la gestion des allocations familiales par la Commission communautaire commune (Cocom) est impossible.

On peut citer des exemples à l’infini de problèmes non résolus. Les francophones doivent se préparer à la discussion. Même s’il est évidemment irritant de se dire que pour certains, chaque réforme est censée rapprocher la Belgique de sa fin…

Mais mon inquiétude profonde, c’est que beaucoup d’électeurs flamands vont voter pour la N-VA sans savoir précisément ce qu’est son programme.

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