Gérald Papy

Avec l’Iran, un monde moins dangereux

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Jusqu’il y a quelques jours encore, sur le dossier du nucléaire iranien, un scénario était si pas écrit, en tout cas plausible. Avec le soutien des Américains, l’aviation israélienne bombardait en Iran des sites ciblés du programme nucléaire, dénoncé comme au seuil de la fabrication de l’arme atomique.

Téhéran répliquait en attaquant l’Etat hébreu, par Hezbollah libanais, Hamas palestinien et chiites irakiens interposés, et entravait la circulation des pétroliers dans le détroit d’Ormuz. Les armées des monarchies sunnites du Golfe étaient sur le pied de guerre. Le baril de brut atteignait des prix record plus observés depuis la crise pétrolière de 1973 et le monde retombait en récession aggravée… C’est bien ce scénario-là que les diplomates ont écarté le samedi 24 novembre à Genève en signant, après plus de dix ans de vaines tractations, un « accord intérimaire » encore fragile mais qui ouvre la voie à un arrangement final endéans les six mois. Le revirement est saisissant.

Pour les Occidentaux, grâce à la détermination de la France, les acquis sont inespérés. L’Iran s’engage à limiter l’enrichissement d’uranium à 5 %, largement sous le niveau nécessaire pour une utilisation militaire, et à arrêter les travaux du réacteur à eau lourde d’Arak, autre filière de maîtrise potentielle de la bombe atomique par l’acquisition de plutonium. Téhéran accepte surtout que ces promesses soient contrôlées sur le terrain par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Tout manquement pourra donc être porté à la connaissance des partenaires alors que jusqu’à présent, les déclarations iraniennes étaient suspectes car invérifiables et parfois démenties par les faits.

Le décryptage dont l’accord est l’objet depuis son annonce attribue au nouveau président Hassan Rohani le principal mérite de l’ouverture iranienne. Si l’élection en juin dernier de ce réformateur a contribué de façon majeure au rapprochement avec la communauté internationale, en faire la pierre d’angle de l’accord de Genève démontrerait sa faiblesse. La force du processus actuel est qu’il est enfin appuyé par celui qui exerce la réalité du pouvoir en Iran, l’ayatollah Khamenei, le Guide suprême de la révolution islamique. En témoignerait le lancement des négociations secrètes entre l’Iran et les Etats-Unis avant même l’accession au pouvoir de Rohani. Là est sans doute le véritable changement de la politique iranienne, dicté par l’impératif de levée des sanctions économiques internationales qui ont fini par produire un impact certain (perte de 15 à 20 % du PIB, inflation de 40 %, paupérisation y compris des classes moyennes).

Cette union sacrée Khamenei-Rohani est la clé de la sortie de crise. N’en déplaise au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, qui surjoue le rôle, légitime, de dernier des sceptiques et de la sorte s’isole dangereusement, « le monde est devenu moins dangereux » depuis samedi dernier. Même si le prix à payer est un renforcement, provisoire en tout cas, du régime des ayatollahs. L’accord de Genève laisse même augurer une réduction des tensions en Syrie et au Liban où l’Iran dispose d’un sérieux pouvoir de nuisance. Avec les dossiers iranien et syrien (renoncement à des bombardements en représailles à l’utilisation d’armes chimiques et réunion, enfin en janvier, de la conférence de Genève II entre régime et oppositions), la diplomatie reprend ses droits dans une région qui, après l’ère Bush, en avait bien besoin. Le discret Barack Obama n’y est pas étranger. Il finira peut-être par mériter son prix Nobel de la paix.

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